Bouffée d’oxygène chez les leaders de l’industrie

Article réservé aux abonnés.

(©)

Portés par l’envolée des produits industriels qu’ils fabriquent, les leaders de l’industrie ont été capables, au premier semestre, d’augmenter leur prix de plus de 70 €/1 000 l. C’est loin d’être le cas des transformateurs spécialisés dans les PGC.

Les producteurs de lait européens ne sont pas tous logés à la même enseigne pour faire face à l’envolée actuelle, et sans commune mesure, des charges. Avec leur prix du lait très réactif, ceux d’Europe du Nord apparaissent bien mieux armés. En Allemagne, sur les quatre premiers mois de l’année (données de mai et juin pas encore connues), le prix moyen a gagné près de 106 €/1 000 l à 432 €/1 000 l (lait 38/32) quand le prix du lait conventionnel français n’augmentait que de 63 €/1 000 l à 389,35 €/1 000 l. En Basse-Saxe, premier land laitier où se fabriquent surtout des produits industriels, le prix a bondi de 122 € à 440,50 €. En Bavière, second land laitier où se produisent surtout des PGC, il a gagné 86 € à 425,70 €. En avril, les producteurs de ces deux régions du nord et du sud de l’Allemagne ont été respectivement payés en moyenne 470 et 453 €/1 000 l (38/32). Et la tendance pour mai promet 20 € de mieux.

Aux Pays-Bas, les sociétaires de FrieslandCampina ont perçu, au premier semestre, 120 €/1 000 l de mieux à 449,50 €/1 000 l (38/32). Avec en mai, un prix grimpé à 481,60 €, en juin à 518,30 € et en juillet à 550,38 €. Un autre monde…

Le fait est que le dispositif français, gravé dans le marbre, n’est pas aussi réactif. Et pour cause ! Les prix sont établis sur la base d’indicateurs regardés avec deux ou trois mois de retard. Ceux de juin, par exemple, ont été établis chez Lactalis en prenant les indicateurs de marché de mars pour les marchés de PGC France (indice Insee PVI) et export (prix allemand). Et ceux d’avril pour les produits industriels (valorisation beurre-poudre) (1).

Calcul du prix du lait français inadapté aux périodes trop inflationnistes

Notre mode de fixation du prix du lait qui tamponne les hausses en conjoncture très favorable et limite les baisses en cas de crise des marchés, apparaît pour l’instant gagnant sur le long terme. La comparaison avec l’Allemagne est à ce titre éloquente. Sur les dix dernières années (2012-2021), les Français ont reçu un prix moyen de 328,64 €/1 000 l (38/32), 4,60 € de plus que les Allemands. Mais sur les cinq dernières années (mai 2017 à avril 2022), les producteurs allemands ont été payés en moyenne 341 €, 5,22 € de mieux. Notre mode de calcul est à l’évidence beaucoup moins adapté à des périodes hyper-inflationnistes, plus encore, quand elles durent comme aujourd’hui.

Un surcoût de 60 €/1 000 l pour les exploitations en 2022… au bas mot

Une étude d’Idele, réalisée au tout début du conflit ukrainien, évalue les surcoûts à attendre en 2022 de la hausse des intrants, au niveau des exploitations laitières (réseau Inosys). L’hypothèse d’une guerre russo-ukrainienne tournant court (un des deux cas envisagés) pouvant malheureusement être écartée, ce surcoût pourrait se situer, au bas mot, autour de 56 €/1 000 l pour les laitiers de plaine (2,15 UMO, 346 000 l/UMO), 64 €/1 000 l en zone de montagne Piémont (2 UMO, 237 000 l UMO)… Au bas mot, car cette simulation se limite à l’augmentation des aliments VL (+ 40 % par rapport à début 2021), aux carburants (+ 83 %) et aux engrais azotés (+ 61 %), trois postes qui ne pèsent que 21 % du coût de production (chiffrage 2020). Et tous les autres postes de charges sont appelés à augmenter : les coûts des services et du travail, les frais de mécanisation, les semences. Ou encore les charges de bâtiment pour les investisseurs.

