De nombreuses associations telles L214, L-PEA (Lumière sur les pratiques d’élevage et d'abattage) ou la Fondation Brigitte Bardot pour ne citer que les plus connues, s’opposent depuis plus d’un an à la « ferme dite des 1 000 veaux » ou plutôt la ferme de Saint-Martial, un centre d’engraissement collectif pour broutards dans la Creuse, qui a été la cible d’un incendie criminel en décembre dernier. À quoi ça sert d'engraisser ? Il me paraît bon de rappeler quelques éléments factuels sur le fonctionnement de la filière viande pour contrer cette overdose d’arguments frauduleux.
La vidéo Youtube publiée par le centre de Saint-Martial cartonne sur les réseaux sociaux.
« Là c’en est trop ! Le 22 décembre 2016, les bâtiments du centre d’engraissement de la SAS Alliance-Millevaches à Saint Martial-le-Vieux dans la Creuse (23) ont été incendiés. Heureusement, les associations ont condamné fermement cet incendie criminel. Les 45 fermes du Limousin qui ont choisi de se regrouper pour créer ce centre d’engraissement collectif ont réalisé une vidéo pour communiquer sur leur projet. Malheureusement, l’incendie s’est déclaré avant sa publication. En quelques jours, la vidéo a fait le tour des réseaux sociaux.
Certains des arguments énoncés par les militants de la cause animale m’estomaquent et surtout me consternent par leur pauvreté et leur méconnaissance du sujet. On peut lire par exemple sur le site de L214 : « Ces jeunes animaux, dont l'espérance de vie peut atteindre 20 ans, seront tués en abattoir à l'âge de 15 mois »…
Voici également ce qu’a écrit Brigitte Bardot en juillet 2015 dans une lettre ouverte adressée au PDG de la SVA Jean Rozé (Intermarché – Les Mousquetaires), partenaire du projet de la Creuse : « Dans ces élevages intensifs, les jeunes animaux sont privés du lait de leur mère, gavés d’antibiotiques, ils n’auront jamais droit aux verts pâturages et ne sortiront de leur bâtiment que pour être conduits à l’abattoir ! »
D’autres organisations, allant de l’extrême droite (Vigilance Halal, l’écrivain Renaud Camus, des élus FN,…) jusqu’à Europe Ecologie - Les Verts se cassent les dents sur le sujet et peinent à trouver des arguments qui tiennent la route. Leur discours est largement relayé par des journalistes parfois peu objectifs, mal renseignés, voire qui rédigent leurs articles avec des idées préconçues.
Je ne suis pas particulièrement favorable au regroupement d’un grand nombre d’animaux sous le même toit, mais je voudrais rétablir quelques vérités pour que ceux qui ne sont pas du métier (ça vaut pour certains journalistes aussi) comprennent un peu mieux pourquoi ces éleveurs français choisissent d’engraisser leurs bovins en France :
- Pourquoi les engraisse-t-on en bâtiment ? Ces « veaux » sont des « broutards » de races allaitantes (des Limousins essentiellement, Charolais, Salers, Aubrac, Blonds d’Aquitaine…). Ces jeunes mâles nés en hiver, après avoir passé près d’une dizaine de mois à courir « les verts pâturages » du plateau des Millevaches et à téter goulûment le lait de leur mère, doivent être sevrés et séparés d’elles avant qu’ils ne commencent à leur faire des petits dans le dos ! Ils sont ensuite engraissés avec des fourrages et des céréales, et du tourteau de colza (non OGM) en bâtiment pendant cinq mois environ avant d’être conduits à l’abattoir. Pourquoi en bâtiment ? Parce qu’à moins de les castrer pour en faire des bœufs abattus à trois ans (le double de temps), les mâles entiers de races françaises ne parviennent pas à s’engraisser à l’herbe pâturée qui n’est pas suffisamment énergétique pour obtenir des carcasses bien « finies » et bien conformées. De plus, un troupeau de taureaux à l’extérieur serait trop risqué à gérer : combat, encornage, risque pour l’éleveur, ou risque de les voir s’échapper de leur enclos s’ils ont flairé des femelles aux alentours.
