« En reblochon, se regrouperpour pérenniser nos exploitations »

Article réservé aux abonnés.

Fabrice, 40 ans, et Maxime, 31 ans, se sont associés en 2013. Ils ont dû affronter de nouveau un été particulièrement sec qui a transformé les vertes prairies du printemps en paillasson.
Fabrice, 40 ans, et Maxime, 31 ans, se sont associés en 2013. Ils ont dû affronter de nouveau un été particulièrement sec qui a transformé les vertes prairies du printemps en paillasson. (©Reportage photos : Laurent Fabry )

L’association de Fabrice Pasquier et de Maxime Chavanne constituait un réel pari, mesurable à l’aune de l’investissement réalisé dans le nouveau bâtiment : 870 000 €. Cinq ans après, malgré les aléas, le bilan est positif.

L’été a été catastrophique à Faucigny, en Haute-Savoie (entre Annecy et Thonon-les-Bains). « En regain, nous n’avons récolté en moyenne que 500 kg de MS à l’hectare, constate Fabrice Pasquier, associé depuis 2013 à Maxime Chavanne. Depuis le 20 juillet, nous affourageons en vert avec de la luzerne-dactyle puis du maïs. Celui-ci a séché sur pied et a perdu 30 % de son rendement. 25 tonnes de Rumiluz (luzerne à brins courts) ont été achetées. Idéalement, il en faudrait le double mais, pour l’instant, il n’y a ni volume ni prix disponible. Heureusement, nous avons pu rentrer une première coupe de très bonne qualité en quantité suffisante pour les laitières. »

Grâce à une ration bien équilibrée mais plus coûteuse, composée de pulpes de betterave, de Rumiluz (considéré comme un concentré dans le cahier des charges AOP), de foin, de regain 2017, de maïs vert et d’un brin de pâture, les démarrages de lactation se passent bien. Heureusement : 60 % des vêlages se font entre juillet et septembre. Une obligation pour profiter des variables saisonnières et ne pas être pénalisé par le système d’écrêtement du lait de printemps (voir encadré pages suivantes). « Actuellement, les vaches consomment beaucoup d’aliments, mais ça fait du lait », notent les éleveurs. Un point qui leur permet de garder le moral et de s’accrocher à leur projet commun.

« Nous partagions la même vision du métier »

Ingénieur en agronomie, Maxime Chavanne ne pouvait pas s’installer seul sur la ferme de ses parents. La structure, 80 000 litres de lait AOP reblochon sur une vingtaine d’hectares, était trop petite et sur Faucigny, il n’y avait pas de possibilité de s’agrandir. L’exploitation de Fabrice, située à La Tour à 5 km de là, était plus grande (215 000 litres de lait AOP reblochon sur 75 ha), mais le travail dans les étables entravées était contraignant. « Depuis mon installation en 2001, j’avais un projet de nouveau bâtiment en tête, explique Fabrice. Mais il ne pouvait pas se concrétiser dans notre hameau périurbain. Nous n’étions pas propriétaires du terrain et le parcellaire, coupé par de nombreuses routes, était défavorable. » Alors que son père, 64 ans, allait partir à la retraite, et que Fabrice pensait à rechercher un associé pour le remplacer, il a eu un jour la visite de Maxime. « Maxime a fait le bon premier pas. J’étais réceptif. Nous nous croisions sur les concours de la race abondance. Nous n’avions pas un grand écart d’âge (neuf ans) et nous partagions la même vision du métier avec le même souhait de se libérer desastreintes. » Chacun est en couple et parents : Fabrice d’un petit garçon de deux ans, Maxime d’une petite fille de six mois. Ils essaient de se libérer un dimanche sur deux et de prendre chacun deux semaines de vacances. Pour tester leur capacité à travailler ensemble avant de s’associer, les deux jeunes éleveurs ont réalisé conjointement pendant un an tous les travaux extérieurs (clôtures, foins, épandage…).

