« LA MÉTHANISATION A UN IMPACT POSITIF SUR MON EXPLOITATION »

REPORTAGE PHOTOS © THIERRY PASQUET/SIGNATURES
REPORTAGE PHOTOS © THIERRY PASQUET/SIGNATURES (©)

EN INSTALLANT UN DIGESTEUR IL Y A TROIS ANS, FRANÇOIS TRUBERT A PU EMBAUCHER UN DEUXIÈME SALARIÉ. L'APPROVISIONNEMENT EN DÉCHETS SE RÉVÈLE PLUS COMPLIQUÉ QUE PRÉVU.

LES OBJECTIFS DE FRANÇOIS TRUBERT, ÉLEVEUR À GÉVÉZÉ, SONT CLAIRS : il veut bien gagner sa vie tout en maîtrisant la charge de travail. « L'élevage laitier est passionnant, mais c'est une activité chronophage qui dégage des résultats irréguliers. » Il compare cet atelier à ses poulaillers, moins exigeants en travail et plus rentables.

Cette analyse guide ses choix. Seul sur l'exploitation avec un salarié, il a réfléchi il y a quelques années au bénéfice qu'il pourrait tirer de l'embauche d'une deuxième personne. « La charge était trop lourde quand le salarié était absent. J'ai pensé que je gagnerais en souplesse avec un deuxième, mais cela supposait de développer une activité ou d'en créer une nouvelle. » Une autre voie était possible : arrêter le lait et travailler seul. Mais ce n'était pas le souhait de François.

Développer le lait ne l'intéressait pas non plus. « Je crois que cela aurait alourdi la charge de travail avec des perspectives aléatoires en matière de revenu. » Construire un autre poulailler risquait d'être compliqué. « Cela provoque des oppositions de la part d'associations écologistes. Je ne voulais pas affronter cela. » Quant aux cultures de vente, leur développement suppose une augmentation de la surface. Or, dans cette zone d'élevage très dense, les opportunités sont rares et la concurrence toujours vive.

« L'ÉLEVAGE PRODUIT DES EFFLUENTS QUE L'ON NE VALORISE PAS »

C'est dans cet esprit que François s'est intéressé à la méthanisation. « Les élevages produisent des effluents riches en carbone que l'on ne valorise pas. » Le rachat de l'électricité est possible depuis 2006. François a d'abord envisagé d'investir dans un petit digesteur alimenté uniquement par les effluents d'élevage. L'étude économique a été réalisée pour une installation d'une puissance de 75-80 kWh. Un investissement de 800 000 € qui ne se révélait pas rentable.

En 2008, il a suivi une formation organisée par le club Biogaz. « J'y ai beaucoup appris. J'ai pris conscience de l'importance de bien dimensionner le projet et d'étudier les coûts. »

Dans la foulée, il a fait le tour des collectivités et des industriels susceptibles de lui fournir des déchets. La majorité semblait intéressée, mais aucun ne voulait s'engager par contrat.

Les tarifs de rachat de l'électricité ont changé en 2011. François a eu la chance d'élaborer son projet à un moment où il pouvait choisir entre l'ancien et le nouveau barème. Il a opté pour le dernier (BG11). « Il octroie des primes sur la base d'objectifs fixés à l'avance et se révèle plus exigeant, mais aussi potentiellement plus rémunérateur. » Le tarif de base est à 13,40 €/kWh. S'y ajoute une prime de 2,70 € si le digesteur est alimenté par des effluents d'élevage au moins à 60 %. Une autre prime est liée à la part de chaleur qui est valorisée.

Sur la base du volume d'effluents disponible, le projet a été calibré à 150 kWh. Les travaux ont commencé en 2011 pour un démarrage en 2012. François a investi 850 000 € dans cette installation. Il a vendu 850 000 kWh la première année. L'objectif de 1,2 MkWh a été atteint en 2014, avec un prix de vente moyen à 0,2023 €/kWh.

Le développement de la méthanisation a eu des conséquences multiples sur l'exploitation. François a pu embaucher un deuxième salarié. L'un est responsable d'élevage, mais tous deux peuvent assurer la traite. François est désormais libre deux week-ends par mois.

