
Principe de précaution. À qui le tour ?
Coluche est parti depuis trente ans, laissant derrière lui les Restos du Coeur, toujours plus cruellement nécessaires chaque jour. Touche pas à ma bouffe ! Une sacrée invention, ce principe de précaution qui permet à la presse de diffuser des informations justement sans précaution. C'est bien ça le problème. Des spéculateurs contribuent chaque jour à ce que des milliers de gosses dans le monde crèvent la gueule ouverte, affamés. Et ça n'émeut personne, c'est le marché. Qu'une personne décède dans nos pays riches, qu'il se puisse « éventuellement – à vérifier – dans l'attente de certitudes » qu'un concombre en soit à l'origine... et patatras, c'est la panique, le scandale ! Une ambiance pour médias et politiques. On s'empresse de faire « mousser » l'événement sans se soucier des conséquences économiques et humaines de ce qui n'est à l'origine qu'une rumeur, une suspicion, un doute. On exploite le « touche pas à ma bouffe ». Ils savent pourtant que la société est capable de réactions disproportionnées lorsque l'estomac est, à tort ou à raison, concerné.
À l'heure où l'on faisait la peau au concombre tueur, plusieurs études scientifiques affirmaient et démontraient l'augmentation de tumeurs au cerveau liées à l'usage du portable, surtout chez les enfants. Mais pas de quoi tétaniser la ménagère de moins de 50 ans. Pas de quoi jeter à la poubelle le portable du chérubin. Pas question non plus de se passer de son petit coucou pendant la récré. En revanche, on va lui dire de ne pas manger de concombre à la cantine, pour qu'il n'ait pas bobo à son petit ventre.
Même si le futile est d'une dangerosité avérée, le « touche pas à ma bouffe », c'est pire encore avec les airbags de nos petites chéries. De plus en plus classique comme cadeau d'anniversaire, la belle paire de doudounes en silicone offerte à l'ado mal dans sa peau. C'est si important pour l'équilibre de la petite bêcheuse de pouvoir faire la cocotte en épatant les copines et faire baver les gamins avec un pare-chocs tout neuf. Opération chirurgicale lourde, à renouveler, et de sérieux doutes sur la nocivité à long terme… peu importe mais surtout, pour leur santé, touche pas à leur bouffe !
Et que dire, avec l'été, du retour des régimes minceur et de la perspective de promener son petit popotin sans cellulite sur les plages ? Pour y parvenir, tous les moyens sont bons, y compris les poudres de perlimpinpin en vente sur internet. Les mises en garde alarmistes du corps médical n'enrayent pas le phénomène. Troubles physiques, psychiques, métaboliques… rien n'y fait. On verra ça à la rentrée. Mais touchez pas à leur bouffe, elles n'ont pas envie de louper, à cause d'une gastro, de précieuses minutes d'exposition de viande décharnée. Partout, dans tous les domaines, les mises en garde scientifiques pleuvent : tabac, alcool, cannabis, jeux vidéo abrutissants, sites de débauche, blogs violents, et j'en passe. Mais non, rien n'y fait. Avant tout, ils veulent savoir s'ils peuvent manger en toute sécurité. On touche pas à leur bouffe !
Avec les présidentielles, la surenchère dans l'absurdité risque de monter en puissance. Les écolos qui n'ont pas trop abusé des graines de soja germées bio vont se faire un plaisir d'effrayer le bobo en agitant l'épouvantail des OGM.
Et, cerise sur le gâteau, voilà le retour des farines animales, un fonds de commerce pour les toqués de la cuisine démagogique.
Une petite histoire à la Coluche pour finir.
Il était une fois un concombre qui fait une grosse bêtise dans une chambre d'hôtel à New York. Il bénéficie de la présomption d'innocence, lui… une chance pour les femmes de chambre. Avec l'application du principe de précaution, en attendant le jugement, elles auraient dû bosser avec une ceinture de chasteté…
ÉRIC CROUHY
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