« Prendre soin des microbiotes, du sol jusqu’à la traite »

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Pauline Woehrlé, consultante et formatrice en élevage : « L’idée est de passer d’une approche hygiéniste – tout désinfecter – à une approche basée sur le maintien d’équilibres microbiens. » (©N.Tiers)

Les microbes sont partout, parfois utiles, parfois indésirables. Chercher à les éradiquer est illusoire, voire contre-productif. Si un équilibre microbien est à privilégier, comment l’atteindre et le préserver ? Le point avec Pauline Woehrlé, consultante et formatrice en élevage.

Vous proposez une formation intitulée « Tous éleveurs de microbes » : que cela signifie-t-il ?

Pauline Woehrlé : De nombreux micro- organismes sont présents dans une exploitation laitière : dans l’air et les bâtiments, dans le rumen des animaux, dans leur alimentation, les prairies, les sols, les litières, etc. Ces microbes sont partout. Ce sont des bactéries, des champignons, des levures, des virus, des micro-algues. Ils évoluent dans un espace continu constitué d’hôtes vivants (animaux, éleveurs, plantes), de leurs microbiotes et de l’environnement. L’Inrae parle d’holobiontes pour désigner ces hôtes et l’ensemble de leurs microbes. On parle aussi de One Health, une santé unique ou globale, partagée entre l’environnement, les animaux et les humains.

Pourquoi faut-il se prémunir de certains microbes et en préserver d’autres ?

P. W. : Il existe des microbes intéressants, des microbes neutres et certains pouvant être pathogènes. Les problèmes viennent des contextes ou des terrains où ils se trouvent. Par exemple, la présence de la bactérie Escherichia coli dans les bouses est naturelle et pas gênante en soi. Mais dans un atelier de transformation de lait cru, elle doit être évitée à tout prix. L’idée est de passer d’une approche hygiéniste – tout désinfecter – à une approche basée sur le maintien d’équilibres microbiens. Dans un élevage en situation équilibrée, on a tout intérêt à raisonner les produits biocides. Car certains microbes y survivent, bénéficiant de tout l’espace pour se multiplier, et pouvant alors devenir problématiques.

Quelle est l’utilité de certains microbes ?

P. W. : Prenons le cas du rumen : il est rempli de microbes ou micro-organismes, dont la moitié sont des protozoaires, c’est-à-dire des cellules équipées d’un noyau contrairement aux bactéries. On y trouve aussi des bactéries, champignons, levures, virus. Tous ces micro-organismes sont utiles dans la dégradation des fourrages ingérés, et opèrent des régulations entre eux : des virus, par exemple, régulent des populations bactériennes. La qualité de ce microbiote ruminal est le résultat de la qualité microbienne de l’alimentation, de l’environnement de vie des animaux, de la vie microbienne des sols.

Autre exemple : la plupart des bactéries faisant chauffer les litières sont aérobies. On peut donc les contrôler en roulant la litière afin de les priver d’air. On peut aussi ensemencer la litière avec des bactéries lactiques positives afin qu’elles occupent l’espace et empêchent l’installation des bactéries indésirables. Certains éleveurs transformant leur lait utilisent leur petit-lait. On peut aussi avoir recours à du kéfir.

Comment établir un diagnostic sur son exploitation ?

P. W. : On peut bien sûr réaliser des analyses : de l’eau, du lait de tank, et même des analyses de litières ou des profils microbiens de sols. Toutefois, certaines sont coûteuses. On peut aussi très simplement faire cailler du lait afin d’observer son aspect. Les éleveurs pratiquant la transformation fromagère connaissent bien cette méthode. Un caillé de bonne qualité est homogène, avec un aspect de gel, un peu comme un yaourt. S’il est spongieux avec des bulles, il contient peut-être des bactéries coliformes. Par conséquent, il peut être intéressant de se pencher sur l’hygiène de traite. Enfin, si le caillé demeure liquide, cela traduit la pauvreté du milieu en bactéries lactiques, et donc un environnement de vie pour les animaux peu riche en bactéries positives. On peut éventuellement ensemencer le milieu, ou revoir certaines pratiques si le contexte sanitaire le permet : par exemple passer d’un trempage à l’iode à un trempage à l’acide lactique. Enfin, au quotidien, il faut être attentif à l’odeur et au pH des fourrages pour détecter d’éventuelles dérives fermentaires.

Comment favoriser les microbes positifs dans son élevage ?

P. W. : Il n’existe aucune solution miracle. La base, c’est un sol en bonne santé, vivant, peuplé d’une diversité microbienne. Il faut imaginer que le microbiote du sol est le début d’une chaîne que l’on va dérouler tout au long de l’exploitation, donc on en prend soin et on l’entretient. On peut notamment limiter le travail du sol et l’emploi des produits phytosanitaires pour favoriser cette diversité.

Ensuite, il faut travailler sur la qualité des fourrages, bien tasser les ensilages, ajouter si besoin des conservateurs. Concernant la ration, il faut surtout veiller à la cohérence du système. La quantité de microbes présents et leur diversité seront différentes entre du foin de prairie naturelle séché en grange et une ration maïs-soja-paille. L’important est d’avoir une ration bien réglée et un continuum microbien équilibré.

Le kéfir est un lait fermenté fabriqué à la ferme à partir de ferments lactiques. Ceux-ci peuvent être achetés ou naturellement présents dans la ferme. C’est un produit intéressant pour nourrir les veaux, mais aussi pour pulvériser les litières ou les aires d’exercice. (© N.Tiers)

C’est pourquoi les transitions alimentaires sont essentielles afin d’éviter de briser trop brutalement un équilibre : tous les nutritionnistes conseillent six semaines au minimum. Pour les jeunes animaux, on peut favoriser la qualité du colostrum via l’alimentation des vaches taries. On peut également utiliser du kéfir. Toutes ces attentions vont conduire à des bouses équilibrées, donc à une gestion de litière plus facile, de même pour l’hygiène de traite.

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