« J'IMPLANTE DES ESPÈCES CAPABLES DE PRODUIRE BEAUCOUP DE BIOMASSE »

L'assolement de l'exploitation a été revu de façon à produire des Cive pour le méthaniseur. « J'implante du seigle ou du tournesol, des espèces capables de produire beaucoup de biomasse en interculture. » Elles sont mises en place après les céréales sur une quarantaine d'hectares. La fertilisation aussi a évolué. Car le digestat, riche en éléments minéraux assimilables, ne s'utilise pas comme du lisier. Il peut être valorisé sur toutes les cultures. François a divisé sa facture d'achat d'engrais par trois. La chaleur produite par la méthanisation est utilisée pour chauffer les poulaillers. Grâce à cette énergie disponible, l'éleveur a décidé d'élever des dindes et des pintades à la place des poulets. « Ces espèces sont plus exigeantes en chaleur, mais aussi plus rentables. »

Une partie de la chaleur chauffe la laiterie et la maison. Et François a investi dans un système de séchage pour les fourrages et le grain. Il peut ainsi mieux valoriser les productions de l'exploitation (luzerne, herbe, grains de maïs) dans la ration du troupeau. « Au départ, je pensais à un séchoir en grange pour les fourrages. Mais cela m'intéressait aussi de mieux utiliser le grain pour les vaches. J'ai donc imaginé un système avec des grilles pour les retenir. »

Il a investi 40 000 € dans ce séchoir polyvalent. Et il perçoit régulièrement la prime de chaleur (0,04 €/kWh). Cette prime représente 48 000 €/an. Mais pour l'obtenir, il a fallu investir dans un réseau pour alimenter les bâtiments. « C'est important de bien évaluer ces coûts pour que la valorisation de la chaleur reste rentable. » Cette chaleur disponible représente 150 000 l de fioul par an.

« QUAND LE DIGESTEUR FONCTIONNE MAL, IL FAUT RÉAGIR TRÈS VITE »

François alerte aussi sur les bouleversements qu'entraîne la méthanisation sur le plan du travail. « La conduite est technique. Il faut du temps et de la formation, avant de maîtriser. » Les incidents sont nombreux : arrêts du moteur, bourrage de la trémie... « Un digesteur peut être comparé à un bovin. Quand ça ne va pas, il faut réagir vite. Sinon, la situation se dégrade et il est compliqué de relancer la fermentation. »

Il estime le travail d'astreinte à 40 min/j, sept jours sur sept, pour alimenter et surveiller. Il passe deux ou trois jours par an à la récolte des Cive. Et puis la réception des matières est gourmande en temps. François continue à se former, via l'AMF (Association des méthaniseurs de France). Il y consacre environ une semaine par an. Et il reçoit des visiteurs pour leur expliquer le fonctionnement. Une autre activité qui consomme du temps.

Pour se consacrer pleinement à ce nouveau travail, François s'appuie sur ses salariés. Ils se chargent de la traite du soir tandis que lui-même assure celle du matin. « Je délègue beaucoup à Bertrand Catrouillet, mon chef d'élevage. C'est lui qui gère la conduite du troupeau. Comme moi, il a appris à inséminer. » L'autre salarié, Jonathan Maximien est très polyvalent.

« 22 KG DE MS INGÉRÉE »

Bertrand est un technicien et François assure le suivi économique et financier de l'exploitation. Mais il a proposé à son salarié de suivre des formations technico-économiques organisées par les Ceta d'Ille-et-Vilaine. « Cela le motive, et c'est important que la ration, par exemple, ne soit pas définie uniquement sur des critères techniques. »

La ration, 22 kg de MS ingérée, est distribuée par une mélangeuse en commun avec deux autres exploitations. Chacun assure cette tâche une semaine sur trois. La ration est calculée par François et son salarié. Elle a été modifiée depuis la mise en route du méthaniseur. Désormais, elle inclut de la luzerne déshydratée et du maïs grain. « Je vois un effet bénéfique de la luzerne sur la santé du troupeau. » Les vaches reçoivent 13 kg d'ensilage de maïs, 3 kg d'ensilage d'herbe ou de luzerne, 2 kg de luzerne déshydratée, 3,5 kg de correcteur azoté, 300 g de CMV et 150 g de bicarbonate. En début de lactation, elles consomment 1 kg de correcteur et du maïs en grains broyé à l'auge.

L'exploitation dispose de 9 ha de ray-grass anglais-trèfle blanc accessibles. Au printemps, François constitue huit paddocks. Les vaches passent trois jours sur chacun au fil avant. Les génisses de deuxième année et les taries suivent. Cette conduite intensive permet de valoriser 8 t de MS/ha sur cet îlot. Le pâturage démarre en avril. En été, les vaches restent la journée à l'étable, en ration complète, et sortent la nuit. En septembre-octobre, elles pâturent le jour des parcelles de ray-grass italien implantées en dérobée après le blé. Ce régime permet une livraison moyenne de 7 932 l/vache à 41,6 de TB et 32,9 de TP.

