« Les lactations longues apportent de la souplesse »

Article réservé aux abonnés.

troupeau mixte holstein et normande
Parmi les 8 vaches recensées en lactation longue en cette fin d’année, deux sont normandes. Les six autres sont des holsteins. Elles ne reflètent pas la proportion des deux races dans le troupeau d’Aurélie Sébault : 43 %.chacune (© C.Hue)

Aurélie Sébault, éleveuse dans l’Orne, a participé à l’enquête de l’Inrae et VetAgro Sup de Clermont-Ferrand sur les lactations longues et très longues. Avec son conjoint, David, elle vient de tarir ou de réformer une petite dizaine de laitières, dont la durée moyenne de production est de 535 jours.

Au dernier pointage d’Aurélie Sébault, cinq des 14 vaches taries ont mené une lactation entre 391 jours et 468 jours et trois des sept laitières réformées mi- octobre achevaient une lactation de 550, 617 et… 980 jours. « Cette dernière, une holstein en troisième lactation, a produit 20 083 kg de lait, soit 20,5 kg par jour. Elle est mon record. Elle a exprimé trois chaleurs qui n’ont pas abouti à une gestation, puis elle n’a plus envoyé de signes », raconte l’éleveuse. Elle conduit, avec son conjoint David, un troupeau de 109 vaches à côté de Flers (Orne), secteur reconnu pour son haut potentiel fourrager. Six de ces huit vaches en lactation longue sont des holsteins avec une moyenne de 21,8 kg de lait par jour. Les deux autres sont de race normande avec 17 kg par jour réalisés sur 430 et 448 jours. « Ce n’est pas étonnant qu’il y ait moins de normandes concernées car elles produisent moins longtemps. »

Respecter le rythme de l’animal

Aurélie Sébault ne veut pas faire rentrer ses vaches dans un modèle de production normé. Elle préfère développer une conduite à l’animal. L’ostéopathie qu’elle pratique sur le troupeau depuis plusieurs années l’y encourage. Un suivi mensuel ostéopathique et de la reproduction est également assuré par la coopérative d’insémination artificielle Origenplus. « Si nous visions un système régulier basé sur l’ensilage de maïs, ces vaches n’auraient pas leur place dans le troupeau, estime-t-elle. Nous avons décidé, il y a cinq ans, de lever le pied du “toujours plus”. »

Le couple a réduit de moitié la surface en maïs et a créé des paddocks de 1 ha sur 35 ha. Il ferme le silo de maïs-ensilage de la mi-avril – quand les conditions météo s’y prêtent – à la mi-août ou début septembre. L’enrubannage complète l’herbe pâturée l’été. « Avec un niveau d’étable de 7 900 litres par vache, nous ne cherchons pas à pousser nos laitières. Elles sont inséminées à partir de 50 jours, mais seulement si elles manifestent des signes de chaleur. » La contrepartie de leur système pâturant est une ration sans cesse à adapter, car les valeurs de l’herbe varient souvent, traduites par le taux d’urée dans le lait. « Peut-être cette conduite alimentaire perturbe- t-elle le retour à la reproduction de certaines laitières mais ce n’est pas gênant. Pourquoi faudrait-il que les vaches aient un veau par an ? Cela dépend de chaque individu », affirme-t-elle. Même si l’activité physique liée au pâturage et aux allers-retours entre la salle de traite et le paddock limite leur engraissement, ces vaches ont tendance à épaissir en fin de lactation longue. Leur capacité d’ingestion est plus élevée que ce que nécessite leur production laitière, ce qui favorise les réserves corporelles. L’alimentation en ration semi-complète permet d’ajuster la quantité de concentrés à leur besoin.

vâches laitères au paturage
Grâce aux sols portants, les vaches pâturent 9 à 10 mois dans l’année dont quatre mois avec le silo de maïs-ensilage fermé. Les lactations longues trouvent facilement leur place dans ce système herbager. (© C.Hue)

Des intérêts multiples

En plus du respect du rythme des animaux, Aurélie identifie trois intérêts aux lactations longues. Leur état corporel ne nécessite pas une finition avant leur réforme. Leur départ peut être décidé du jour au lendemain en fonction du nombre de places qu’il faut libérer dans la stabulation laitière pour accueillir les primipares. Enfin, moins de veaux sont élevés dans l’année. « J’ai du mal à me séparer des animaux », confie-t-elle par ailleurs.

Ces arguments sont également évoqués par les 43 autres éleveuses et éleveurs répartis dans toute la France. Comme elle, ils ont répondu à l’enquête de l’unité mixte de recherche (UMR) sur les herbivores de Clermont-Ferrand, qui rassemble VetAgro Sup et de l’Inrae (1). Leur type d’exploitation est très varié, avec des niveaux d’étable entre 4 000 et 12 700 litres. « Leur premier critère au maintien d’une vache en lactation longue est la persistance de la production. Leur deuxième est le niveau de production et la qualité du lait », détaille Audrey Michaud, enseignante-chercheuse à VetAgro Sup de Clermont-Ferrand. En revanche, l’avis des éleveurs diverge sur la définition de la lactation longue : 39 % la fixent à plus de 350 jours, 29 % à plus de 450 jours et 32 % à plus de 18 mois. Aurélie Sébault la positionne à plus de 400 jours. « Ces profils ne concernent que quelques vaches dans leur troupeau. Ils ne renvoient pas à une conduite spécifique. C’est une gestion au cas par cas », souligne l’enseignante-chercheuse.

