Le camembert « fabriqué en Normandie » va intégrer l’AOP camembert. L’un des enjeux sera un prix plus élevé en rayon pour rémunérer le surcoût du cahier des charges.
En décembre, aux conclusions des États généraux de l’alimentation, Emmanuel Macron interpellait la filière laitière sur sa capacité à créer de la valeur en élevant la qualité des produits laitiers français. C’est le défi – de taille – que la filière normande se prépare à relever et, en quelque sorte, un test à grande échelle des EGA : intégrer le camembert vendu sous la mention « fabriqué en Normandie » dans l’appellation d’origine protégée camembert de Normandie. Le premier est pasteurisé, sans cahier des charges pour la production du lait et sa transformation. Sa seule contrainte est l’implantation des fromageries en Normandie et une collecte 100 % normande. Le second est au lait cru et répond à un cahier des charges exigeant. Pour les producteurs : lutte au quotidien contre les germes pathogènes, 50 % de normandes dans le troupeau, 25 ares de pâturage accessible par vache.
Sous la houlette de l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao), après deux ans de discussions, les protagonistes producteurs et fromagers des deux camemberts ont conclu un accord le 21 février, mettant fin à dix ans de conflit sur l’utilisation du nom « Normandie ».
Et pour les industriels du « fabriqué en », c’est l’espoir de stopper la lente érosion de leurs volumes (voir infographie ci-contre).
Le deal est l’arrêt de la mention « fabriqué en Normandie » sur les étiquettes, en contrepartie de la création d’une deuxième section dans l’AOP. Dans cette grande AOP qui couvrirait toute la Normandie, et non plus les trois départements bas-normands, le cahier des charges de ce niveau 2 sera un peu moins exigeant sur la race normande et le pâturage que l’appellation actuelle.
L’ambition : emmener 1 500 producteurs dans l’aventure
« Il y a nécessité pour nous, éleveurs laitiers normands, de trouver des solutions pour vivre correctement de notre métier. Ce projet peut y répondre en vendant mieux notre production et en satisfaisant les attentes des consommateurs sur un produit de qualité, en adéquation avec l’image qu’ils se font de la Normandie », affirme avec conviction Jocelyn Pesqueux. Président de l’interprofession laitière normande au titre de la FRSEA, il est l’un des signataires de l’accord.
Le projet est de taille : emmener dans l’aventure les 2 000 éleveurs (sur un total de 7700) en production conventionnelle, livrant leur lait aux 60 000 t de « fabriqué en ». « Ce sera plutôt 1 000 à 1 500 producteurs, nuance Bruno Lefevre. Lui aussi a signé l’accord, pour les industriels du « fabriqué » et Lactalis. Nous estimons atteindre à moyen terme 40 000 tonnes. Tout dépendra du cahier des charges, du positionnement de chaque entreprise pour ses marques et de nos clients. » Les 20 000 tonnes restantes seront des camemberts « tout court » sous MDD et restauration hors foyer.
Le niveau de pâturage déterminant
Le projet de cahier des charges niveau 2 prévoit l’introduction de 30 % de normandes dans chaque troupeau. « Sans doute pour au moins 30 % de nos livreurs, cela ne sera pas possible. Ils ont développé un système relativement intensif fondé sur la holstein. Ils ne souhaiteront probablement pas le modifier. » Ce chiffre de 30 % de normandes n’est pas sorti par hasard. « C’est ce que pèse en moyenne la race dans les exploitations », indique Patrick Mercier, président de L’ODG Camembert de Normandie (l’interpro du camembert AOP). Pour lui, ceux qui ne sont pas dans les clous, et qui manifestent le désir de s’engager, pourraient bénéficier d’une dérogation qui leur laissera le temps de s’adapter.