Les génisses sont élevées au lait entier pendant dix semaines. Elles disposent de mash à partir de quinze jours. Passé le sevrage, elles continuent à recevoir du mash avec un peu de ration des vaches.

Au-delà de quatre mois, les génisses sont nourries avec une ration semi-sèche : foin ou paille et maïs. Les vêlages sont étalés sur l'année. Elles vêlent entre 24 et 27 mois.

Les performances de reproduction ne dépassent pas la moyenne, ce qui ne satisfait pas François. En 2007, il a suivi une formation visant à réduire le taux de renouvellement à 20 % en faisant mieux vieillir les vaches. Cela a bien fonctionné, même quand le volume de livraison de lait a pu augmenter.

« UN LONG COMBAT CONTRE LA DERMATITE »

Mais en 2008-2009, l'élevage a rencontré plusieurs problèmes sanitaires, BVD et paratuberculose, qui ont nécessité des réformes. S'y est ajoutée la dermatite, identifiée en 2012 et contre laquelle l'éleveur se bat encore. « Nous devons éviter les traitements agressifs car cela a un impact sur la méthanisation », indique l'éleveur. Les pieds des vaches sont nettoyés au Kärcher tous les quinze jours. Elles passent ensuite dans un pédiluve sec. Le temps de traite se trouve rallongé par la nécessité de repérer et de soigner les vaches qui commencent à boiter. « Il nous a fallu du temps pour identifier la dermatite. Nous avons sous-estimé l'impact de cette maladie, notamment sur l'expression des chaleurs et la reproduction en général. »

« JE RÉFLÉCHIS À INSTALLER UN ROBOT »

François constate que la baisse du taux de renouvellement a des conséquences importantes et multiples. « Certes, nous valorisons mieux les veaux grâce au croisement industriel. Mais si nous sommes contraints d'accroître les réformes, nous n'arrivons pas à maintenir le troupeau. » Il lui a fallu plusieurs années pour y parvenir. Le quota n'a pas pu être produit en 2010, ce qui ne s'était jamais produit auparavant.

François considère aujourd'hui que la surveillance des animaux et la qualité de la ration sont les clés d'un troupeau performant. Il pense qu'avec un Dac et un système de détection des chaleurs, il obtiendrait de meilleurs résultats tout en gagnant en sérénité. L'option ultime serait l'installation d'un robot de traite, qui remplit aussi ces deux fonctions. François y réfléchit. « La technologie nous apporte énormément d'informations, ce qui constitue une véritable aide à la décision. »

Un autre projet lui tourne dans la tête. Pour pallier le problème d'approvisionnement en déchets extérieurs, il pense à un investissement dans un deuxième digesteur. « Aujourd'hui, 1 t de lisier fournit 30 à 40 m3 de biogaz en séjournant 70 jours dans le digesteur. Il faudrait monter à plus de 110 jours pour améliorer le rendement, et donc pouvoir se passer des déchets industriels ». Ce deuxième digesteur coûterait environ 150 000 €. Et il faudrait augmenter le volume de stockage, ce qui ferait monter l'investissement total à 200 000 €. Cette évolution n'a pas été prévue dans le projet. « Cela me conduirait à un investissement total de 7 500 €/kWh alors que le seuil de rentabilité s'élève à 6 000 € », précise François. Il n'a pas encore pris sa décision. Pour l'instant, la rentabilité de la méthanisation est bonne, avec un impact positif sur le fonctionnement de l'exploitation. Mais bientôt, les coûts d'entretien vont gonfler.

PASCALE LE CANN

L'exploitation se situe dans une zone d'élevage dense et dispose d'un bon potentiel pour les fourrages comme pour les cultures.

Les laitières sont nourries en ration semi-complète à l'aide d'une mélangeuse acquise en Cuma. Un complément est distribué à l'auge en début de lactation.

François consacre quarante minutes par jour à la méthanisation. C'est une activité très technique et il lui a fallu du temps pour tout maîtriser.

Les vaches sortent en pâture du printemps à l'automne. La conduite intensive permet de valoriser 8,4 t de MS/ha sur les prairies accessibles.

La traite est assurée par François le matin et par les salariés le soir.

Grâce à la chaleur produite par la méthanisation, François élève désormais des dindes à la place des poulets, une production plus rentable.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo

« L’IA ne remplace pas notre métier, elle le facilite »

Monitoring

Tapez un ou plusieurs mots-clés...