De nombreux défis pour l’élevage bovin français

Les chiffres ne mentent pas : en matière de compétitivité, de revenu et d’emplois, les secteurs bovins français sont à la traîne en Europe. Pourrons-nous exploiter demain notre autonomie alimentaire et la diversité des modes de production qui nous caractérisent ?

Lors des dernières journées 3R, Vincent Chatellier (Inrae Nantes) a présenté un travail collectif (1) qui dresse un état des lieux des secteurs bovins (lait et viande) français. À la suite de cette analyse chiffrée, plusieurs menaces se dessinent pour ces deux filières de production et les quelques opportunités que les chercheurs ont voulu identifier apparaissent bien fragiles.

En introduction, les chercheurs rappellent que l’élevage bovin français suscite de nombreux débats controversés entre consommateurs, pouvoirs publics et acteurs de la filière. Mais plusieurs rapports et publications insistent sur la fragilité de ces productions. Citons pêle-mêle : une dégradation du positionnement commercial face à la concurrence, avec une augmentation des importations de produits laitiers ; une incapacité à exporter les produits qualitatifs (AOP) ; une baisse des performances économiques dans les élevages ; une forte dépendance aux aides directes et une perte drastique d’emplois au niveau de la production.

Qu’en est-il de notre compétitivité aux frontières ?

Avec 3,3 milliards d’euros, la France présente le deuxième solde commercial positif de l’UE en produits laitiers, derrière les Pays-Bas. Mais il se dégrade depuis 2015, et ce n’est pas une surprise : contrairement aux autres pays d’Europe du Nord, la France n’a pas saisi l’opportunité d’augmenter sa production après la fin des quotas. Cette dégradation de la balance commerciale est plus particulièrement marquée avec nos partenaires européens : de 1,74 Md€ en 2012, nous arrivons à 0,44 Md€ en 2019. Il n’y a que les exportations sur pays tiers – et notamment vers la Chine – qui compensent un peu la dégradation.

Tous les produits ou presque sont touchés. Certes, la France a toujours été très déficitaire en matières grasses (beurre et crème), mais même sur nos principaux produits exportés que sont les fromages (44 % en valeur), nous perdons des parts de marché : les exportations stagnent depuis quatre à cinq ans, alors que les importations continuent de progresser, et la balance commerciale faiblit. Ce recul de la France sur les marchés européens s’illustre avec l’exemple de l’Allemagne : la France représente 12 % des importations de ce pays en 2019, contre 17 % en 2010.

En viande bovine aussi, les exportations françaises s’érodent, alors que l’Irlande et la Pologne connaissent une expansion vertigineuse. Nos principaux clients restent l’Italie, la Grèce et l’Allemagne, ce qui n’est pas nécessairement porteur pour l’avenir. Quant à nos performances sur les marchés hors de l’Europe, elles sont très faibles. L’élément rassurant est que les importations de viande bovine ne progressent pas.

Le marché intérieur nous serait-il plus favorable ?

En produits laitiers, la consommation intérieure représente 21 milliards de litres (310 kg par habitant). Les importations jouent un rôle important puisqu’elles pèsent 29 %. Ce sont les industries agroalimentaires qui importent massivement des produits plus compétitifs : 55 % de leurs achats. Les ménages, eux, sont très fidèles aux produits laitiers français (91 % des achats). En viande bovine, la consommation nationale est l’une des plus élevées d’Europe et en vingt-cinq ans, elle n’a reculé que de 5 % en volume – une tendance baissière qui devrait se poursuivre dans les années à venir. Aujourd’hui, 45 % de la viande achetée l’est sous une forme hachée. C’est majoritairement la restauration hors domicile (RHD) qui consomme de la viande importée (57 % des volumes), essentiellement des femelles venues d’Europe du Nord, alors que les mâles produits en France (JB) sont destinés à l’exportation.

Les exploitations bovines sont-elles compétitives ?

En bovins lait, depuis trente ans, la productivité du travail s’est accrue de manière très significative, avec un taux de croissance moyen annuel de 2,9 %. « Cette augmentation continue a été rendue possible par des investissements dans des matériels, des bâtiments, et l’externalisation de certaines tâches, note Patrick Veysset (Inrae), l’un des auteurs de l’étude. Mais les volumes d’équipements nécessaires ont augmenté plus rapidement que la production agricole, entraînant une légère baisse de leur productivité. »

La productivité animale (litre de lait/vache) a aussi progressé en moyenne de 1,36 % par an. Pour autant, l’efficience technique, définie comme étant la productivité des consommations intermédiaires et des équipements, augmente de seulement 0,11 % par an sur cette même période. Et en bovins viande, cette efficience technique se dégrade (- 0,62 %/an), tout comme la productivité animale.

