« Accepter les projets individuels ne nuit pas à une stratégie commune »

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(© Did)

Lors de l'arrivée de jeunes associés, la stratégie d'une exploitation laitière peut vite être chamboulée. Chacun doit arriver à trouver sa place et pouvoir s'épanouir dans ses projets. Mais ceux-ci ne sont pas toujours partagés. Notre consultant donne des pistes pour trouver un équilibre.

LA SITUATION

À 58 ans, Jean-Michel et Isabelle souhaitent lever le pied. Partis d’un troupeau de 40 vaches il y a trente ans en installation hors cadre familial, ils l’ont doublé durant leur carrière. L’extension de la stabulation initiale et la construction d’un bâtiment pour les génisses ont accompagné cette évolution. Avec 220 hectares, dont 80 en prairies permanentes et temporaires, la structure a une double activité de cultures et d’élevage. Ils se réjouissent de l’arrivée de leurs enfants, Camillia et Matthieu, âgés de 29 ans et 26 ans. Actuellement salariés de l’exploitation, il est prévu qu’ils rejoignent le Gaec de leurs parents le 1er janvier 2026. Le hic, c’est que le frère et la sœur ne partagent pas les mêmes objectifs. Les parents doutent du bien-fondé de l’installation de leurs enfants ensemble. L’autre enjeu est de faire concorder les personnalités des quatre futurs associés.

LA PERSONNALITÉ DES FUTURS ASSOCIÉS

Jean-Michel a toujours un projet sur le feu. Laisser les autres prendre une décision lui est difficile. Le regard des autres lui importe peu. Par exemple, une ferme pas très bien rangée, une tâche inachevée ne le dérangent pas. C’est tout le contraire chez Matthieu qui est maniaque. Il est important pour lui de prouver par des signes extérieurs (matériels, par exemple) sa réussite. Il se fixe des objectifs élevés, travaille dur pour y arriver et n’accepte pas l’avis des autres. Ses propos peuvent être blessants. Camillia est plus posée, mais n’en est pas moins aussi jusqu’au-boutiste que son frère. Le père et les deux enfants ont en commun le besoin d’échanges et de convivialité, soutenu par Isabelle pour qui des relations harmonieuses sont le moteur. Elle est malgré tout capable de prendre des décisions rapidement.

LES POINTS DE BLOCAGE

La structure actuelle répond à la vision de Camillia sur l’agriculture : un équilibre entre élevage et cultures, qui préserve la biodiversité grâce aux prairies. Elle voudrait accentuer le lien au terroir par la transformation de 10 % à 20 % de la production laitière en crème. De son côté, Matthieu ambitionne de développer le troupeau laitier, pourquoi pas en le doublant. Il est aussi attiré par les cultures, aimant la conduite des engins agricoles. Jean-Michel juge ce projet économiquement irréaliste, d’autant plus qu’il reconstitue progressivement avec Isabelle la trésorerie de l’exploitation grâce au prix du lait élevé. Les échanges entre Matthieu et lui sont explosifs. Fatiguée, Isabelle a envie de jeter l’éponge en cédant dans trois ou quatre ans la ferme à un voisin.

TROIS SOLUTIONS TROUVÉES

1. Camillia et Matthieu testent leur capacité à travailler ensemble

Isabelle et Jean-Michel ont confiance dans les compétences techniques de leurs enfants et n’hésitent pas à leur laisser les manettes durant une petite période. Volontairement, ils ont pris quatre semaines de vacances pour les obliger à gérer ensemble l’exploitation. Le tête-à-tête forcé de la sœur et du frère est un bon exercice de collaboration. Affranchis de l’arbitrage de leurs parents, ils sont obligés de s’écouter. Tous les lundis matin, ils ont établi le planning des tâches hebdomadaires et du règlement des problèmes qui se présentaient. Le test est réussi. Camillia et Matthieu ont gagné en confiance l’un envers l’autre, mais aussi en eux-mêmes. Ils ont su adoucir leur forte personnalité pour créer une communication fluide et respectueuse.

2Laisser la place aux projets individuels

Les parents et les deux enfants ont à cœur de poursuivre l’exploitation dans un cadre familial. Ils partagent le même souci de consolider la trésorerie et de baisser l’endettement. Ce socle commun ne doit pas empêcher la réalisation de projets individuels, qui ne motivent pas les autres associés. Il a été convenu que Matthieu crée sa propre ETA dans trois ou quatre ans pour satisfaire son goût pour les engins agricoles. De même, Camillia pourra créer sa petite entreprise pour transformer 10 % à 20 % du lait de l’atelier en crème. Il reste à définir les modalités de ces activités annexes. Cette écoute apaise les deux jeunes.

3Une réunion tous les lundis matin pour faciliter la communication entre les quatre futurs associés

Cet échange hebdomadaire permet d’organiser le travail de la semaine. Dans un cahier sont notées les décisions prises pour éviter les malentendus. L’écoute de l’autre y est encouragée par la mise en place d’une technique de communication : dire une fierté de la semaine précédente et exprimer ses besoins pour les sept prochains jours. Une réunion trimestrielle, au restaurant par exemple pour changer de cadre, est également fixée pour élargir les échanges à la stratégie de l’entreprise et faire le point sur les projets et souhaits de chacun.

MES CONSEILS

Notre coach, Tony Daume, consultant en accompagnement humain à CERFrance Orne.

Se mettre à la place de l’autre. Connaître la personnalité, le fonctionnement et les besoins de ses associés est indispensable pour partager sans friction le travail et les décisions. Cela signifie, par exemple, pour Matthieu d’accepter qu’une tâche que le Gaec a décidé de confier à Jean-Michel soit moins bien réalisée que si lui-même l’avait effectuée. Il faut se demander quelle est la raison qui incite son associé(e) à agir de cette façon. Dit autrement, enfiler les chaussures et la cotte de travail de l’autre aide à mieux comprendre ses motivations, mais aussi ses blocages.

Accepter les changements familiaux. Constituer une structure sociétaire entre parents et enfants modifie les relations familiales. Pour les premiers, cela passe par un subtil équilibre entre renoncement à leur autorité parentale et accompagnement des jeunes dans leurs premiers pas de chefs d’entreprise. Les laisser expérimenter en fait partie. Les seconds accèdent au même niveau de décision que leurs parents, ce qui peut être source d’affrontements. Reconnaître et comprendre le travail accompli jusque-là par les parents aidera à adoucir leur regard, s’il est critique.

Établir des règles de fonctionnement. Institutionnaliser les réunions hebdomadaires et trimestrielles est nécessaire. On peut leur donner un cadre, en premier lieu physique, par l’aménagement d’un bureau dans un bâtiment de l’exploitation. Cela évite de les organiser dans la maison de l’associé ou des associés qui habitent sur place. Leur apporter de la convivialité (autour d’un café, par exemple) si au moins un des associés y est sensible, créer les conditions de l’écoute en mettant en stand-by le téléphone portable, attendre que l’associé ait fini sa phrase, etc.

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