La crise n'est-elle que conjoncturelle ?
Jean-Pierre Carlier : La crise qui touche tous les pays de l'UE est due au recul des importations chinoises et russes dans un contexte de croissance soutenue de l'offre. S'ajoutent pour la France des éléments plus structurels. Même si nous disposons de nombreux atouts (prix du foncier, disponibilités foncières, rendement fourrager...) et connaissons depuis dix ans un mouvement soutenu de modernisation, certains handicaps structurels subsistent : en 2020, on approcherait 30 % de vaches laitières dans des étables de plus de 100 vaches alors qu'on était déjà à 42 % en Allemagne en 2013. Par ailleurs, près de 38 % de nos chefs d'exploitation ont plus de 50 ans. Face à cette crise conjoncturelle, il était logique que le gouvernement prenne des mesures pour aider les éleveurs en grande difficulté. Mais aujourd'hui, l'essentiel est ailleurs : redonner espoir aux exploitations qui, bien que compétitives, risquent de ne pas pouvoir financer leurs indispensables investissements de modernisation-agrandissement pour rester durablement rentables et compétitives dans un contexte intra-européen concurrentiel.
Comment redonner espoir à ces éleveurs d'avenir ?
J.-P. C. : En ayant le courage de mettre en oeuvre une politique ambitieuse d'investissements. Elle pourrait avoir pour objectif, sur cinq ou six ans, le financement de 3 milliards d'euros supplémentaires pour participer à la modernisation, la concentration et le rajeunissement du secteur laitier français en priorité. L'État et les collectivités territoriales ayant leurs caisses vides, c'est à la profession agricole d'agir. La FNSEA, après la Libération, s'est créée sur la base de l'unité syndicale au service d'une agriculture en développement et solidaire. Même fondement plus tard pour le CNJA. Concrètement, aujourd'hui, les agriculteurs des grandes cultures doivent marquer leur solidarité avec les éleveurs d'avenir en augmentant leurs contributions (CVO) permettant à leurs « banques », Unigrains et Sofiprotéol, d'apporter 2 milliards d'euros, focalisés sur les élevages rentables et durables. Ces 2 milliards pourraient profiter à 20 000 exploitations avec un financement moyen de 100 000 € par atelier lait. Il n'est pas utopique que Sofiprotéol et Unigrains mettent en place des prêts à long terme, à taux d'intérêts très bas et, si nécessaire, avec des différés de remboursement les premières années. Ainsi, le président de la FNSEA pourra parler haut et fort au gouvernement, au Parlement, à Bruxelles, à ses « minoritaires » et aux banques. Ces dernières pourraient aussi contribuer à des financements supplémentaires à hauteur de 1 milliard d'euros pour des investisseurs porteurs d'avenir dans 10 000 exploitations et dans 100 à 200 entreprises valorisant les productions animales.
Imaginez-vous d'autres actions ?
J.-P. C. : Il est aussi essentiel de procéder à un important rééquilibrage des aides de la Pac en faveur des productions animales et des régions d'élevage. Michel Barnier y avait oeuvré lors du bilan de santé de la Pac. Stéphane Le Foll, au moment de décider de mettre en musique le règlement des aides directes de la nouvelle Pac, voulait privilégier les exploitations d'élevages bovins. Ce fut trop timide et surtout au bénéfice des zones herbagères de montagne. La France peut encore redistribuer de manière différente des aides directes au profit des éleveurs. Elle peut aussi transférer un volume plus important d'aides du 1er au 2e pilier (comme en Allemagne) afin d'intensifier les fonds dédiés aux investissements dans la modernisation des bâtiments d'élevage, au développement des produits à forte identité qualitative et aux mesures agroenvironnementales. On sait par avance que la difficulté sera politique, cette réorientation des aides, à volume constant du montant global décidé pour la France, mécontentant le puissant lobby des grandes cultures.
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