La Nouvelle-Zélande est-elle au taquet ?

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Bâtiments. Pour limiter les pertes d’azote dans les parcelles, les éleveurs ont investi dans des bâtiments légers et distribuent des fourrages conservés. Ces changements augmentent significativement les coûts de production. Jean-marie seronie
Bâtiments. Pour limiter les pertes d’azote dans les parcelles, les éleveurs ont investi dans des bâtiments légers et distribuent des fourrages conservés. Ces changements augmentent significativement les coûts de production. Jean-marie seronie (©Jean-marie seronie)

La filière laitière néo-zélandaise a doublé sa production en vingt ans et assure un tiers du commerce mondial. Pourtant, depuis deux ans, la production stagne, et les éleveurs ont perdu beaucoup d’argent en 2016. Incident de parcours ou tournant majeur ?

Quand Grant Wills, éleveur laitier d’une cinquantaine d’années, nous fait visiter sa ferme, on comprend les ressorts de la ruée vers l’or blanc néo-zélandais et le virage qui se prépare du fait de la pression environnementale. Grant est éleveur dans le Waikato, le cœur historique de la Nouvelle-Zélande laitière, dans l’île du Nord. Il a acheté la ferme de ses parents il y a vingt ans. Sur 130 ha, son père produisait alors des moutons et de la viande bovine. Il décide de tout transformer en production laitière à la stupéfaction parentale.

Les vaches sont dehors 365 jours par an

Aujourd’hui, il possède 800 vaches sur 250 ha, dont 90 % en pâturages (la ferme laitière moyenne est de 150 ha et 415 vaches). Plus de 80 % de la ration est de l’herbe pâturée. Les 180 génisses nécessaires au renouvellement et à la croissance ainsi que les vaches taries sont élevées par deux autres fermes. Cela lui permet d’optimiser les parcelles pâturées par les vaches dans un rayon de 2 km autour du bloc de traite et de ne pas se disperser dans le travail. Ses vaches sont des kiwis cross, des animaux croisés frisonnes et jersiaises, de petits formats, produisant 4 200 litres d’un lait très riche en MSU. Elles sont dehors 365 jours par an et parcourent plusieurs kilomètres chaque jour. La gestion du pâturage tournant est pilotée à la journée, voire à chaque traite avec mesure hebdomadaire de la pousse d’herbe. Le dessin des paddocks a été savamment étudié et les chemins sont régulièrement stabilisés pour permettre une circulation par tous les temps, dans cette région où il pleut annuellement plus de 1000 mm.

Le pâturage représente donc pour les éleveurs néo-zélandais un véritable or vert qu’ils exploitent en virtuose. Ils obtiennent ainsi des coûts de production très bas. Pendant longtemps, les chemins et le bloc de traite ont d’ailleurs constitué les seuls investissements amortissables des exploitations.

Un droit de pertes en azote régulièrement contrôlé

Depuis quelques années, la réglementation environnementale se durcit. Pour augmenter l’efficacité de la ration, Grant Wills a introduit du maïs, ce qui permet de mieux valoriser l’herbe et de limiter les pertes azotées. Il fait cultiver les 50 ha de maïs nécessaires sur une autre ferme. Toutes ces sous-traitances lui permettent d’optimiser l’efficience de son entreprise en spécialisant les tâches, mais aussi la gestion de l’environnement en augmentant les surfaces.

Comme tout éleveur, il dispose d’un droit de pertes en azote qui est régulièrement contrôlé. Afin de limiter les pertes sans pénaliser sa production, il a investi il y a quelques années dans trois bâtiments légers de 200 vaches chacun. Ces bâtiments disposés près du bloc de traite permettent de distribuer plus facilement l’ensilage et les fourrages conservés, et d’améliorer le confort des animaux comme des travailleurs. Les vaches y passent un peu de temps avant et après la traite. Cela permet donc de réduire la charge en effluents dans les parcelles proches de la salle de traite. De plus, il a dû poser des clôtures tout le long des cours d’eaux pour éviter que les animaux n’y pénètrent.

