Comment les taureaux sans cornes ont réussi à percer

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Nicolas Agache, Jean-Christophe Boittin et Damien Lechat (de gauche à droite) font partie des équipes de Synetics qui travaillent depuis plus de dix ans pour faire naître des taureaux porteurs du gène sans cornes dans toutes les races laitières. (© P.Le Cann)

Les sélectionneurs ont travaillé plus de dix ans pour parvenir à obtenir des taureaux naturellement sans cornes et dotés d’un haut niveau génétique. Retour sur la méthode utilisée par Synetics pour faire naître ces animaux.

Des gravures égyptiennes montrent que les bovins sans cornes existent depuis très longtemps. Mais ce n’est qu’en 2007 qu’un taureau porteur de ce gène est arrivé dans les catalogues holsteins. Il s’agissait de Lone Boy, un taureau rouge, d’un niveau génétique moyen par ailleurs. Depuis, tout s’est accéléré. Parmi les dix meilleurs taureaux holsteins indexés en décembre 2023, deux portent le facteur sans cornes (P). On en trouve 35 à plus de 200 points d’Isu.

Rappelons que ce gène est issu d’une mutation naturelle et qu’il est dominant, ce qui signifie qu’un animal porteur n’a pas de cornes. Il le transmet en moyenne une fois sur deux à ses descendants. Un taureau portant le gène deux fois (homozygote, PP), le transmet systématiquement et aucun de ses descendants n’aura de cornes. L’écornage ne sera donc pas nécessaire, ce qui débarrasse l’éleveur d’une corvée.

De plus, les observations ont permis de s’assurer que la présence de ce gène n’est pas associée à des effets négatifs. Alors que la préoccupation pour le bien-être animal grandit, les équipes d’Innoval (devenu Synetics en janvier 2023) racontent comment elles ont réussi à produire des reproducteurs sans cornes et de haut niveau.

L’enjeu de la variabilité génétique

Tout est parti de Lone Boy. «Nous avons travaillé avec quelques sélectionneurs dans l’objectif de faire monter le potentiel des taureaux P tout en préservant la variabilité génétique », explique ­Jean-Christophe Boittin, responsable marketing produits chez Synetics. Car les éleveurs intéressés par des animaux sans cornes considèrent ce caractère comme un bonus et ne veulent pas perdre sur le reste des caractères pour l’obtenir.

Chez les sélectionneurs impliqués, les meilleures femelles ont été accouplées avec Lone Boy dans l’espoir de faire naître des animaux porteurs du gène et d’un bon niveau génétique. «Les premiers mâles compétitifs sans cornes sont sortis en 2015», se souvient Nicolas Agache, responsable des programmes de sélection holstein et pie rouge chez Synetics. Leur arrivée a permis d’accélérer pour faire monter le niveau, alors que, il y a dix ans, les taureaux P avaient en moyenne 30 points d’Isu de moins que les autres, rappelle-t-il.

À partir de 2018, il a été décidé que toutes les femelles travaillées dans le schéma de sélection devaient être accouplées au moins une fois avec un taureau P. L’année suivante, l’objectif a été porté à 20 % d’accouplements dans le schéma avec des animaux porteurs, mâles ou femelles. En 2023, 51 % des accouplements pour le schéma concernaient au moins un parent, parfois les deux, porteur du gène sans cornes. Ils impliquaient 86 pères à taureaux différents et 30 % des femelles du schéma sont désormais sans cornes.

Produire des taureaux homozygotes

Le nombre de reproducteurs P est aujourd’hui suffisant pour passer à l’étape suivante : produire des taureaux homozygotes, toujours en visant un haut potentiel et de la variabilité génétique. «On voit déjà en Allemagne, par exemple, des éleveurs qui veulent 100 % de vaches sans cornes. Seuls des taureaux homozygotes peuvent le garantir », poursuit Jean-Christophe Boittin. Dans ce pays, l’écornage des veaux de plus de un mois doit obligatoirement être effectué par un vétérinaire. Ailleurs, des évolutions réglementaires sont susceptibles de renforcer rapidement l’intérêt des éleveurs pour des animaux sans cornes. Les entreprises de sélection doivent se préparer à ce type d’évolution dix ans en avance.

