« JE SUIS PASSÉ DE LA PRIM'HOLSTEIN À LA JERSIAISE »

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Le prix du lait de Benoît Guioullier pourrait aiguiser la tentation de s'orienter sur la jersiaise. Une stratégie à étudier avec beaucoup de prudence.

BENOÎT GUIOULLIER A QUITTÉ LE GAEC FAMILIAL, OÙ IL S'ÉTAIT INSTALLÉ EN 2001 avec son frère, pour voler de ses propres ailes sur une exploitation individuelle du nord-est de la Mayenne. C'était en 2013 : 54 ha SAU et 352 000 litres de quotas avec un troupeau de vaches prim'holsteins. Pas forcément la race qu'il préfère. Ses parents avaient créé, en 1977, l'un des premiers troupeaux de jersiaises dans l'Ouest, une race qu'il connaît donc très bien et qu'il souhaite introduire dans son nouveau troupeau. Il est d'ailleurs vice-président de la commission d'orientation raciale jersiaise au sein de l'union BGS. « Pour cette deuxième installation, la mauvaise surprise a été de trouver un troupeau très "plombé" qui tournait à 800 000 cellules/ml. Il a fallu soigner en urgence pour retrouver des vaches saines. J'avais 11 laitières à traire au pot et le risque de ne pas faire mon quota. J'ai donc fait rentrer très rapidement 10 prim'holsteins fraîchement vêlées pour redresser la barre au plus vite », explique Benoît Guioullier.

Dans la foulée, il achète les cinq premières jersiaises. Une vingtaine les rejoindra dans le courant de l'année 2014. Ces premières vaches proviennent du Danemark, premier cheptel jersiais européen. Aujourd'hui, le troupeau se compose de 40 jersiaises et 18 prim'holsteins. « Toutes les holsteins qui naissent sur l'exploitation y finiront leur carrière et je rachèterai des jersiaises au coup par coup pour les remplacer, en France cette fois-ci. » Ce changement de race est un investissement conséquent. Une génisse jersiaise danoise prête à vêler coûte entre 1 700 et 1 800 €, rendue dans l'élevage.

« L'OFFRE DE GÉNISSES FRANÇAISES EST LIMITÉE »

La génétique danoise a la réputation de fournir des animaux à haut potentiel laitier. L'équivalent peut se trouver en France entre 1 300 et 1 400 € (plus le transport), mais l'offre est limitée. « Les plus gros troupeaux français n'ont que 25 à 30 génisses à proposer à la vente chaque année. Ce n'est qu'une dizaine pour un élevagemoyen. Il faut donc s'y prendre à l'avance pour s'approvisionner en France. D'autant que la demande est de plus en plus forte. »

C'est qu'en cette période difficile sur le prix du lait, la qualité de celui de la jersiaise fait envie : 6 061 kg à 55,5 de TB et 38,4 de TP (lactation corrigée au résultat du contrôle laitier 2015). Chez Benoît, c'est encore mieux et le dernier contrôle de mars affiche des niveaux hallucinants : 68,9 de TB et 43,8 de TP, certes à huit mois de lactation. L'effet sur le prix du lait est immédiat. En janvier, Benoît a été payé 386,18 €/1 000 l pour un prix de base de 276,14 €/1 000 l. L'incidence matière grasse est de 50,44 € et l'incidence TP de 58,08 € pour des taux qui étaient, ce mois-là, à 57,4 de TB et 40,8 de TP.

Alors changer de race serait-il une bonne stratégie pour échapper à des prix du lait trop bas ? Ce n'est pas exactement le message que veut faire passer Benoît. « Ce ne sont pas quelques jersiaises perdues au milieu d'un troupeau d'holsteins qui vont doper le prix du lait. Il faut aussi partir d'une situation financière saine pour pouvoir encaisser le besoin de trésorerie nécessaire à l'achat des vaches. Heureusement, nous avons suffisamment de références technico-économiques sur des troupeaux en jersiaises, notamment dans l'Ouest, pour convaincre un banquier. » Bien sûr, il faut encaisser ce coût du renouvellement, mais prévoir aussi qu'une génisse jersiaise démarre sa première lactation sur une base d'environ 4 500 kg de lait. Ce n'est que dans les lactations futures qu'elle exprimera son potentiel laitier.

