Sécuriser l’exploitation et l’activité dans un contexte insécurisant

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Sécuriser le prix de l’eau et de l’électricité est l’un des objectifs du couple. Un récupérateur d’eau de pluie avec une micro-station de traitement va être installé cette fin d’année. Un projet de couverture photovoltaïque est en cours : 330 kWh seront vendus,72 KWh seront autoconsommés par le robot, le laboratoire. (© Anne Brehier)

Dans le Doubs, Aurore et Matthieu Baulieu ont largement développé leur Gaec en presque dix ans, avec une réflexion sur la sécurisation de leurs activités tout au long de la croissance de l’exploitation.

Le Gaec de Fontagneaux, à Pelousey, dans le Doubs, a connu un développement important depuis dix ans, avec l’installation de Matthieu le 1er janvier 2015 sur la ferme de ses beaux-parents, puis d’Aurore cinq ans plus tard.

Une stabulation libre avec robot de traite a été construite pour une centaine de vaches en 2015, une transition vers le bio a été engagée en 2020. Pour diversifier l’activité laitière, deux poulaillers (1 600 poules au total) ont été installés en septembre 2021, suivis cette année d’une fabrication de glaces à la ferme. « En dix ans, l’EBE a été multiplié par cinq », résume le jeune couple. Près de 95 % des produits sont vendus en circuits courts via un contrat exclusif de vente de lait avec une PME locale, un magasin à la ferme, deux distributeurs automatiques et une trentaine de clients (revendeurs, collectivités, restaurateurs).

Le distributeur automatique installé à l’entrée de l’exploitation en janvier 2023, reçoit en moyenne trente passages par jour. Y sont vendus les fromages, les oeufs, du lait, de la viande de boeuf, ainsi que la charcuterie d’un collègue, éleveur de porcs sur paille. (© Anne Brehier)

La transition bio n’a pas été à la hauteur

À chaque étape, Aurore, ancienne formatrice de gestion d’entreprise en CFA, et Matthieu ont veillé à raisonner au mieux leurs investissements. La mise en service du nouveau bâtiment des laitières avait été bien préparée en amont. « Rapidement, nous sommes montés en lait, jusqu’à 790 000 litres en 2020 avec 75 montbéliardes traites contre 600 000 litres en 2015, précise Matthieu. À l’époque, nous visions un système productif à la personne avec du lait conventionnel produit au maïs. » Ce choix stratégique a été remis en cause lors de l’arrivée d’Aurore sur l’exploitation. Outre la reprise de 50 ha à proximité et la construction des deux poulaillers, le couple a décidé d’opérer une transition bio en mai 2020. « Le marché, à l’époque, semblait porteur. Le propriétaire des terres, un agriculteur bio, voulait qu’elles restent dans ce système. Et nous étions nous-mêmes dans l’optique de faire autrement. Dans notre environnement péri-urbain, à 15 km de Besançon, nous souhaitions que les gens nous voient différemment qu’avec notre tonne à lisier et notre pulvérisateur », continue-t-il.

Parallèlement, l’exploitation a changé de laiterie pour livrer à une petite PME locale. « C’est un partenariat exclusif, soulignent les éleveurs, engagés en bio jusqu’en 2025. Nous sommes leurs seuls producteurs, ils sont notre seul débouché. Chaque début d’année, nous négocions un prix du lait. Ça se passe bien même si l’entreprise a du mal à valoriser notre lait en bio. La filière n’est plus porteuse. Nous n’avons pas la marge que nous devrions avoir. C’est frustrant. éthiquement, nous sommes très contents de produire en bio, mais économiquement, c’est difficile. De 790 000 litres de lait produits en 2020 sur 130 ha, nous sommes tombés à 600 000 l sur 180 ha. L’écart de prix entre le bio et le conventionnel, qui s’élevait à 150 €/ 1 000 litres lors de notre conversion, a chuté à 40 €/1 000 l aujourd’hui. Nous avons perdu en productivité laitière et en efficience économique. La marge sur coût alimentaire par vache et par jour en bio est inférieure d’au moins 2 € à ce qu’elle était quand nous étions en conventionnel. »

Les vaches montbéliardes. En 2024, sur les terrains hydromorphes de l’exploitation, les vaches sont sorties très tard, début juin au lieu d’avril. Les génisses ont été mises à l’herbe aux dates normales, mais les pâtures ont été abîmées. Les récoltes, médiocres en qualité, ont été complexes. (© Anne Brehier)

Techniquement, le système reste encore à caler. Il s’agit de trouver un bon équilibre entre productivité et autonomie. « Nous sommes restés dans un raisonnement bio productif avec des vaches en état, précise Matthieu. La première année, on s’est pris une claque. Pour les méteils grain, on est partis sur un mélange rustique triticale-pois. Mais, depuis deux ans, le pois disparaît. La valeur protéique de l’alimentation de nos vaches est faible (10-11 % de MAT). En conventionnel, on rééquilibrerait avec un tourteau et une bonne VL. En bio, c’est trop cher. Avec une ration pauvre en protéines, faire des taux est difficile. Autonomes en fourrages, on achète cher des concentrés. On revient progressivement à un meilleur niveau de production par vache (7 500-8 000 kg), mais avec un coût alimentaire élevé dû aux achats de tourteau 40 (850-900 €/t). En conventionnel, on serait à moitié prix. »

La plus grosse crainte est d’ordre sanitaire

Heureusement, avec les diversifications réalisées et la vente directe, l’EBE sur produit brut s’est amélioré en passant de 28-30 % en 2020 à 37 % aujourd’hui, mais avec une charge de travail beaucoup plus lourde et un risque financier plus élevé. À partir de 2025, les annuités représenteront deux tiers de l’EBE. « Nous voulions du challenge, nous sommes servis ! », s’exclame le couple.