« Le revenu des éleveurs spécialisés dépend énormément des aides, constate Vincent Chatellier. Leur part dans le revenu passe de 50 % sur la période 1988-1992, à près de 200 % sur 2014-2019. Cela induit une très forte sensibilité aux décisions de la Pac. » En 2019, le résultat courant avant impôt (RCAI) par UTA non salariée était à peine au-dessus de 15 000 €. En bovins lait, le revenu annuel des éleveurs est marqué par une forte volatilité depuis quinze ans, avec la sortie progressive des quotas. On notera d’ailleurs deux fortes dépressions, en 2009 et 2016. La part des aides dans le revenu a aussi nettement progressé en presque trente ans : de 10 %, en 1992, à 80 % en 2019. Il est remarquable qu’en dépit de l’importante augmentation de la productivité du travail mentionnée plus haut, le revenu des éleveurs laitiers, à monnaie constante, a peu évolué ces trente dernières années.

Il importe aussi de constater que le revenu par UTA (non salariée) des exploitations laitières spécialisées en France est l’un des plus bas d’Europe. Avec 24 000 € en 2018, nous sommes loin derrière l’Irlande (51 000 €), les Pays-Bas (41 800 €) ou l’Allemagne (34 700 €). « Les producteurs français n’ont ni le prix du lait (après ristournes) élevé des Néerlandais et des Danois, ni le faible coût de production des Irlandais. Contrairement à ses concurrents, la France n’a pas participé à l’augmentation des volumes produits après les quotas. Cette forme de repli sur le marché intérieur des PGC n’a pas été un choix profitable pour les éleveurs français. »

En outre, l’autonomie alimentaire, qui caractérise les systèmes laitiers hexagonaux par rapport au reste de l’Europe, coûte cher en charges de mécanisation et pénalise la rentabilité des exploitations. Le coût alimentaire est ainsi plus élevé, sans être dilué par davantage de volumes produits : le différentiel est de + 30 €/1 000 l par rapport aux systèmes des Pays-Bas ou de l’Allemagne du Nord, pourtant gourmands en concentrés. Ce lait français plus autonome, souvent associé au pâturage, qui répond aujourd’hui à une demande sociétale, n’est pas encore suffisamment valorisé par les prix sur le marché. Mais cela pourrait être un atout pour demain.

Les emplois dans le secteur bovin

Avec 3,3 Md€, l’élevage bovin regroupe 219 000 emplois directs (chiffres 2010) et les exploitations en bovins lait sont le premier pourvoyeur d’emplois non salariés, devant celles de grandes cultures. « Mais cette hiérarchie devrait s’inverser prochainement en raison d’une restructuration plus vive en production laitière », note Christophe Perrot (Idele), également l’un des auteurs. Il insiste aussi sur le poids limité du travail salarié : « Seulement 17 % des UTA totales en bovins lait et 14 % en bovins viande, y compris dans les grandes exploitations où les formes associatives dominent. Et dans les Gaec, près de huit associés sur dix sont apparentés. » Le vieillissement des producteurs, qui avait repris après 2000, et le fort effet « préretraite » semblent se stabiliser. Mais l’âge des producteurs reste élevé : 48 % ont plus de 50 ans. L’attractivité du métier ne s’est pourtant pas dégradée sur la dernière décennie. Ainsi, le flux du nombre d’actifs non salariés entrant dans le secteur bovin lait est relativement stable : entre 2 000 et 2 300 chaque année. Mais ces entrées dans le métier d’éleveur ne suffisent pas à compenser les départs : seuls un sur deux en bovins lait et un sur trois en bovins viande sont remplacés. La restructuration est encore plus forte au niveau des exploitations : une ferme laitière sur trois est reprise par un jeune de moins de 40 ans qui va la relancer. « Nous pouvons nous interroger sur le maintien de notre capacité à produire dans les années à venir », concluent les auteurs.

Dominique Grémy

(1) V. Chatellier (Inrae), C. Perrot (Idele), E. Beguin (Idele), M. Moraine (Inrae) et P. Veysset (Inrae).

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,14 €/kg net +0,04
Vaches, charolaises, R= France 6,99 €/kg net +0,05
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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