DIX ANS DE RECUL SUR UN SYSTÈME HERBAGER RADICAL

Avec une distance parcourue sur les chemins estimée à 400 km/an, la sélection du troupeau est axée notamment sur la solidité des aplombs.© J.P.
Avec une distance parcourue sur les chemins estimée à 400 km/an, la sélection du troupeau est axée notamment sur la solidité des aplombs.© J.P. (©)

L'expérience de la ferme expérimentale de Mirecourt, dans les Vosges, démontre la faisabilité d'une conduite 100 % herbe et zéro concentré, à condition d'écrêter le pic de lactation pour préserver la fécondité du troupeau.

PAS LE MOINDRE GRAMME DE CONCENTRÉ PAR VACHE QUEL QUE SOIT LEUR STADE PHYSIOLOGIQUE et 85 % de la production laitière assurée au pâturage, sur un assolement composé exclusivement de prairies permanentes. C'est sur ce principe qu'est conduit le troupeau biologique de la ferme de l'Inra à Mirecourt (Vosges) depuis 2004. Il comprend 20 vaches holsteins et 20 montbéliardes, en vêlages groupés sur trois mois d'hiver et 77 ha d'herbe. L'alimentation repose sur le pâturage et le foin séché au sol, de sorte que les achats extérieurs se limitent à 10 t de paille pour la litière, 140 kg de minéraux et 4 t de grains pour l'élevage des veaux. Il faut préciser qu'un second troupeau certifié AB est conduit en parallèle sur la ferme. Plus classique, il compte 60 holsteins en vêlages d'automne et 153 ha de SAU, dont 57 ha de céréales. Ces deux troupeaux ont en commun le matériel de fenaison, la salle de traite, et une référence laitière de 600 000 litres. Un moyen de lisser la forte saisonnalité des livraisons induite par le système herbager.

UNE MISE À L'HERBE TRÈS TÔT EN SAISON

Le site de Mirecourt se trouve dans la plaine des Vosges. Un territoire de polyculture-élevage sous climat semi-continental, caractérisé par des précipitations annuelles de 850 mm assez bien réparties, des hivers froids et des étés secs ponctués d'orages et de variations de températures parfois brutales. « Le démarrage en végétation des prairies commence en mars pour s'achever en octobre, indique Jean-Louis Fiorelli, coordinateur de l'étude. Les terres lourdes, très argileuses qui rendent difficiles les opérations culturales et la conduite du pâturage au printemps et à l'automne, sont la principale contrainte de cet environnement. » Dans ce contexte, l'objectif est de maximiser le pâturage. Les vaches ont 34 ha de pâtures accessibles, soit une vingtaine de parcelles de 1 à 2 ha. Un second bloc de 44 ha d'herbe est dédié aux génisses et à la fauche. La sortie à l'herbe se fait progressivement en mars. Elle consiste en un déprimage rapide de toute la surface accessible. « Même s'il y a encore peu d'herbe, la surface mise à disposition permet d'alimenter les animaux de façon conséquente. Le déprimage dure jusqu'à fin avril, ensuite commence la phase de pâturage vrai. » Au cours de ce deuxième cycle, la surface pâturée est en moyenne de 40 ares/VL, soit l'équivalent de 16 ha sur les 34 accessibles.

Le reste est destiné à la constitution d'une trésorerie fourragère. L'objectif est de constituer un stock d'herbe pâturable de 35 jours d'avance au 1er juin, afin de passer l'été sans fourrage complémentaire lorsque la pousse est ralentie. Cette pratique amène à faire pâturer en été des parcelles où l'herbe s'est accumulée après le déprimage (voir encadré). Elle est bien consommée et couvre les besoins de production de 15 à 17 kg de lait sans complémentation. Les refus sont systématiquement fauchés pour servir de litière dans les logettes. « L'important est de maximiser le temps de pâturage. En contrepartie, il ne faut pas avoir peur des variations de lait dans le tank. » Ainsi, depuis 2005, le temps de pâturage moyen s'élève à 246 jours/an, pour une surface pâturée de 0,74 are/VL : de 1 ha/VL en phase de déprimage, à 0,40 are au printemps, puis 0,80 are en été, pour finir à plus de 1 ha en fin d'automne.La consommation de foin s'élève à 2,4 t de MS/VL/an. Elle est couverte d'une part, par la fauche de 20 ha au minimum sur le site génisses et, d'autre part, par les excédents de pâturage sur le site des vaches laitières. C'est à l'issue de la première coupe, réalisée début juin, qu'un premier bilan fourrager permet d'ajuster les effectifs animaux au stock disponible pour l'hiver. C'est la clé d'un système autonome qui s'interdit d'acheter des fourrages. S'il reste vingt jours d'avance au pâturage fin juillet, certaines parcelles sont fauchées en regain. Ainsi, les années favorables à l'herbe permettent de conserver et d'élever quelques mâles.

Sur la base d'un rendement des prairies de 5,5 t de MS/ha, obtenu avec une fertilisation de 20 t de lisier sur les parcelles de fauche, le chargement moyen s'élève à 0,9 UGB/ha, soit 39 vaches présentes et une production de 190 700 kg de lait : 38 % des livraisons sont réalisées au printemps, 31 % en été et 16 % en automne avant la rentrée à l'étable, qui intervient au plus tôt le 14 novembre (en 2013) et au plus tard le 4 décembre (en 2011).