« Par ailleurs, cette approche basée sur la logique Ipampa des coûts observés sur les douze derniers mois, n’intègre pas les coûts réels liés au pilotage d’une exploitation, ajoute Benoît Rubin, d’Idele. Ainsi les engrais N, qui seront achetés cette année pour la campagne suivante, subissent une inflation de l’ordre de 200 % et non 60 % comme retenus dans l’étude. »

Plus de 70 €/1 000 l de hausse chez les leaders de l’industrie

Apparaissant moins armés que leurs homologues allemands pour digérer cette inflation des charges, tous les producteurs français ne jouent pas non plus la partie avec les mêmes cartes. D’après notre observatoire, ceux qui livrent les leaders de l’industrie, voient leur prix du lait croître de plus de 70 €/1 000 l au premier semestre, comparé à 2021 (voir infographie). Dans l’Ouest, Sodiaal fait + 75 € (+ 70,50 € avec la saisonnalité appliquée) comme Agrial-Eurial, Lactalis +74 €/1 000 l. La progression est du même ordre pour les FMB Grand Ouest livrant à Savencia (+ 72 €)… Mais moindre pour les deux AOP en conflit juridique avec le privé. L’OP Cleps ne progresse que de 64 € et FMB Sud-Ouest de 42 €.

L’explication de ce + 70 € de hausse est à chercher dans la part de leur mix-produit dédiés aux produits industriels et leurs PGC export et à la forte progression de valeur de ces deux marchés. Sur la période, la valorisation beurre-poudre, baromètre des produits industriels (30 % du mix Lactalis), pris en compte dans la formule Lactalis-Unell, a bondi de 198 €/1 000 l (déduits les - 47,70 €/1 000 l au T2, imposés par tous les industriels) Elle contribue ainsi à hauteur de 74 % à la hausse du prix de l’ordre de 74 € (sans les ajustements imposés ou négociés avec les OP, elle aurait dû être de 80 €). Le prix allemand, reflet des PGC export (20 % du mix), qui a de son côté augmenté de 80 €/1 000 l, pèse à hauteur de 20 %.

De + 35 à + 50 €, pas plus chez les spécialistes des PGC

La contribution du marché des PGC France (50 % du mix) à la hausse du prix Lactalis se limite en revanche à 6 % : 2,7 % au titre de l’augmentation du coût de production appliqué par Laval, 3,3 % à celle du prix de vente sortie usine… Une paille, donc.

Logique, dans ce contexte, que la hausse consentie par les acteurs spécialisés dans les PGC France soit un ton en dessous des leaders de l’industrie. Milleret, un pur fromager, n’a pu élever son prix que de 35 € au premier semestre. Dans l’ultra-frais, Maîtres laitiers du Cotentin fait + 54 €, Danone Normandie + 50 €, Alsace Lait + 45 €. À noter, l’exception de l’OP Danone Nord. Sa formule de prix toujours indexée sur les grands marchés laitiers le booste de 72 €. LSDH, acteur du lait de consommation, voit, lui, son prix ne progresser que de 20 €.

D’après l’indicateur du marché pris en compte pour caler le prix du premier semestre (Indice Insee PVI Produits laitiers d’octobre 2021 à mars 2022), la valorisation des PGC France n’a progressé que de 11 €/1 000 l. Reste à voir quel sera l’effet des hausses négociées sur les marques nationales ce printemps, qui vont commencer à jouer en juillet… Mais surtout, ce que les entreprises auront réussi à accrocher comme hausses de tarifs dans le deuxième round engagé dans la foulée avec les GMS pour répercuter les hausses inhérentes au conflit russo-ukrainien. Sur ce point, l’annonce par Sodiaal d’une mise en stand-by de sa formule de prix, au prétexte que la réponse des GMS sur ce sujet n’était pas à la hauteur, n’est pas du meilleur augure (lire page 18).

Jean-Michel Vocoret

(1) Idem chez Sodiaal, à la différence près des produits industriels, pour lesquels mai a servi de baromètre.

© Jean Michel Nossant - Jean Michel Nossant

© gutner archive - Négociations. La capacité des laiteries à assurer, en 2022, une hausse de prix du lait à la hauteur de l’explosion des charges se joue sur le deuxième round des négociations de tarifs des PGC (marques et MDD) entamé avec les GMS. Fin juin, il semblait, hélas, toujours patiner.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo

Tapez un ou plusieurs mots-clés...