On l’a compris : la race normande, garante du lien au terroir, n’est pas un débat entre les leaders de l’AOP. Les négociations sur la montée en gamme, chère aux EGA, vont se cristalliser sur le minimum pâturé par vache durant six mois.« L’Union des producteurs AOP défend 25 ares accessibles depuis les bâtiments. Si, pour une raison ou une autre, ce n’est pas possible, l’éleveur devra le justifier », avance Benoît Duval, président de l’Union jusqu’à encore mi-juin et signataire de l’accord. « Il y a en fait un flou sur le sujet. D’autres comprennent 25 ares par vache avec un minimum pâturé, ce qui n’oblige pas à motiver le manque de surface pâturée. »
Si cette deuxième option était retenue, là aussi, il y a débat sur le minimum : 12 ares par vache ? 15 ares ? La différence serait distribuée en herbe. En affouragement en vert et/ou en ensilage d’herbe ? C’est un troisième point d’achoppement. Pour les industriels et les producteurs conventionnels impliqués, des conditions de pâturage dépendra le nombre d’éleveurs laitiers prêts à se lancer. « Ne fermons pas la porte à ceux qui ont des problèmes d’accès aux prairies », insiste Jocelyn Pesqueux. Tous comptent sur la commission d’enquête prévue d’être nomméefin juin pour les aider à trancher.
Prime : un intermédiaire entre le non-OGM et l’AOP actuelle
Au final, une fois faite la révision de l’AOP camembert en 2021 ou 2022, c’est le niveau de prime versée par les entreprises qui décidera les producteurs à s’engager ou pas. Puisque l’alimentation du troupeau sera sans OGM (les niveaux 1 et 2 concernés), on peut imaginer qu’elle ne sera pas en dessous de ce qui est pratiqué aujourd’hui : autour de 15 €/1 000 l. L’AOP actuelle donnera la tendance maximale. Ce sera un intermédiaire qui dépendra directement de la mécanique imaginée par les EGA : prix plus élevés en rayon, retour vers les producteurs. Vu les enjeux économiques que représente cette nouvelle filière, les producteurs « fabriqué » vont devoir se retrousser les manches et s’impliquer au sein des OP que leurs collègues AOP ont créées. L’ODG vient aussi d’ouvrir un collège « producteurs » qui leur est dédié.
Les craintes des producteurs AOP historiques
Chez les historiques – c’est désormais ainsi qu’on les appelle – l’évolution de l’actuel camembert de Normandie suscite des craintes, mais pas vis-à-vis du renforcement de leur cahier des charges (niveau 1). Le lait cru est, bien sûr, maintenu. Les normandes passent d’une vache sur deux dans le troupeau à deux sur trois. La place de l’herbe est accentuée. C’est la possibilité de vendre des camemberts de niveau 2 au lait cru qui ne passe pas. « Vous donnez la main aux industriels sur le lait cru. C’est grave », ont vivement reproché certains aux signataires de l’accord venus s’expliquer devant eux. « Ils pourront décider de la destination du lait : vers un camembert à partir de notre cahier des charges ou vers un camembert fait avec moins d’exigences. Sous le même logo, il y aura deux prix. Comment voulez-vous que les consommateurs s’y retrouvent ! »
Pour les signataires, la principale réponse se trouve dans un étiquetage clair des camemberts. Un premier pas est fait pour le niveau 1. Le fromage sera appelé « véritable camembert de Normandie ». Cela ne sera pas suffisant. Un travail débute sur les mentions lait cru, pasteurisé, etc. Où faut-il les indiquer : en façade, sur le fond de la boîte, quelle taille de caractère, etc. ?
Pour en finir avec la guerre, l’Inao et les signataires ont choisi de rassembler le maximum d’acteurs sous la même bannière. Cette ambition vaut aussi pour l’étiquetage. « Sinon, on verra des camemberts au lait cru, moulés à la louche, dans les rayons, mais sans cahier des charges », avertit Benoît Duval. Nul doute que les producteurs historiques seront vigilants jusqu’au vote qui validera le contenu de la grande AOP.
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