« UNE LACTATION DE PLUS QUE LA HOLSTEIN »

« Chez mes parents, c'était à la cinquième lactation. En contrepartie, la jersiaise est une vache très précoce qui vêle tôt, entre 21 et 24 mois, et qui présente une très bonne longévité. En moyenne nationale, elle fait une lactation de plus que la prim'holstein. Ce sont des éléments de performance économique. » Cette petite vache est aussi connue pour sa bonne fécondité. Le taux de réussite en première IA est en moyenne de 70 % avec un coefficient « paillette » égal à 1,5. La santé de sa mamelle est réputée robuste, générant moins de cellules dans le lait. « D'une manière plus générale, ce sont des vaches robustes. Je le vois chez moi avec des holsteins qui expriment beaucoup plus vite les troubles métaboliques sur leurs membres alors que les jersiaises résistent. » La jersiaise vêle aussi plus facilement que d'autres races mais les veaux mâles n'ont aucune valeur commerciale. L'éleveur n'a pas d'autre choix que d'en faire des veaux de lait écoulés en vente directe ou de les engraisser en boeuf ou taurillon. Pour la même raison, toutes les premières inséminations se font avec de la semence sexée. Avec un poids de 400 kg vifs, les vaches de réforme ont aussi moins de valeur et une vache achetée au Danemark n'aura pas le label Origine France. « Les jeunes veaux qui, à la naissance, pèsent de 15 à 22 kg, ont peu de réserves et demandent de l'attention. Il faut être précis dans les volumes de buvée et le taux de matière grasse du lait entier est à prendre en compte pour éviter les problèmes digestifs », précise Benoît. Malgré la différence de gabarit évidente, l'introduction des jersiaises dans le troupeau des prim'holsteins s'est effectuée sans heurts. « La jersiaiseest une race laitière très spécialisée. Elle a de "l'agressivité" à l'auge et suffisamment de caractère pour s'imposer face à une holstein. Cela se passe très bien dans le bâtiment. Il est certain qu'elles sont à l'aise dans des logettes surdimensionnées pour elles : 1,05 m de largeur suffirait au lieu des 1,30 m. » La différence de gabarit n'a pas non plus posé de problème dans la salle de traite épi. Ce serait plus compliqué dans une TPA.

« LE MANQUE À GAGNER DE LA CRISE EST LOIN D'ÊTRE COMPENSÉ »

En hiver, ce troupeau mixte est conduit avec une ration semi-complète ensilage de maïs et ensilage d'herbe. Ensuite, les jersiaises reçoivent individuellement un peu moins de concentré de production que les prim'holsteins.

Aujourd'hui, Benoît estime que sans la jersiaise et le prix que permet la qualité de son lait, il aurait peut-être jeté l'éponge. « Il n'empêche qu'il manque 50 €/1 000 l par rapport à mon plan de financement. L'étude économique n'avait pas prévu une crise d'une telle ampleur et tablait sur un prix du lait à plus de 400 €/1 000 l. J'ai labonne surprise d'avoir des taux plus élevés que la moyenne avec mes jersiaises mais cela ne comble pas le manque à gagner sur le prix de base. Aujourd'hui, il me manque 20 000 € de trésorerie. Avec 40 000 € d'annuités, je n'ai aucune marge de sécurité. En période de crise, quand la trésorerie est déjà entamée, je ne suis pas convaincu que le changement de race soit très pertinent. »

DOMINIQUE GRÉMY

Chez Benoît, il y avait suffisamment de places disponibles dans le bâtiment pour accueillir les jersiaises.

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Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

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