Un bâtiment pratique pour libérer du temps

Parallèlement, une réflexion sur le bâtiment a été lancée. L’objectif était de regrouper les vaches dans une stabulation fonctionnelle, dotée d’un séchage en grange et d’un stockage de fourrage à balles rondes, en gardant un système que Fabrice et Maxime connaissaient bien et qui avait fait ses preuves : valorisation de l’herbe avec le pâturage tournant et le foin séché en grange, abondance, vaches sur caillebotis.

La nouvelle stabulation a été implantée sur une parcelle des parents de Maxime, à la sortie du village de Faucigny. Les 64 vaches y sont rentrées en décembre 2014. Mauvaise surprise : au bout de trois jours, il a fallu faire face à un problème d’usure des sabots sur les caillebotis trop abrasifs. « Cinq vaches ont dû être taries, neuf sont parties à l’abattoir », précise Maxime. L’effectif est tombé à 50 vaches. Il a fallu attendre neuf mois que la relève arrive (20 génisses) pour remonter le niveau de production.

Après les difficultés sanitaires sont venus les aléas climatiques. Le premier été 2015 a été marqué par la sécheresse : les animaux sont restés deux mois dans le bâtiment. L’année suivante, la récolte fourragère a été catastrophique : il a fallu acheter du fourrage cher de qualité moyenne. 2017 était très attendu. Malgré un démarrage difficile à cause des gelées de printemps, la pousse d’herbe, au final, a été bonne et a permis de produire un volume de lait exceptionnel : 483 000 litres. Du fait des problèmes rencontrés les années précédentes, les deux jeunes agriculteurs avaient gardé dix vaches supplémentaires. « Nous savions que la fromagerie Masson, qui transforme le lait de notre petite coopérative de la Tour (huit exploitations), avait besoin de volume et que ce supplément de production ne serait pas payé en B, mais rémunéré en A », souligne Fabrice.

Alors que les aléas climatiques se généralisent, assurer un fourrage de qualité avec des stocks importants pour nourrir les vaches l’hiver est essentiel, mais devient plus complexe. Maxime et Fabrice essaient d’implanter davantage de prairies temporaires en retournant du maïs (valorisés uniquement en vert) ou en les semant derrière des prés abîmés. En plus des mélanges suisses implantés sur des terrains plus frais, ils font des essais de luzerne-dactyle sur les terres séchantes et bien exposées. « Entre le 10 et le 25 mai, c’est la période cruciale avec les premières coupes. On a quinze jours pour faire le fourrage des vaches avec le séchage en grange. »

Cinq ans après leur association, Fabrice et Maxime sont satisfaits d’avoir franchi le pas du regroupement de leurs exploitations. « Le projet du nouveau bâtiment nous a soudés. À deux, on a plus d’assurance et on additionne nos compétences. » Ils ont opté pour un suivi relationnel Gaec sur trois ans avec une conseillère de la chambre d’agriculture. « C’est un plus pour sortir de notre routine et penser à bien communiquer entre nous. Dans une association, le facteur humain est le plus important. »

« À cause de l’urbanisme, nous perdons chaque année un peu de terrain »

Alors que la structure d’exploitation a été prévue pour deux, les parents des jeunes éleveurs donnent encore un bon coup de main. La mère de Maxime aide à pousser les vaches dans l’aire d’attente et à faire boire les veaux. Son père gère l’eau dans les pâtures. Le père de Fabrice aide au pansage des génisses, des taries et des veaux d’élevage logés dans les vieux bâtiments du site de La Tour, à 5 km de là. Il classe et paie les factures, et entretient soigneusement le matériel. Maxime et Fabrice sont bien conscients que cette situation n’est pas durable. Par ailleurs, à 20 km de la Suisse, dans un département où la population augmente chaque année de plus de 10 000 habitants, le foncier apparaît comme un facteur limitant. « À cause de l’urbanisme et des élevages de chevaux, nous perdons chaque année un peu de terrain (6 000 m2 en 2017) », précise Maxime. Sans doute faudra-t-il revenir à un niveau de production plus modeste avec 60 vaches à 6 500 kg par an.

