« NOTRE BÂTIMENT EST CONÇU POUR UNE PERSONNE ET 2 ML DE LAIT »

REPORTAGE PHOTO : THIERRY PASQUET
REPORTAGE PHOTO : THIERRY PASQUET (©)

EN MISANT SUR L'AUTOMATISATION, LES QUATRE ASSOCIÉS DU GAEC DE L'ÉPINAY VONT POUVOIR SE DÉVELOPPER TOUT EN ALLÉGEANT LE TRAVAIL.

MI-SEPTEMBRE, LES JOURNÉES PORTES OUVERTES DU GAEC DE L'ÉPINAY,à Guer (Morbihan), ont attiré pas moins de 8 000 personnes. Un intérêt qui s'explique par la singularité des choix opérés par ces éleveurs. « Nous avons hésité entre deux options : arrêter le lait pour nous concentrer sur les cultures. Ou investir dans un bâtiment équipé pour qu'une personne puisse gérer 200 vaches et la suite », raconte Roland Piel, l'initiateur de cette aventure. C'est cette deuxième option qui a été retenue. Le bâtiment est mis en service depuis mars 2013.

Pour comprendre, il faut revenir sur l'histoire de l'exploitation. Et surtout se mettre dans la peau d'un éleveur qui, à l'instar de ses collègues d'Europe du Nord, voit la fin des quotas comme une opportunité. « Une entreprise sans projet ne peut que régresser », souligne Roland.

Il a rejoint le Gaec de ses parents en 1986 : 35 ha pour 180 000 l de lait. Il obtient une rallonge qui porte la référence à 360 000 l. L'exploitation investit dans une stabulation libre de 80 places en aire paillée et une salle de traite 2 x 7 pour remplacer l'étable entravée de 30 places. En 1990, sa soeur Catherine s'installe avec eux. Elle reprend 45 ha mais pas un litre de lait au motif que l'exploitation en a suffisamment. Elle crée un atelier d'engraissement de taurillons.

« NOUS AVONS ATTAQUÉ LA DDA POUR POUVOIR GRANDIR »

En 1997, le Gaec souhaite reprendre une ferme voisine de 210 000 l sur 72 ha. Là encore, l'administration refuse, toujours pour la même raison. 90 000 l de lait/UTH, c'est suffisant. « Il y avait un autre candidat. Nous nous sommes associés avec lui, mais nous avons attaqué la décision de la DDA », raconte Roland. Une action couronnée de succès. « Dans les années quatre-vingt-dix, la chambre d'agriculture défendait l'élevage extensif, nous étions à contre-courant. Cela nous a encore plus motivés pour réussir. »

Pendant les années suivantes, le Gaec parvient à se développer, notamment en s'associant. Une seconde action en justice est engagée contre la DDA, toujours réticente pour accorder des références à ces éleveurs dynamiques. L'administration est déboutée.

En 2013, le Gaec compte quatre associés pour 3,3 UTH. Les parents ont cessé leur activité en 1997. La surface est de 357 ha, avec 180 ha de blé et 35 ha de haricots. « En été, il faut deux personnes à temps plein pour les cultures. Nous récoltons nous-mêmes les céréales et nous arrosons les haricots », précise Roland. Le quota est monté à 1,25 Ml de lait et c'est le bâtiment construit lors de son installation qui accueille les laitières. Les vaches ne disposent que de 4 m2 par tête. Les taux cellulaires ont tendance à grimper. La ration est distribuée à l'aide d'une mélangeuse, mais les cornadis n'offrent que 100 places pour 130 vaches. « De 2008 à 2013, la traite prend 5 h/j à deux », raconte Catherine. Les génisses sont logées sur un autre site distant de 9 km. Les soins aux animaux exigent douze heures de travail quotidien à deux. La main-d'oeuvre ne suffit plus pour réaliser le travail dans ces conditions.

En 2011, le Gaec pense investir dans un nouveau bâtiment. Outre le fait que l'existant soit saturé, les associés souhaitent se préparer à la fin des quotas. Ils se rapprochent d'un Gaec voisin qui envisage de se lancer avec eux, mais qui jette l'éponge un mois avant le dépôt du permis de construire.

« AUTOMATISER POUR RÉDUIRE L'ASTREINTE »

Le coup est très dur pour Catherine, son frère et Roger Geffroi, leur associé. Ils s'interrogent : ne devraient-ils pas arrêter le lait et se contenter des cultures ? Ils sécuriseraient leurs revenus avec moins de travail et sans prendre le risque d'investir.

