Une piste pour créer de la valeur

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Lait sans OGM, produit à l’herbe, local… Et si l’écoute des consommateurs donnait des idées pour mieux valoriser le lait à la production ? C’est la grande tendance du ­moment, porteuse d’espoir, mais aussi de risques.

Traditionnellement, le marché laitier se divise en deux segments principaux : le conventionnel et le bio (2,2 % des volumes). S’y ajoutent, notamment en France, les AOP. Un marché loin d’être négligeable puisqu’il représente, par exemple, 650 Ml de lait chez Sodiaal. Récemment, on a vu apparaître des marques de proximité avec les producteurs. Elles donnent aux consommateurs la satisfaction de les rémunérer correctement. La plus connue : C’est qui le patron ! ?

L’Allemagne veut du lait garanti sans OGM

En Europe, c’est le lait produit par des vaches nourries sans OGM qui perce, à la demande des distributeurs allemands. Arla Foods, la coopérative scandinave, a commencé en 2016 à organiser une collecte de lait sans OGM pour satisfaire ce marché. Fin avril 2017, la coopérative néerlandaise Friesland Campina a annoncé qu’elle mettait en place une filière dédiée pour fabriquer des fromages sans OGM.

Il y a fort à parier que cette tendance vers une segmentation accrue va s’amplifier sous la pression des distributeurs, des concurrents du nord de l’Europe, mais aussi des producteurs. Car cette crise qui s’éternise et ces demandes de plus en plus spécifiques des consommateurs poussent les éleveurs à chercher, par cette voie, une amélioration durable de leur prix du lait.

Les entreprises françaises regardent ces mouvements avec un certain intérêt, non dénué de méfiance. « Il y a encore quelques mois, je n’y croyais pas du tout », lance Serge Moly, directeur des approvisionnements chez Lactalis. Mais aujourd’hui, il s’interroge face aux demandes multiples des distributeurs français et allemands. « Nous avançons prudemment car si l’on segmente sur nos marques, on risque de créer une suspicion sur le reste de la gamme. Pour le lait sans OGM sous MDD, le risque est de voir les enseignes se réapproprier le concept. »

La Prospérité Fermière a déjà sauté le pas (voir encadré page suivante), de même que quelques entreprises proches de la frontière allemande.

De son côté, Sodiaal recherche des volontaires pour s’engager dans cette voie en Alsace, en Bretagne et dans le Massif central. L’objectif est de lancer les produits à l’automne. « Nous vendons chaque année 10 000 t de fromages en Allemagne. Nous devons nous préparer, à court terme, à les fabriquer avec du lait non OGM », précise Damien Lacombe, président de Sodiaal. C’est toute la transformation française qui s’empare soudain du sujet.

Assurer une nécessaire plus-value dans la durée

Et l’on sent pointer d’autres demandes, souvent véhiculées par les distributeurs. Le pâturage, le bien-être animal, la réduction des antibiotiques, des produits phytosanitaires… Autant de thématiques qui sensibilisent les consommateurs.

Les enjeux de ces mouvements sont majeurs. Le premier est, sans conteste, celui de la valorisation. La filière a désespérément besoin de rehausser le prix du lait à la production. La segmentation ouvre clairement une voie en ce sens. « Nous devons capitaliser sur le savoir-faire de l’amont et en tirer une valorisation supplémentaire et durable pour nos adhérents », précise Damien Lacombe. Il ne faut pas tomber dans le piège d’une dévalorisation du standard actuel pour le remplacer par un niveau plus élevé au même prix. Mais, selon Serge Moly, ce n’est pas gagné. Les distributeurs rechignent à accepter que leurs demandes induisent des surcoûts dont le prix doit tenir compte.

Aujourd’hui, pour le lait non OGM, il semble exister un consensus autour d’une prime à 10 €/1 000 litres. Un niveau plus proche de l’incitation que de la compensation. La valorisation supplémentaire est également nécessaire pour les industriels. Car recréer des circuits distincts pour la collecte et la fabrication coûte cher. Ces dernières années, les transformateurs ont rationalisé leur activité pour rester compétitifs. En segmentant, ils devront faire le chemin inverse. Ces surcoûts ne devront pas excéder la valeur créée.

