« Chercher la valeur ajoutée et la qualité de vie avec l’AOP morbier »

Article réservé aux abonnés.

(©)

Initialement en lait conventionnel, le Gaec des Mésanges a remis en cause son système maïs pour se lancer en foin-regain et AOP morbier.

La crise du lait en 2009, avec un prix tombé à 220 €/1 000 litres, avait porté un rude coup au moral de Claude Henriot­ et de ses deux associés de l’époque. Que faire dans un secteur à forte pression foncière avec un parcellaire morcelé et une main-d’œuvre déjà au taquet ? Produire encore plus ? Passer de 750 000 à 800 000 litres ? Était-ce encore possible ? Optant finalement pour la diversification, les agriculteurs s’étaient lancés dans le photovoltaïque en installant 1 300 m2 de panneaux. Malgré le niveau élevé de l’investissement (640 000 € HT auxquels s’ajoutaient les 250 000 € de construction du bâtiment destiné aux génisses), ce choix s’est révélé payant. Les 210 000 kWh sont vendus annuellement à 42 centimes d’euro le kWh dans le cadre d’un contrat sur vingt ans (2011-2031). Dix ans plus tard, il a fallu aller plus loin pour sécuriser l’avenir de l’exploitation. Représentée par Yohann Henriot (33 ans) et sa conjointe Sophie Bianchi (30 ans), la nouvelle génération a remis en cause le système de production initialement basé sur le maïs (jusqu’à 70 % de la ration des vaches). « Nous voulions chercher de la valeur ajoutée en améliorant les conditions de travail et de vie », explique le couple.

Depuis le 1er février 2020, les jeunes éleveurs se sont engagés en lait morbier AOP produit dans le cadre d’un cahier des charges restrictif (sans ensilage, en foin-regain et pâtures). Le maïs ensilage a été arrêté, la sole consacrée à l’herbe et au foin développée. De 1,5 UGB/ha, le chargement est tombé à 0,9 UGB/ha. Le robot de traite, acquis en urgence à la suite de l’incendie de l’exploitation en 2016, a été revendu au bénéfice d’une salle de traite. Le système maïs avait permis de construire l’exploitation, mais il ne fonctionnait plus avec le changement climatique et l’explosion des coûts des intrants (semences, engrais, carburants).

Deux ans de sécheresse où les rendements sont tombés en dessous de 10 tMS/ha (contre 15 tMS dans la vallée initialement), ainsi que la disparition des orages d’été, l’ont confirmé. « Nous étions arrivés à la fin d’un système dans lequel il fallait toujours produire plus, analyse Yohann Henriot. Alors que mon père était à la veille de la retraite et que Sophie ma femme, collaboratrice d’assurances, envisageait de me rejoindre sur l’exploitation, un système AOP était le seul moyen de conforter et d’assurer notre revenu. On savait que le saut serait compliqué, mais qu’à terme ce serait gagnant. » C’était aussi un choix de vie pour le jeune couple dont la priorité est de se rendre disponible pour ses trois jeunes enfants (de 3, 5 et 7 ans).

Le plus dur a été de trouver un acheteur pour le lait AOP

Le plus dur a été de trouver un acheteur. La coopérative Ermitage, qui collectait le lait et qui avait dans un premier temps soutenu la démarche des éleveurs, a laissé tomber brutalement l’exploitation. Heureusement, l’entreprise Delin qui avait repris la fromagerie de Montbéliard se développait. La première année, sur les 607 000 litres de lait livrés, 450 000 litres ont été payés en AOP morbier, le reste en standard (mais à 20 € de plus les 1 000 litres et avec 1 € supplémentaire par point de matière grasse). En 2021, avec 100 % du lait livré en AOP morbier, le prix moyen s’est établi à 570 € les 1 000 litres.

Les éleveurs se sont formés à l’herbe

Les éleveurs se sont formés à l’herbe, une nouveauté sur l’exploitation. Ils ont mis en place un pâturage dynamique avec une parcelle par jour, voire par demi-journée à partir du 20 mars ou du 1er avril selon les années. Ils ont appris à mesurer la pousse de l’herbe au podomètre pour éviter tout risque de surpâturage. Des prairies multi-espèces ont été ressemées, du sursemis réalisé, et des méteils (pois, vesce, avoine, triticale) implantés. Une herse étrille a été achetée.

