
À un tournant de leur carrière, Nathalie et François Dumont envisagent une conversion à l'agriculture biologique. Les conditions de la réussite : l'autonomie fourragère et le maintien d'une plus-value sur chaque litre de lait livré.
FACE AU RENCHÉRISSEMENT DU COÛT DES INTRANTS, Nathalie et François Dumont remettent en cause progressivement leur mode de production, dépendant du couple maïs-soja. C'est dans ce contexte qu'ils ont pris contact avec le GabNor afin de simuler l'impact d'une conversion à l'agriculture biologique.
« Notre volonté consiste avant tout à renforcer l'autonomie de l'exploitation, précise François. La décision d'un passage à l'agriculture biologique n'est pas encore arrêtée, mais ce projet pourrait nous permettre de valider notre évolution technique pour améliorer la valeur ajoutée produite sur la ferme. »
L'exploitation tire l'intégralité de son revenu de l'atelier de lait et toute la SAU (56 ha) est dédiée à la production fourragère. Elle est située à proximité de Boulogne-sur-Mer, une zone urbaine où la pression foncière limite les opportunités d'agrandissement. Le couple a d'ailleurs perdu 6 ha de fermage en 2010, partis pour la construction d'une zone d'activité. Cette surface limitée, par rapport à un droit à produire de 396 000 l, est une contrainte structurelle forte. Les éleveurs achètent désormais près de 4 ha de maïs sur pieds pour couvrir leurs besoins en stocks et, en l'absence de surfaces cultivées, la totalité de la complémentation, soit environ 65 t de concentré par an. La ration complète hivernale des laitières (150 jours) se compose de 14 kg de MS de maïs, 3,5 kg d'un ensilage (50 % de méteil et 50 % d'herbe), et 3,8 kg de correcteur azoté. La moyenne d'étable est de 7 660 l, avec une consommation de 1 188 kg de concentré par vache. « Dans un contexte de concentré à bas prix, c'est un système cohérent, mais lorsque le kilo de soja est plus cher que le litre de lait, économiquement, cela ne passe plus. » Car au-delà des surfaces disponibles, l'hétérogénéité des sols remet elle aussi en cause la durabilité du système maïs.
« UNE STRUCTURE LIMITÉE PAR LE FONCIER »
Les terres labourables de coteaux sont argileuses, donc sensibles à l'excès d'humidité, ce qui rend parfois difficile l'accès aux parcelles pour réaliser les nécessaires opérations culturales, comme l'épandage du fumier ou la récolte. Dans ces conditions, les rendements du maïs varient de 10 à 14 t de MS/ha. « Aussi, depuis cinq ans, le méteil ensilé occupe une part croissante de notre assolement. C'est une culture qui n'exige aucune intervention, avec des rendements de 10 t de MS/ha. » En outre, l'éleveur intègre désormais dans sa rotation des intercultures, pratique le semis de ray-grass italien-trèfle violet sous couvert de céréales et a implanté, cette année, 3 ha de luzerne. Quant aux prairies permanentes (PP), elles représentent 63 % de l'assolement (35 ha) et 22 ha sont regroupés sur le plateau sablo-limoneux où se trouve le siège de l'exploitation. En période estivale, les laitières ont ainsi accès depuis la stabulation à logettes (53 places), à 15 ha de pâtures et 8 ha sont réservés aux génisses. Mais malgré 28 ares/ VL, le troupeau conserve toujours une part d'ensilage à l'auge. « En été, sur des terres séchantes, il manque 20 ares par vache pour pouvoir fermer le silo, analyse François. Je suis conscient que ce sont des surfaces que j'ai en partie négligées. Je m'applique donc désormais à cultiver l'herbe avec l'objectif d'atteindre une période de plein pâturage au printemps. »
Depuis deux ans, cela se traduit par le broyage systématique des refus « plus efficace que les herbicides » et par le sursemis de ray-grass anglais-trèfle blanc. Enfin, progressivement, l'éleveur évolue vers une conduite en pâturage tournant plus rigoureuse. Pour Françoise Couillaud, conseillère au GabNor, l'amélioration de la productivité des pâtures est un élément déterminant de la conversion bio : « Bien que les prairies permanentes soient très présentes sur ce territoire, elles sont souvent les parents pauvres des assolements. Or, il y a de vrais gains de productivité à réaliser qui doivent permettre d'obtenir des rendements de 5 à 6 t de MS. L'enjeu est d'autant plus important après l'arrêt de la fertilisation minérale qui entraîne jusqu'à 30 % de baisses des rendements en herbe. »
« RÉDUIRE LE CHARGEMENT POUR VISER L'AUTONOMIE »
Compte tenu de la disponibilité et du prix des fourrages bio (180 à 200 €/t de foin), la recherche d'autonomie est un passage obligé pour tout candidat à la conversion et si le cahier des charges ne limite plus l'utilisation d'ensilage, le coût des concentrés bio pour équilibrer une ration 100 % maïs est suffisamment dissuasif pour écarter ce mode d'alimentation (correcteur azoté à 750 €/t). Dans le cadre de la simulation réalisée par la conseillère, la ration des laitières se compose de 5 kg de méteil, 4 kg de foin, 4 kg de luzerne enrubannée, 3 kg de maïs grain humide et 3 kg de concentré du commerce pour maintenir la production laitière à 6 500 l par vache, soit 975 kg de concentré. Concernant les génisses, le passage à des vêlages à trente mois permettrait d'assurer leur alimentation exclusivement au pâturage et en hiver avec du foin + méteil. « La capacité à atteindre l'autonomie fourragère dépend de la qualité des sols et du chargement, explique Françoise Couillaud. Dans ce cas, cela correspond à un chargement n'excédant pas 1,2 UGB/ha. » Ainsi, le nombre de laitières devrait-il diminuer de cinq têtes, le renouvellement être limité à 27 % et la production de quelques boeufs à l'herbe abandonnée, pour passer de 80,5 à 64,9 UGB après la conversion en bio. La surface en maïs évoluerait de 12 à 3,5 ha et la rotation serait complétée par 6,5 ha de méteil, 3 ha de luzerne et 8 ha de prairies temporaires.
« UN ATOUT COMMERCIAL POUR LA TRANSFORMATION »
Avec la contrainte d'une SAU limitée, l'exploitation serait après le passage en bio en situation de sous-réalisation structurelle. « En l'absence d'une plus-value bio sur les livraisons de lait, il est difficile d'envisager le maintien de l'équilibre économique de l'exploitation », explique Françoise Couillaud. Néanmoins, pour Nathalie et François, la décision de faire évoluer leur système est acté : « J'ai déjà admis la baisse de production pour réduire ma dépendance aux achats extérieurs, explique François. Avec la bio, j'y associe la plus-value. Aussi, la conversion se fera vraisemblablement, même si, techniquement, rien n'est figé. Je veux introduire la jersiaise dans le troupeau et pourquoi pas passer à 40 vaches pour viser l'autonomie alimentaire complète, en produisant mon concentré de production à partir des mélanges céréaliers. » En parallèle, le couple mène une réflexion concrète sur la faisabilité d'un atelier de transformation, peut-être un moyen, à terme, de faire une place sur l'exploitation à leur fille Justine, actuellement en formation. « Si cela doit se faire, c'est par la valeur ajoutée que ce sera possible ».
JÉRÔME PEZON
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