Quelle que soit l’issue de leur réflexion, ils pourront s’appuyer sur les réussites déjà engrangées pour faire les meilleurs choix. Alors que le regroupement de deux exploitations différentes aurait pu paraître incompatible, ils ont fait jouer les complémentarités et ont atteint plus vite que prévu leurs objectifs. Leur démarche, empreinte d’une grande discipline aussi bien dans le domaine technique que financier, a été guidée par la recherche d’un équilibre entre la réussite économique et personnelle (« normalisation » des conditions de vie).

Anne Bréhier

© L. F. - Stabulation. Ce bâtiment, créé par Fabrice Pasquier et Maxime Chavanne en 2014, est situé à la sortie du village de Faucigny (Haute-Savoie). L. F.

© L.F. - Pâturage. Fabrice rentre les vaches avec le chien qu’il a dressé pour cette tâche, que Maxime réalise habituellement. Le pâturage tournant au fil assure la meilleure gestion de l’herbe au printemps. À cause d’un parcellaire limité autour du bâtiment (17 ha accessibles seulement), les vaches ne pâturent que la journée. L.F.

© L. F. - Traite.Maxime partage avec Fabrice une même vision du métier. Chacun en couple, ils souhaitaient se libérer des astreintes. Respectivement père d’une petite fille de six mois et d’un petit garçon de deux ans, ils essayent de se libérer un dimanche sur deux et de prendre chacun deux semaines de vacances à l’automne et au printemps.L. F.

© L. F. - Stabulation. Le coût de la stabulation (64 logettes et 67 places de caillebotis) s’est élevé à 870 000 €, soit + 5 % que le devis initial. Bien que deux fois supérieur au prix moyen national, le coût à la place (13 600 €) correspond au prix des bâtiments en Haute-Savoie. Un bonus de 10 % sur les aides bâtiments est attribué au titre des zones de montagne.L. F.

© L. F. - Séchage en grange. Chacune des deux cellules vrac peut stocker 160 m2 ou 110 tonnes de foin ou de regain. L’air chaud est récupéré sous le toit. « Chaque jour, on peut charger 10 tonnes ou 4 autochargeuses. On coupe le matin, on rentre le lendemain soir. On gagne une ou deux journées sur un chantier de foin en balles rondes. »L. F.

© L. F. - Propreté. Le robot racleur Lely Discovery (17 500 €) contribue à la propreté des mamelles et à la qualité du lait, point sur lequel les deux jeunes éleveurs sont vigilants. La moyenne cellulaire est de 60 000 leucocytes par ml et les mammites sont limitées à cinq par an au maximum. L. F.

© L. F. - Concours.Ironie, une vache abondance de cinq ans et demi, déjà primée plusieurs fois, est préparée pour le concours cantonal de Boëge, début octobre. « Elle présente une très bonne morphologie et une mamelle très fonctionnelle, note Fabrice. Race déjà travaillée par nos parents, l’abondance est moins productive qu’une montbéliarde, mais a plus de taux, une bonne reproduction et une belle longévité. » Dans l’élevage, inscrit à l’OS Races Alpines Réunies, les abondances vêlent à trois ans. L. F.

© L. F. - Insémination.Depuis mars 2016, Fabrice insémine lui-même les vaches, ce qui a contribué à l’amélioration des résultats de reproduction. « Alors que nous étions à l’extrémité du plus grand secteur du département, nous inséminons aujourd’hui à l’heure qui nous convient. Nous faisons très attention aussi à la ration : les déséquilibres alimentaires ne pardonnent pas. »L. F.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

« L’IA ne remplace pas notre métier, elle le facilite »

Monitoring

Tapez un ou plusieurs mots-clés...