Ces changements ont augmenté significativement ses coûts de production. Afin d’améliorer la valorisation de son lait, il a décidé de passer à deux périodes de vêlage pour produire davantage de lait l’hiver. Même si cela coûte plus cher, c’est rentable grâce à la forte prime proposée par Fonterra. La coopérative collecte 85 % du lait néo-zélandais et cherche à lisser la production en réduisant l’énorme pic printanier. Elle exporte 95 % de ses produits dans 140 pays, principalement sous la forme de commodités. Depuis la signature d’un accord de libre-échange, la Chine est devenue de loin le plus gros de ses clients.

Grant Wills a beaucoup financé la croissance de son entreprise par l’emprunt. Dans son raisonnement financier, il considère que quand son taux de dette sur total de bilan passe sous la barre des 40 %, il lui faut réinvestir. Ses prêts sont souvent in fine et à taux variable.

Un repère : les frais financiers par kg de lait

Il y a quelques années, toujours avec cette logique, il a investi avec deux autres éleveurs dans l’île du Sud, sur deux fermes laitières irriguées de 750 et 600 vaches laitières. Cela l’enthousiasme de gérer dans un contexte climatique différent et avec d’autres conditions techniques. Il a un repère de gestion important pour lui qui est ce qu’il appelle « le taux d’efficacité », soit les frais financiers rapportés au kilo de lait. Il constate que ce ratio se dégrade. C’est un point de vigilance qui ne remet pas en cause sa stratégie. La retraite se profilant à l’horizon avec sa femme Karo, ils considèrent que la ferme du Nord est un patrimoine à conserver dans la famille. L’investissement réalisé dans le Sud pourra sans doute être cédé pour financer leur retraite !

Cette success story est très emblématique de l’expansion laitière néo-zélandaise comme du virage qui semble se dessiner. Le pays dispose d’un climat favorable à la production d’herbe et a su construire une filière laitière concentrée et efficace, tant à la production qu’à la transformation. Ce modèle « low cost, low price » a permis un important développement sur les marchés à l’export. La croissance de la production laitière s’est beaucoup faite, ces quinze dernières années, par l’augmentation du nombre de vaches laitières dans l’île du Sud, souvent d’ailleurs par la reprise de fermes ovines par des éleveurs laitiers de l’île du Nord. Cette ruée vers l’or blanc s’est financée grâce aux importantes marges dégagées et à des emprunts.

Des coûts de production qui augmentent

Pour autant, la production laitière étant presque intégralement exportée, les prix payés aux producteurs sont sensibles aux aléas de marché et certaines années, les déficits sont importants. Peu à peu, ce modèle se transforme sous la pression de la question environnementale, qui conduit à modifier les techniques de production (maïs, bâtiments…) et donc à augmenter les coûts de production. Face à cela, Fonterra engage une stratégie de montée en gamme pour accroître la valorisation des produits.

La filière laitière pourrait aussi être fragilisée par une augmentation des taux d’intérêt. Pour certaines exploitations aujourd’hui, les frais financiers représentent plus de 20 % du chiffre d’affaires. Elles ne résisteraient pas à une hausse des taux et seraient alors rachetées par d’autres. Par ailleurs, la croissance à venir de la production néo-zélandaise sera sans doute plus modérée. Elle ne se fera vraisemblablement pas par l’augmentation du nombre de vaches à cause de la limitation des droits de lessivage d’azote, mais davantage par la hausse du rendement laitier. Sur ce plan, il existe de réelles marges de manœuvre, notamment par une optimisation de la ration et un suivi individuel des animaux, ce qui est encore ­rarement le cas. En résumé, après une phase de croissance euphorique, la filière laitière de Nouvelle-Zélande entame sans doute aujourd’hui une période d’optimisation et de consolidation.

Jean-Marie Séronie, Agroéconomiste

© Jean-Marie Séronie - Grant Wills possède 800  vaches sur 250 ha, dont 90 % en pâturages. Il investit dès que son taux de dette sur total de bilan passe sous la barre des 40 %. Jean-Marie Séronie

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

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