UN DÉMARRAGE EN LACTATION AU FOIN, SANS COMPLÉMENTATION

Les 15 % restants sont produits en fin d'hiver, après l'arrêt de la traite entre le 15 décembre et le 15 janvier, date des premiers vêlages programmés à trois ans. Les vaches sont taries en fin de saison de pâturage, dès qu'elles descendent en dessous de 8 l/jour et au plus tard deux mois avant la mise bas : « Elles restent dans un box sans eau, avec de la paille à volonté pendant deux jours. Ensuite, les quartiers sont vidés, nous posons un obturateur et elles passent au régime hivernal tout foin. Les vaches en déficit d'état corporel (note 1,5) sont taries plus longtemps (trois mois) et restent autant que possible au pâturage pour reconstituer leurs réserves. »

Initialement, la mise à la reproduction avait lieu entre mai et juillet pour des vêlages groupés entre le 15 février et le 15 avril. C'est-à-dire que le pic de production intervenait à une période où l'herbe est riche et abondante, sans complémentation énergétique. « Nous avons fait face à un effondrement des résultats de reproduction, surtout avec les holsteins, se souvient Jean-Louis Fiorelli. À la fin de l'année 2006, seule une vache sur deux était gestante ! Deux corrections ont alors été mises en oeuvre : une première, à court terme, a consisté à prolonger la lactation des vaches vides, pour les remettre à la reproduction entre avril et juin 2007. Ainsi, nous avons pu, dans un second temps, grouper les vêlages un mois plus tôt, entre le 15 janvier et le 15 mars, pour un démarrage en lactation au foin en plat unique. Cette ration, beaucoup moins lactogène, limite l'expression du pic de lactation, donc l'ampleur du déficit énergétique, et les pertes d'état corporel néfastes à la reproduction. Le troupeau démarre en moyenne à 16 kg de lait, mais remonte facilement à 19 kg après la mise à l'herbe, avec une réactivité beaucoup plus marquée des holsteins. » Depuis 2009, le taux de vaches fécondées est de 79 % : 88 % pour les montbéliardes, mais seulement 65 % en holstein ! Aussi, pour maintenir l'équilibre entre les deux races, chaque année, deux ou trois vaches vides font des lactations prolongées (579 jours). Elles sont traites en hiver avec le second troupeau de l'exploitation qui, lui, produit toute l'année. Les autres vaches vides sont réformées. À titre de comparaison, les holsteins en lactation prolongée ont produit 10 388 kg de lait en 584 jours, à 44,2 de TB et 34,8 de TP : « Elles peuvent descendre à 9 l/j en hiver et remonter à 16 l après la mise à l'herbe. » Mais en moyenne, au cours d'une lactation normale, elles produisent 5 103 kg en 276 jours à 41,9 de TB et 31,9 de TP. Les montbéliardes en lactation prolongée ont produit 8 790 kg en 573 jours, à 45,7 de TB et 36,8 de TP, et 4 911 kg en 274 jours, à 42,2 de TB et 32,2 de TP.

Le choix des accouplements se fait sur des index laitiers faibles (+ 600 litres au maximum). « L'objectif est de privilégier la solidité des aplombs, la santé de la mamelle et la reproduction. Ce faisant, nous constatons au fil des années une diminution du gabarit des animaux. Ceci présente l'intérêt de limiter le matraquage des pâtures, même si certaines vaches deviennent presque trop petites par rapport à la longueur des quais de traite. La nature des troubles de santé a également été modifiée : mammites et cellules sont presque un souvenir. Par contre, il y a plus de boiteries et cela concerne davantage les montbéliardes aux onglons clairs. Il n'y a donc pas de vache idéale ! Néanmoins, nous aurions sûrement abandonné la holstein dès la première année face aux problèmes de reproduction qui remettaient en cause la viabilité du système. »

64 296 € D'EBE, POUR UN ÉQUIVALENT TEMPS PLEIN

La compression des charges autorise un niveau d'EBE de 64 296 € dans un système qui requiert un temps de travail estimé à un équivalent temps plein et des surfaces disponibles pour répondre aux enjeux de l'extensification.

« Dans tous les cas, passer de 1 000 kg de concentré/VL à zéro était sans doute trop brutal, car il faut du temps pour reconstruire une cohérence : un temps d'adaptation pour les animaux, voire les parcelles, mais aussi et surtout pour l'éleveur qui doit accorder ces nouvelles pratiques et ses propres valeurs. » Concernant la saisonnalité des livraisons, elle ne semble pas être rédhibitoire, à condition qu'un lissage s'opère à l'échelle de la zone de collecte. « C'est une réalité chez beaucoup de producteurs bio, dont certains arrêtent la traite pendant une période plus ou moins longue en hiver, explique-t-on chez Biolait. Mais ils s'intègrent dans une collecte nationale dont la saisonnalité est corrigée par des systèmes plus lissés, incités à produire par une politique de prix attractive en morte-saison. »

JÉRÔME PEZON

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

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