- Et après, qu’est-ce qu’on en fait ? Il faut savoir que l’entrecôte, le tartare et autre bavette que nous mangeons en France proviennent essentiellement de viande rouge issue de femelles, principalement des génisses de 2-3 ans et des jeunes vaches. Alors que faire des mâles de races allaitantes ? Pour l’essentiel, ils sont exportés en Italie, notre marché historique, et dans les pays du Moyen-Orient qui consomment davantage ce type de viande, moins rouge et moins savoureuse que celle des femelles. Ils sont donc essentiellement consommés en viandes transformées (steak haché, plats préparés, saucisses, charcuterie…) ou bouillies, comme la viande de la plupart des vaches laitières de réforme. Ces jeunes bovins seront principalement destinés au marché des pays méditerranéens (Egypte, Liban, Maghreb, Turquie…) une fois abattus en France.
- Pourquoi les conditions d’élevage ne sont-elles pas meilleures ailleurs ? L’engraissement se ressemble un peu partout dans le monde : cela consiste à alloter une dizaine de taurillons de gabarit homogène pour créer un groupe calme d’animaux qui se connaissent et mangeront tranquillement entre deux séances de rumination sur leur lit de paille. Qu’il y ait 1 000 individus ou 10 cela ne change pas grand chose en termes de conditions animales. Ce n’est pas la taille qui compte ! Au contraire, les nouveaux bâtiments offrent généralement davantage d’espace, de lumière et d’aération que le petit coin aménagé dans l’ancienne étable sombre et humide. Les grands élevages d’engraissement sont très courants dans la plaine de Pô en Italie du Nord et les conditions d’élevage sont rarement aussi bonnes qu’au centre de Saint-Martial où ils ont 4,5 m² de couchage chacun. De plus, engraisser des mâles en restant proche de leur ferme natale leur épargne de nombreuses heures de transport pour traverser les Alpes ou la Méditerranée. Et cerise sur le gâteau, les bovins préfèrent nettement la fraîcheur du Limousin au cagnard italien ou turc ! Néanmoins, il est vrai que regrouper des animaux venus d’élevages différents sous une même stabulation comporte un risque sanitaire non négligeable. C’est pourquoi les nouveaux arrivants sont d’abords placés dans un bâtiment de quarantaine pour observation. Il en va de même pour un élevage italien qui reçoit des camions d’animaux venus de régions différentes. Les antibiotiques ne sont pas utilisés en préventif chez les bovins viande, dans leur alimentation ou ailleurs. Leur usage reste très limité, uniquement en curatif pour soigner un animal malade.
- Pourquoi les éleveurs se regroupent-ils pour engraisser ? Les éleveurs l’expliquent très bien dans leur vidéo : avec seulement une vingtaine de mâles par an chacun, ils n’ont pas la volonté, le temps, le matériel, les surfaces ou les bâtiments adéquats pour engraisser de façon optimale. Un centre d’engraissement collectif offre des économies d’échelle sur le matériel, la main d’œuvre, les achats d’aliments en grande quantité et permet la production d’énergies renouvelables comme le photovoltaïque et le biogaz, très difficiles à mettre en place pour un éleveur allaitant en individuel. La production énergétique du centre de Saint-Martial correspond à la consommation électrique de 900 foyers. En s’associant collectivement, les éleveurs réduisent leurs coûts de production pour être compétitifs sur un marché de la viande international et ils limitent la prise de risque individuel sur leurs investissements. Car l’engraissement est une activité peu rentable et assez aléatoire financièrement puisqu’on ne peut pas savoir à l’avance quel sera le prix de vente de la viande dans cinq mois lorsque l’animal sera prêt à abattre. Engraisser en France permet aussi d’être moins dépendant de la volatilité de la demande du marché international dit « du maigre » (broutard).
- Et si nous conservions plutôt la valeur ajoutée en France ? Produire de la viande française de A à Z, c’est d’abord maintenir des paysages avec des prairies, des territoires ruraux dynamiques et surtout un grand nombre d’emplois peu délocalisables : des éleveurs épaulés par de nombreuses personnes dans la filière en amont (coopératives, négoces, conseils, matériels,…) et en aval (transporteurs, abatteurs, transformateurs, distribution…). Refuser d’engraisser en France et exporter des jeunes animaux vivant en Italie ou ailleurs, c’est aussi perdre une grosse partie de cette valeur ajoutée pour nos régions rurales.
Voilà les raisons pour lesquelles j’estime que ce débat sur les grandes fermes est mal posé et manque d’arguments crédibles en se focalisant sur le bien-être animal. Par contre, ce type de projet devrait questionner les agriculteurs sur les risques "d’intégration" du métier d’éleveur bovin par des groupes de la grande distribution qui viennent s’immiscer dans l’amont de la filière, risquant de les transformer en ouvriers corvéables à merci. Cela sera, je crois, un réel point de vigilance dans les années à venir. »
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