L’objectif des éleveurs est d’être le plus autonome possible en protéines en produisant un maximum de lait à l’herbe entre avril et septembre. La première année, les vaches ont pu pâturer pendant huit mois (7,5 mois la seconde). Les éleveurs n’épandent plus aucun engrais minéral sur les prairies, seulement du fumier composté (10 t/ha) ou du lisier (deux mois avant la mise à l’herbe à raison de 15-18 m3/ha). Malgré le passage récent du secteur en zone vulnérable, le compost peut être épandu 365 jours par an. C’est un atout. En avril et mai, les parcelles, une fois pâturées, sont ébousées avant la pluie : une façon de lutter contre les rumex.

Avec la fin du maïs et le changement d’alimentation, la chaîne de matériel, initialement composée d’un télescopique, d’une mélangeuse et d’une pailleuse, a été simplifiée. « Nous lançons un moteur de moins chaque jour », se félicite Yohann. La mélangeuse a été vendue au profit d’une dérouleuse et d’un godet à betteraves. Équipé d’un tapis nettoyeur et d’un rotor, celui-ci broie les tubercules en morceaux de 5 cm. Ils sont distribués l’hiver dans l’auge à raison d’une vingtaine de kilos (17 % MS). Le tourteau de colza non OGM et la farine sont ajoutés manuellement par-dessus. Le foin et le regain sont récoltés en bottes rondes à cause du parcellaire morcelé.

Depuis que l’exploitation a basculé en lait AOP, la marge brute pour 1 000 litres de lait s’est considérablement améliorée. « Elle équivaut au prix du lait conventionnel qui nous était payé les deux dernières années 2018 et 2019, soulignent les agriculteurs. Le revenu est en adéquation avec le travail. La valeur ajoutée procurée par l’AOP morbier, le photovoltaïque et le contrat de paiement pour services environnementaux (lire l’encadré) permet de payer nos deux salariés, ce qui nous procure une bonne qualité de vie. Nous pouvons nous rendre disponibles pour emmener et aller chercher les enfants à l’école, les conduire le soir et le samedi à leurs activités. »

À la traite le matin à 5 h 20, Sophie est de retour à 7 h 30 à la maison pour préparer les enfants. Yohann arrive une demi-heure plus tard. Le soir, tout est fini à 18 h 15-18 h 30. Un week-end sur deux est libre et l’astreinte le samedi et dimanche est réduite à deux heures de travail. Passionné par les vaches, et expert sur les comices, Yohann « s’éclate » à faire du bon foin pour ses montbéliardes.

Deux exploitations sur sept du village encore en ensilage

Le Gaec des Mésanges n’est pas le seul à avoir modifié son système de production. Des dizaines d’exploitations de la basse vallée du Doubs ont fait de même. Sur sept exploitations du village, deux seulement font encore de l’ensilage aujourd’hui.

Pour Claude Henriot, ancien président du CERFrance du Doubs, se remettre en question est indispensable, même si cela n’a rien d’évident : « Je ne croyais pas qu’il était possible de produire du lait autrement qu’avec du maïs. » Désormais il aime voir les vaches le nez dans le foin. L’ambiance est saine et sereine, sans odeur d’ensilage ni de lisier. « C’est un plaisir d’accueillir les consommateurs dans cet environnement. Le système développé par Yohann et Sophie doit leur permettre de gagner leur vie dans de bonnes conditions. En phase avec les attentes de la société, ils sont sur de bonnes bases pour réussir. »

Anne Bréhier

© GAEC des Mésanges - L’aire paillée. L’objectif des éleveurs est d’être le plus autonome possible en protéines en produisant un maximum de lait à l’herbe entre avril et septembre. L’hiver, la base de la ration est constituée de foin, de regain, et de betteraves.GAEC des Mésanges

© GAEC des Mésanges - Distribution des betteraves. La mélangeuse a été vendue au profit d’une dérouleuse et d’un godet à betteraves. Équipé d’un tapis nettoyeur et d’un rotor, celui-ci broie les tubercules en morceaux de 5 cm. Ils sont distribués l’hiver dans l’auge à raison d’une vingtaine de kilos (17 % MS). GAEC des Mésanges

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo

« L’IA ne remplace pas notre métier, elle le facilite »

Monitoring

Tapez un ou plusieurs mots-clés...