« ÊTRE INVENTIF POUR FAIRE FACE À NOTRE TRÉSORERIE TENDUE »

© SÉBASTIEN CHAMPION
© SÉBASTIEN CHAMPION (©)

Le Gaec M. préfère garder l'anonymat pour évoquer ses difficultés financières. Il souffre plus de son récent investissement que du prix du lait. Il a reçu, en avril, 12 000 € du plan de soutien à l'élevage. Explication et 4 idées des associés pour passer le cap.

TÉMOIGNER DE LEURS DIFFICULTÉS FINANCIÈRES À VISAGE DÉCOUVERT, les producteurs laitiers ne le souhaitent pas.La pudeur, voire le repli sur soi, la volonté de préserver de bonnes relations avec les fournisseurs et les banques n'incitent pas à dévoiler ses résultats dans la presse. Dans la Manche, le Gaec M. a accepté de recevoir L'Éleveur Laitier mais de façon anonyme. « Notre trésorerie est tendue. Nous ne voulons pas être mis en avant alors que nos fournisseurs font un effort en acceptant un paiement à 30 jours, contre 8 jours avant la crise », confient Lydie et Sylvain M., et leur fils Sébastien(1) qui s'est installé en 2014. Sur l'exercice de mars 2015-2016, leur capacité d'autofinancement s'élève à 30 350 . « Si l'on déduit les 22 400 € d'augmentation de stocks liés à l'agrandissement du troupeau et la création d'un atelier boeufs autofinancée, elle est en fait quasi nulle », souligne leur conseiller de gestion CERFrance. Vu la conjoncture au plus bas, on pense à la chute du prix du lait pour expliquer leur situation. Ce n'est pas le cas. Il s'élève en moyenne à 360,76 €/1 000 l, contre 368 € en 2014-2015.

« FAIRE LE PLEIN DES PRIMES QUALITÉ DU LAIT »

« Nous avons la chance que notre coopérative, Les Maîtres Laitiers du Cotentin, limite la baisse du prix de base à 300 € », insiste Lydie. Ce prix stabilisé provient aussi du niveau retrouvé des taux et d'une qualité en super A, contrairement à la campagne précédente. Grâce à un bon maïs-ensilage en 2015 et un stock d'ensilage de trèfle incarnat et ray-grass d'Italie de nouveau à la hauteur des besoins du troupeau, les TB et TP se sont améliorés de 1,1 et 0,6 g/kg. De même, avec l'abandon de la stabulation paillée, à la capacité insuffisante, pour une nouvelle en logettes, les vaches déclarent moins de mammites. Résultat : le surplus lié à la qualité compense presque la baisse du prix de base de 45 euros entre les deux campagnes. « Lorsque les indicateurs de marché le font descendre à 275 € et moins, il faut tout mettre en oeuvre pour faire le plein des primes qualité », résume Sylvain. La campagne 2016-2017 continue sur cette lancée. « Notre prix du lait est stabilisé. Pourtant, notre trésorerie est tendue. » Cela s'explique par le chamboulement que connaît l'exploitation depuis deux ans. L'installation de Sébastien s'est accompagnée de la reprise d'une exploitation de 180 000 litres (achat de la stabulation et 3 ha), plus une attribution JA de 80 000 litres. « Nous avons transféré les 65 vaches de mes parents sur le nouveau site qui offre des possibilités d'extension, et acheté 18 vaches fin 2014. Nous avons transformé la stabulation paillée en trois rangées de 76 logettes et avons installé une salle de traite par l'arrière de 2 x 12 postes », décrit-il.

« UNE TRÉSORERIE SANS ÉPARGNE DE SÉCURITÉ »

Le Gaec a déjà investi 490 000 € dans la reprise et les aménagements. D'ici à la fin de l'année, il va en investir 152 000 € autres. La fumière sera transformée par 26 nouvelles logettes (104 au total). Une fosse à lisier de 2 400 m3 sera construite pour l'équivalent de 140 vaches en vue d'un développement. « Pour ne pas alourdir la charge financière les deux premières années de l'agrandissement, ces travaux sont réalisés à la fin de cet été », souligne Sylvain. De même, le Gaec a obtenu de la banque un différé de deux ans pour le remboursement du capital des 262 000 € de reprise. Jusqu'en octobre, seuls les intérêts sont dus. « Le financement est entièrement emprunté, souligne le conseiller de gestion. Installation, reprise de parts sociales, crise de 2009, Lydie et Sylvain n'ont pas pu épargner ces dix dernières années. Les trois associés gèrent une trésorerie sans épargne de sécurité.Dans un projet de développement, la tentation est d'investir plus que les ressources financières ne le permettent. En quelque sorte, se faire plaisir. » Pour éviter ce piège, le conseiller a proposé, avant l'installation de Sébastien, que les trois associés établissent une liste de leurs envies... pour renoncer à certaines jugées non prioritaires.