Au-delà des aléas climatiques de plus en plus fréquents qui fragilisent le système fourrager, la plus grosse crainte des agriculteurs est d’ordre sanitaire, liée à la détection de salmonelle sur les œufs en particulier. « Plus que les investissements qui induisent une nécessité de rentabilité mais pour lesquels nous avons élaboré un plan de financement, c’est le risque de mise en danger d’autrui qui est le plus stressant, pointe Aurore. À chaque analyse de fiente et d’œufs opérée respectivement toutes les semaines et tous les deux mois, la crainte d’un rappel produit est vécue comme une épée de Damoclès. En vente directe, on se sent encore plus responsable. En cas de problème, on est en première ligne. »

Une crise sanitaire mettrait en cause l’atelier de poules pondeuses, les relations clients et la démarche de diversification engagée sur l’exploitation. Pour s’en prémunir, une assurance adaptée, Pack Sécurité, avec prise en charge de la perte d’exploitation a été souscrite. Face à la menace de grippe aviaire en revanche, l’éleveuse est relativement sereine : « Nos parcs sont divisés en quatre et nous obtenons des dérogations face aux obligations de confinement. »

Les 1 600 poules pondeuses produisent 1450 oeufs bio par jour. Ces derniers sont vendus sur le bassin de Besançon, dans les GMS, épiceries, restaurants et via les deux distributeurs automatiques de la ferme. Les poules de réforme sont vendues à des particuliers. (© Anne Brehier)

Autre risque majeur pour l’exploitation : l’humain (accident, problème de santé…). Avec un système reposant sur leurs épaules, Aurore et Matthieu ont conscience d’être tous les deux indispensables au bon fonctionnement de l’exploitation. Avec un temps de travail hebdomadaire estimé à 70 heures, l’absence de l’un ou de l’autre aurait de lourdes conséquences. Ils veillent donc à garder une polyvalence, même si Aurore est davantage en charge de la gestion de l’entreprise et de la diversification, alors que Matthieu est plus impliqué dans l’élevage. « Nous allons encore tous les deux au champ et nous nous retrouvons à l’étable tous les matins, souligne Aurore. Malgré tout, Matthieu seul aurait du mal à gérer le commerce, et moi, le troupeau. » Le robot qui détecte les chaleurs et les mammites constitue une aide appréciable. La grande souplesse qu’il a apportée a permis la diversification des ateliers.

Pour se protéger, les jeunes éleveurs travaillent beaucoup en entraide et cotisent au service de remplacement. Pour réduire leur charge de travail, ils ont recruté des salariés : un retraité à tiers temps en octobre 2021, puis une salariée à temps plein en juin 2024. Une stagiaire va prochainement les rejoindre en apprentissage. Le lancement récent de l’atelier glace, destiné à valoriser les œufs invendus, devrait dégager la valeur ajoutée nécessaire pour financer un emploi et permettre au couple de se libérer du temps. « Nos trois enfants (13, 10 et 6 ans) restent notre priorité », reprend Aurore.

Intégrer le risque dans la marge

L’un des moyens les plus efficaces de couvrir les différents risques encourus par l’entreprise et ses dirigeants est de les intégrer dans les marges, à condition de maîtriser le prix du produit fini, et de le fixer en fonction de ses coûts de production et de la façon dont on se situe sur le marché. « On fait régulièrement nos calculs de marge sur coût alimentaire, souligne Aurore. C’est l’indicateur le plus pertinent pour l’atelier lait. »

Glaces et sorbets : 20 parfums différents sont proposés. « L’ajout de différents sucres donnent différentes textures, précise Aurore. Il ne faut pas se louper. Il faut également adapter la taille des contenants à la demande des clients. Pas facile au démarrage». (© Anne Brehier)

Sur les œufs, établir le prix de revient est simple car il s’agit d’un atelier indépendant avec toute l’alimentation achetée à l’extérieur. Pour les glaces, Aurore utilise un tableur Excel fourni par son partenaire Glace de la ferme. « Je rentre le prix de vente du lait (au même niveau que celui livré à la laiterie), le coût des ingrédients (sucre, parfum) et celui des équipements. Puis, je rajoute notre marge. En prix de vente, nous sommes plutôt dans la fourchette haute, mais nous utilisons notre propre lait bio, nous l’écrémons nous-mêmes et nous cassons nos œufs », continue-t-elle. Malgré toutes les précautions prises subsistent des risques impondérables. L’impact du risque sanitaire reste compliqué à évaluer. « Avec la vente de nos vaches de réforme en direct et en steak haché (100 % des vaches de réforme)(1), nous fixons le prix de vente de notre viande, explique Matthieu. Mais il y a parfois des imprévus difficilement intégrables. Ainsi une saisie à l’abattoir a un impact sur la marge réalisée en vente directe. » Rarissime il y a quelques années, le risque de non-fiabilité de certains partenaires, financeurs en particulier, est aujourd’hui une réalité en Bourgogne- Franche-Comté à cause de la gestion calamiteuse des fonds européens par la Région. « Cela remet en cause les plans financiers élaborés lors des investissements, déplorent les agriculteurs. Fin août 2023, nous avons enfin perçu une partie des aides européennes Feader pour les poulaillers. La demande avait été faite en avril 2020. Le 7 février 2024, une demande a été déposée pour un projet de nurserie. L’accusé de réception nous est parvenu le 20 septembre. »

(1) 5-6 génisses croisées sont commercialisées chaque année en colis de 5 kg.

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Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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