Trouver une définition pour le lait à l’herbe ?

La définition du produit est également un enjeu fort. La segmentation s’appuie sur un cahier des charges. Les choses sont assez simples pour le lait non OGM. Le modèle allemand (VLOG) s’impose petit à petit comme une référence.

Mais comment définir le lait à l’herbe ? La vision de la coopérative néerlandaise Friesland Campina (au moins 6 h/j en pâture, 120 j/an) fait sourire les herbagers français. Mais peu importe. Les éleveurs engagés touchent une prime (15 €/t) et pour le reste, c’est du marketing. D’ailleurs, Arla a lancé son propre lait produit à l’herbe en reprenant le modèle néerlandais.

On voit mal la France suivre ce schéma. Mais si chacun fixe sa propre définition, le consommateur va s’y perdre. Et il existe un risque de surenchère. « Il faudrait un socle commun, reconnu par tous », évoque Laurent Vial, administrateur chez Sodiaal. Le Cniel y travaille. Pour Serge Moly, la charte de bonnes pratiques offre une bonne base.

Ces démarches redonnent du sens au métier

Ce n’est pas simple tant la demande du consommateur est confuse. « Quand il veut du lait à l’herbe, parle-t-il de nutrition, de bien-être animal ? ou des deux », s’interroge Dominique Chargé, président de Laïta et de la FNCL. Comme Damien Lacombe, il estime que les coopératives ont intérêt à surfer sur la recherche du consommateur pour un lien avec le producteur. Cet atout des coopératives est déjà mis en avant à travers les marques. Si ce positionnement n’induit pas de plus-value directe pour les producteurs, il contribue néanmoins à soutenir la valorisation du lait par les marques. Mais le président de la FNCL insiste sur la nécessité de ne pas oublier les attentes des adhérents en voulant répondre à celles des clients : « Je crois vraiment que la segmentation débouchera sur une meilleure valorisation pour les producteurs. Elle ouvre aussi sur une émulation, un nouveau sens au métier. » Pour éviter le risque de surenchère par des distributeurs, les industriels ont sans doute intérêt à travailler avec eux sur cette segmentation. « Cela offre une voie pour animer les rayons autrement qu’avec des promotions. Tout le monde y a intérêt », remarque Laurent Vial. Mais il s’agit aussi de faire comprendre aux enseignes qu’elles ne peuvent pas tout demander.

Il n’y aura pas assez de colza pour tout le monde

La segmentation des marchés cache aussi des enjeux techniques. Sodiaal travaille avec le BTPL et les chambres d’agriculture pour accompagner les éleveurs dans l’optique de nourrir leurs animaux sans OGM. Le moyen le plus simple, c’est de remplacer le tourteau de soja par du colza. Sauf que l’offre ne suivra pas. Dominique Chargé réfléchit à l’opportunité d’aller plus loin : « Nourrir les vaches sans OGM pousse à davantage d’autonomie protéique. Une évolution de système qui va dans le sens d’un meilleur revenu et qui répond à d’autres souhaits des consommateurs. »

La recherche doit aussi s’approprier ces évolutions pour mieux identifier et diffuser les techniques qui permettent de réduire l’usage des antibiotiques ou des produits phytosanitaires, ou encore de limiter la production de gaz à effet de serre, afin d’anticiper des demandes futures. Des techniques ou des outils restent à inventer.

Dans ce nouveau contexte, les éleveurs français, avec leurs troupeaux de taille plutôt modeste, nourris essentiellement par des fourrages produits chez eux, ne manquent pas d’atouts. Il reste à sortir d’une logique de simple réponse à une demande. À eux de mettre en avant leurs différences pour créer de la valeur durable.

Pascale Le Cann

Voir aussi L’interview p. 24

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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