DES INVESTISSEMENTS SANS CHICHI QUI AIDENT À RÉSISTER À LA CRISE

« L'investissement s'élève à 500 000 €. Il aurait pu facilement atteindre 750 000 €. » Le Gaec a ainsi préféré l'achat d'une mélangeuse distributrice d'occasion à 8 500 € (12 m3) à un bol mélangeur à 47 000 €. Bien sûr, il n'a pas fait l'impasse sur la salle de traite. Le projet initial d'une 2 x 12 postes a été maintenu, à moitié prix : 55 000 €, maçonnerie comprise, contre 130 000 €. « Le prédécesseur travaillait avec un simple équipement de 8 postes. Nous les avons conservés. Ils complètent la 2 x 8 postes en traite arrière et décrochage automatique acquise d'occasion. » Elle est installée dans la stabulation : les vaches sont relâchées directement dans les deux couloirs de raclage.

Ces économies n'empêchent pas le montant des annuités de grimper. De 64 700 € en 2015-2016 (prêt JA de 4 440 € non inclus), elles connaîtront un pic à 92 000 € en 2017-2018 pour redescendre à 69 200 € et moins à partir de 2019-2020.

1. DÉFINIR UN OBJECTIF ANNUEL D'EBE

« Nous nous appuyons sur l'étude prévisionnelle d'installation de Sébastien qui calcule un EBE minimum à atteindre chaque année pour les cinq premières années. Cela nous aide à mieux définir nos priorités et à réfléchir à nos dépenses. » En 2015-2016, l'EBE des associés était fixé à 120 000 €. Les trois producteurs ont fait mieux avec 129 600 €. L'étude prévisionnelle fixe l'objectif de 2016-2017 à 131 000 €. Il assurera au minimum les 70 200 € d'annuités et les 36 000 € de prélèvements privés. « L'étude prévoit 48 000de prélèvements privés. Nous préférons être prudents avec 36 000 €. » L'herbe pâturée et récoltée est l'un des axes de leur stratégie pour produire moins cher. Cette année, ils profitent donc des subventions de leur syndicat d'eau pour consolider le circuit de pâturage (22 paddocks de 1 ha). Ils tirent aussi profit de leurs efforts pour des prairies productives, avec la vente de foin et d'enrubannage pour 11 400 € l'an passé.

2. LOUER DES VACHES À UN VOISIN

Lydie, Sylvain et Sébastien estiment qu'en période de crise, il faut produire la totalité de sa référence. « Notre troupeau n'étant pas encore bien calé à notre droit à produire, en janvier, plutôt qu'acheter des vaches, nous en avons loué sept jusqu'à la fin mars.Pour cinq, la location était fixée à 30 €/1 000 l soit, sur trois mois, 420 €. Elles sont ensuite parties directement à l'abattoir. » La location des deux autres s'est payée en foin.

3. RÉDUIRE LES INTRANTS CULTURES

« Comme nous ne souhaitons pas réduire trop les concentrés, nous avons décidé d'économiser sur les intrants des cultures. » Début 2016, avec le conseiller de gestion, ils ont mis la barre à une facture réduite de 18 000 €. Cela passe par la suspension du chaulage. L'orge, moins exigeante en azote, sera privilégiée avec 10 ha supplémentaires. Un seul fongicide en demi-dose est appliqué et pas le raccourcisseur. Les stocks de maïs étant bien pourvus, la surface passe de 35 à 32 ha. Les semences achetées ne sont pas traitées. La fertilisation est juste assurée par un engrais starter (2 t, dont 0,8 t de stock). « Nous avons plutôt réduit la facture de 13 000 à 15 000 € mais chiffrer une économie d'intrants ambitieuse oblige à tenir le cap. »

4. SOLLICITER TOUS LES DISPOSITIFS D'AIDES

Lydie, Sylvain et Sébastien ont déposé fin 2015 une demande pour bénéficier du plan de soutien à l'élevage. Considéré prioritaire grâce à sa double casquette « investisseurs » et « jeune installé », le Gaec a perçu 12 000 € en avril. « C'est une bouffée d'oxygène. Ils représentent tout de même 10 % de notre EBE. » De même, ils ont déposé une demande d'aide à l'investissement PCAEA pour leur fosse à lisier auprès de la Région. Ils vont recevoir 42 000 € qui rembourseront le court terme contracté dans cette perspective. En attendant, ils continuent de jongler avec l'ouverture de crédit plafonné à 16 000 €, les deux emprunts à court terme annuels dont les remboursements sont planifiés sur le versement des aides Pac et la vente des boeufs, et la demande d'un acompte à Maîtres Laitiers du Cotentin en début de mois. En plus des économies déjà en place en 2016, ils savent pouvoir compter sur une conduite d'élevage plus stabilisée : moins de génisses à élever puisque l'agrandissement du troupeau est achevé, peut-être même quelques vaches en lait à vendre. Si la vente des 25 premiers boeufs l'année prochaine allégera la trésorerie, ils se préparent à produire plus quand le marché repartira, car livrer 750 000 l pour couvrir 70 000 à 90 000 € d'annuités et rémunérer trois associés laissent peu de marge de manoeuvre financière.

CLAIRE HUE

(1) Les prénoms ont été modifiés.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

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