Déjà, deux taureaux PP ont franchi le cap des 200 points d’Isu. On en compte dix entre 190 et 199 points. Mais, en moyenne, il existe encore un différentiel de niveau entre les taureaux PP et les autres. Pour progresser, l’objectif de Synetics est de réaliser 60 % des accouplements du schéma avec un ou deux parents sans cornes en 2024. Dès 2025 et pour la première fois, les taureaux P seront donc majoritaires parmi ceux qui entrent en station. «L’idéal serait de parvenir à la moitié de taureaux PP dans le catalogue, précise Nicolas Agache. Le nombre de femelles homozygotes va augmenter parallèlement et elles pourront être accouplées avec des taureaux cornus.» Au rythme actuel, il faudra encore dix ans pour que le gène P s’installe vraiment dans les troupeaux holsteins.

Le sans-cornes bientôt standard en pie rouge

Le travail est moins avancé dans les autres races. Tout dépend de la taille de la population et de la présence ou non, du gène P à l’état naturel. C’est en race pie rouge qu’il est le plus fréquent. Synetics a décidé d’accélérer la sélection sur ce caractère il y a cinq ans. Aujourd’hui, 100 % des accouplements du schéma impliquent au moins un parent P. Plusieurs mâles homozygotes sont sortis, il faudra un peu plus de temps pour les femelles. « D’ici deux à trois ans, tous les taureaux du catalogue seront porteurs du gène, prévoit Nicolas Agache. Le standard pie rouge sera sans cornes. »

La jersiaise suit la tendance holstein

En jersiaise aussi, le gène est présent naturellement. Cette race a beaucoup été exportée depuis son berceau vers les colonies anglaises en raison de son petit gabarit et de sa bonne efficacité alimentaire qui la rendaient plus aptes que d’autres à supporter de longs voyages en bateau. Les effectifs sont importants en Océanie et en Amérique du Nord. Plus récemment, le Danemark s’est intéressé à cette race en raison de la richesse de son lait.

Depuis dix ans, l’entreprise de sélection scandinave, Viking Genetics, a commencé à s’intéresser à ce gène sans cornes, pour des raisons de bien être animal. Synetics travaille avec eux. «Les éleveurs de jersiaises sont bio à 40 % en France et les contraintes réglementaires s’accentuent pour l’écornage dans cette filière», remarque Damien Lechat, responsable du programme jersiais chez Synetics.

En 2024, 35 % des taureaux jersiais achetés par Viking Genetics devront porter le gène P. Cette année, pour la première fois, un taureau sans cornes jersiais a atteint le niveau des cornus, VJ Swift P, à 22 de NTM (index de synthèse). Les Scandinaves espèrent que ce sera le cas de tous les taureaux P à court terme, un objectif ambitieux. La jersiaise suit la même tendance de progression que la holstein avec deux ans de retard.

Belles avancées en montbéliarde...

Le gène existe également dans la population montbéliarde depuis que quelques éleveurs ont utilisé des mâles holsteins rouges sur leurs vaches, il y a plusieurs années. Le gène est ainsi entré dans la race par croisement, un peu par hasard. Umotest s’est intéressé plus récemment au sans-cornes et a pu commencer à travailler ces animaux. Les premiers veaux homozygotes sont espérés pour 2024. S’ils atteignent un niveau suffisant, ils devraient être disponibles en 2025.

Typhon P est l'un des premiers taureaux normands porteurs du gène sans corne. Il a fallu douze ans pour incorporer ce gène dans la race, à partir de femelles pie rouge. (© Synetics)

... Et normande

La situation est moins favorable en race normande puisque, même si des animaux naturellement sans cornes ont été observés, le gène à l’origine de cette caractéristique n’a jamais été identifié. Y parvenir demande énormément de temps et d’investissement. Les équipes d’Innoval ont choisi une autre démarche : incorporer le gène par croisement. En pratique, trois femelles pie rouge portant le gène P ont été choisies et accouplées avec des taureaux normands d’élite. Ce croisement d’absorption permet d’obtenir des animaux autorisés à l’insémination en race normande à partir de la cinquième génération.

Cette technique a bien fonctionné sur deux des souches et au bout de douze ans, des mâles porteurs du gène P ont atteint un niveau génétique suffisant pour être utilisables en élevage. Le premier a été mis en service fin 2022. Aujourd’hui, quatre taureaux normands sans cornes issus de souches différentes sont disponibles. Ils sont utilisés exclusivement via des contrats dans le cadre du schéma de sélection. Ils devraient être accessibles pour tous les éleveurs d’ici à un an. Le travail se poursuit selon la méthodologie utilisée en holstein pour faire monter le niveau génétique des taureaux P, puis pour faire naître des animaux homozygotes. « D’ici à 2030, nous devrions proposer 50 % de taureaux sans cornes dans le catalogue normand », prévoit Jean-Christophe Boittin.

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