Holsteins : 14 % de lactations d’au moins 550 jours

L’UMR Herbivores a élargi son travail d’enquête par l’analyse de 82 182 lactations de plus de 18 mois contrôlées et enregistrées dans la base de données du système national d’information génétique de 2015 à 2020. « Deux questions guident cette étude, indique Luc Delaby, de l’Inrae. La première : l’allongement des lactations peut-il être une des solutions pour avoir moins de veaux laitiers mâles car leur prix de vente est faible à certaines périodes de l’année ? La deuxième : serait-il judicieux pour les holsteins qui ont du mal à se reproduire ? Même si la dégradation de leur fertilité a été stoppée par sa prise en compte dans les critères de sélection, elles éprouvent toujours des difficultés à se reproduire dans un intervalle de trois mois après le vêlage. » L’UMR Herbivores s’est concentrée sur les vaches holsteins qui constituent 85 % des lactations étudiées. « Quatorze pour cent des lactations holsteins sont longues ou très longues : 10 % entre 550 jours et 730 jours et 4 % au-delà », détaille le chercheur.

Les primipares n’y sont pas plus représentées que les multipares. « Nous faisions l’hypothèse du contraire car la durée de vie des cellules mammaires sécrétrices est plus longue chez les primipares. En fait, quel que soit leur rang de lactation, ces vaches ont une meilleure persistance laitière. »

Des vaches très persistantes

Cette persistance s’illustre entre les 200 et 300 premiers jours. « À 300 jours, les multipares produisent encore 25 kg par jour alors que celles en lactation normale à 365 jours sont descendues à 18 kg », pointe Fabienne Blanc, également enseignante-chercheuse à VetAgro Sup de Clermont-Ferrand. On retrouve cette persistance au tarissement. Au dernier contrôle, l’écart entre les laitières « longues » à « très longues » et les « normales » n’est que de 5 kg/jour aux dépens des premières : 13,5 kg, contre 18,4 kg. « Cette aptitude exceptionnelle à maintenir leur production est-elle génétique ou est-elle liée à l’absence de gestation qui a un impact négatif sur la production ? », s’interroge Fabienne Blanc. En effet, de 62 % à 88 % d’entre elles ne revêlent pas. N’étant pas taries, ces laitières disposent également de soixante jours de traite de plus.

Sans surprise, ces grandes productrices rencontrent des difficultés à se reproduire, confirmées par leur taux d’insémination : elles le sont à plus de trois reprises, contre en moyenne 1,3 fois pour les « normales ». Les éleveurs ont la volonté qu’elles retournent en gestation, mais en retardant la première IA à 5 mois.

Abaisser la densité énergétique de la ration

Pour celles qui revêlent, il faut gérer leur engraissement en fin de lactation. Il n’y a pas de pratique miracle pour l’éviter. « Réduire la densité énergétique de la ration est le principal levier », juge Yann Martinot, directeur technique d’Elvup (Orne). En ration semi-complète, cela passe par la forte réduction ou la suppression du concentré. Les rations que fournissent les systèmes herbagers sont également moins riches en énergie. L’autre levier est le type d’énergie apportée. « Il faut proscrire le maïs sous forme de grains ou de maïs épi, par exemple. Il favorise la reprise d’état », pointe-t-il. Si les lactations longues ne relevaient pas d’une gestion au cas par cas mais d’une véritable stratégie, la meilleure solution serait de conduire le troupeau en deux lots pour ajuster leur alimentation à leurs besoins. « Mais la taille des troupeaux actuels ne s’y prête pas », constate le nutritionniste.

Le troisième levier est une période de tarissement de trois à quatre mois plutôt que de deux. « Ce n’est pas idéal car les vaches ont du mal à lancer une nouvelle lactation à cause des papilles de leur rumen moins développées. Néanmoins, grâce à leur amaigrissement, elles risqueront moins des problèmes métaboliques après le vêlage. »

Pour les chercheurs de l’UMR Herbivores, il faudrait détecter dans les deux premiers mois celles capables de produire plus longtemps. Pour l’instant, il n’existe pas d’indicateurs physiologiques. Cela fera l’objet de futurs travaux de recherche.

(1) L’étude sera présentée à l’occasion des journées 3R des 4 et 5 décembre.

Réagir à cet article
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo

« L’IA ne remplace pas notre métier, elle le facilite »

Monitoring

Tapez un ou plusieurs mots-clés...