Finalement, les éleveurs décident de continuer l'élevage. Ils se replongent dans les plans avec un objectif : le troupeau doit pouvoir être conduit par une seule personne avec un maximum de huit heures de travail par jour. Cela implique d'automatiser, mais aussi de maximiser le confort et la surveillance afin de réduire les risques sanitaires. « Nous avons choisi le robot d'alimentation Vector, de Lely. Sa capacité correspond à trois robots de traite. Pour le rentabiliser, il fallait qu'il nourrisse tous les animaux. D'où la décision de partir sur trois robots de traite, soit 200 vaches ou 2 Ml de lait », résume Roland. Si l'emplacement est prévu pour trois robots, deux seulement sont installés pour l'instant.

Avec un système sans pâturage (voir encadré), les éleveurs ont pris des options favorisant le confort. Pour optimiser la ventilation en toute saison, ils ont habillé trois côtés avec un filet brise-vent amovible. Ils ont proscrit les translucides sur le toit, estimant que cela augmente la chaleur en été. Un dôme laisse entrer la lumière. Les sorties d'air se font par des écailles dans la toiture.

« DES CAILLEBOTIS COÛTEUX MAIS CONFORTABLES »

Le bâtiment est construit sur caillebotis intégral. « Ce système réduit le travail, constate Roland. Et quand la fosse est à l'extérieur, il faut racler, le béton s'use et le risque de glissade augmente. » Dans cette optique de réduction des risques de blessures, les éleveurs ont choisi le caillebotis VDV Ecosol qui associe le béton et le caoutchouc. Le surcoût s'élève à 80 000 €, mais l'objectif est atteint. « Le troupeau circule bien. Les vaches n'hésitent pas à se chevaucher. Il n'y a eu ni glissade ni boiterie en sept mois. »

Les box d'isolement et de vêlage sont également sur caillebotis. Un tapis est posé dessus. Un robot (Discovery SW) racle les couloirs. En revanche, c'est Roland qui nettoie les logettes à la main ! Des robots existent aussi pour cette tâche, mais ils sont difficilement compatibles avec la traite robotisée. Mais surtout, les éleveurs sont conscients de la nécessité de bien surveiller le troupeau. Roland passe donc vingt minutes tous les matins à nettoyer. Il fait lever les vaches, voit si elles se déplacent bien.

« NOUS AVONS MOINS DE CORNADIS QUE DE VACHES

Le logement offre 222 places de logettes équipées de matelas (Deru). Elles sont disposées en trois rangées et la table d'alimentation est elle aussi aménagée dans la longueur. Autrement dit, elle ne peut pas offrir une place par tête. « Nous avons 40 cornadis pour 60 vaches », précise Roland. Il estime que l'automatisation permet de descendre à ce niveau, d'autant plus que les vaches ne sortent pas. « Le Vector distribue la ration des laitières 5,5 fois/j, et il passe toutes les heures repousser le fourrage. Il y a toujours des vaches qui mangent, mais les cornadis ne sont jamais tous occupés. »

La ration se compose de 14,5 kg de MS de maïs ensilage, 1,6 kg de MS d'ensilage d'herbe, 1,3 kg de MS d'herbe enrubannée et 2 kg de concentré de production à base de colza. La préparation des ingrédients pour les animaux se fait deux fois par semaine en trois heures. Les éleveurs enlèvent les refus manuellement deux fois par semaine, soit environ 150 kg par semaine, une quantité insignifiante au regard des 36 t distribuées.

Les veaux doivent être nourris manuellement pendant les dix premiers jours. Puis ils rejoignent l'ancienne étable où se trouvent les génisses. Ils disposent alors d'un Dal. La ration des génisses plus âgées est distribuée par le Vector. Reste à pailler les cases à la pailleuse, ce qui prend trois heures par semaine. Les génisses sont équipées d'un collier mesurant l'activité et la rumination à partir de quinze mois. Une aide précieuse pour détecter les chaleurs. « L'objectif est d'inséminer à 15-16 mois », précise Catherine. L'avenir dira si, comme prévu, le rapprochement des génisses et leur changement de conduite ont permis d'avancer l'âge de mise à la reproduction.

Les génisses pleines rejoignent les vaches taries dans le nouveau bâtiment deux mois avant le vêlage. Les taries sont conduites en deux lots. Au début, elles reçoivent 6 kg de paille par jour afin de faire baisser rapidement le lait. À l'approche du vêlage, elles intègrent le deuxième lot qui consomme 2,5 kg de paille, 20 kg brut de maïs, un peu d'ensilage d'herbe et 1,2 kg de correcteur azoté. Les éleveurs utilisent le Vel'Phone pour surveiller les vêlages.

Le troupeau est divisé en deux lots homogènes, un par robot. « C'est plus pratique que les lots par niveau de production. Cela permet un effet d'entraînement vers le robot. Nous avons moins besoin de pousser les vaches en fin de lactation. »

« NOUS SOMMES À L'AFFÛT DE PROJETS POUR L'EXPLOITATION »

Cet été, les éleveurs ont pu apprécier les qualités de leur bâtiment. Comme prévu, Catherine s'est chargée seule des animaux, sans problème avec des journées de moins de six heures. « Les soins et la surveillance quotidiens, y compris le suivi des indicateurs et des alertes sur l'ordinateur, me prennent environ quatre heures. »

Sept mois après la mise en service et alors que les semis de blé sont terminés, Roland se met en quête de lait pour monter à 2 Ml. L'élevage a une autorisation pour 185 vaches et un plan d'épandage suffisant en propre. Actuellement, chaque robot a 3 h 30 de « temps libre » par jour. L'idée est de les saturer à 90-95 % avant d'installer le troisième.

L'exploitation livre son lait à Sodiaal. Mais il n'est pas question pour les éleveurs d'augmenter les livraisons en volume B. Seul le A les intéresse. « À terme, nous produirons entre 12 000 et 13 000 l tous les deux jours. Cela mérite le déplacement d'une citerne », lance Roland. Il pense pouvoir augmenter son droit à produire via une SCL. Il a reçu quelques propositions après la journée portes ouvertes. Le temps presse car l'investissement est adapté à un volume de 2 Ml. « Je me donne deux ans pour y parvenir », affirme Roland.

Les céréales contribuent clairement au financement de l'atelier lait. L'EBE est produit à parts égales par l'élevage et les cultures. Avant la construction du bâtiment, les annuités s'élevaient à 200 000 €, dont 150 000 € pour du matériel et 50 000 € à la suite des agrandissements. Mais ces charges vont tomber à 153 000 € en 2013 et 52 000 € en 2016. L'exploitation avait donc une marge pour investir.

Le bâtiment a coûté 1,7 M€, dont la moitié pour les équipements intérieurs, y compris les robots. Ces derniers seront remboursés sur dix ans contre dix-sept pour le reste. « L'existence de deux productions représente une sécurité », précise-t-il. Mais l'objectif reste que chaque activité soit rentable et autonome dans la durée.

Roland a 49 ans et sa soeur 48 ans. L'un des associés est sur le départ. Ils envisagent l'embauche d'un salarié pour accompagner la montée en puissance du lait. Car après quinze ans de travail sans vacances, en prenant seulement un dimanche sur trois, les éleveurs aspirent à faire autre chose. Passionnés par la chasse, Catherine et Roland espèrent bien en profiter un peu cet hiver. Les cultures demandent peu de travail entre novembre et février.

Mais ils restent à l'affût de projets pour l'exploitation. Grandir encore après avoir géré le passage à 2 Ml de lait, pourquoi pas ? Aucune décision n'est prise, mais ils pourraient construire un deuxième bâtiment identique. « La clé est la gestion de la main-d'oeuvre, souligne Roland. Un agrandissement, aujourd'hui, doit être calé sur la hausse d'au moins une unité de main-d'oeuvre. »

Enfin, la transmission de l'outil n'inquiète pas les associés. Ils ont le temps, mais surtout ils estiment qu'une unité cohérente et rentable doit pouvoir trouver preneur.

PASCALE LE CANN

Catherine Piel, Roger Geffroi et Roland Piel ont investi 1,7M€ dans un bâtiment automatisé et très confortable pour 200 vaches. Ils en sont très satisfaits, notamment en termes de travail.

Dans un souci d'harmonie, les bâtiments sont parfaitement alignés. Le caillebotis intégral, raclé par un robot, permet de réduire la charge de travail.

La fabrication comme la distribution des rations des vaches et des génisses est automatisée. Reste à préparer les ingrédients et à enlever les refus.

La surveillance du troupeau se fait en partie via l'ordinateur. Les éleveurs ont appris à analyser et valoriser les nombreuses informations dont ils disposent. Mais Catherine pratique aussi une surveillance visuelle des animaux.

Jusqu'à l'âge de dix jours, les veaux sont en cases individuelles. Ils rejoignent ensuite le bâtiment des génisses où ils sont nourris au Dal.

Le nettoyage quotidien des logettes est manuel. C'est l'occasion de voir comment les vaches se déplacent. En sept mois, aucune n'a eu de problème de pieds.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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