
Partant d’un système maïs-soja, les trois associés du Gaec du Luthau ont augmenté progressivement la part d’herbe pâturée et récoltée dans la ration de leurs vaches. Objectif : réduire les achats d’aliment sans mettre en péril la production.
Quand un système fonctionne bien, il n’est pas nécessaire de tout chambouler d’un coup. Ainsi, la ferme du Luthau, en Isère, s’est ajustée, par petites touches, au fil des ans à l’évolution de la main-d’œuvre, à la conjoncture économique et aux bouleversements du climat. En quinze ans, l’élevage est passé d’un à trois chefs d’exploitation et le système a évolué d’une dominante maïs-soja à une dominante herbe. Les trois associés font le bilan : « Nous avons une ration de base plus équilibrée, moins de problèmes sur les laitières, plus de production et moins d’achats extérieurs. »
Succédant à son père, Jérôme Poulet a géré l’exploitation seul pendant quinze ans avant d’être rejoint par ses fils, Valentin en 2012 et Théo en 2019. Le bâtiment en aire paillée intégrale et la salle de traite datent de 1976. À l’installation de Théo, le cheptel a légèrement augmenté pour atteindre 73 vaches laitières, avec 70 % en race prim’holstein et 30 % en race montbéliarde. Le bâtiment est saturé. Les investissements ont été mesurés car, après le départ à la retraite de Jérôme, ses fils ne sont pas sûrs de retrouver un troisième associé. Cette même prudence avait orienté Jérôme vers le choix d’une aire paillée intégrale : « Ce système est plus évolutif que les logettes, et je ne savais pas si mes fils continueraient le lait. » En attendant, « pour sortir trois salaires, il ne faut pas faire d’erreur », souligne Valentin. Disposant d’un contrat de 700 000 l avec la SAS Étoile du Vercors (avant avec Danone), le Gaec en produit environ 680 000.
Stocker par sécurité
« Notre système est plutôt intensif, reprend Valentin. Nous avons toujours été autonomes en fourrages mais nous voulions améliorer notre autonomie protéique pour diminuer nos achats d’aliment et réduire nos charges. En quinze ans, nous sommes passés d’un système maïs-soja à une ration où l’herbe est majoritaire. Nous n’achetons plus que 70 à 80 tonnes de tourteau, du minéral et du sel, ainsi que 150 tonnes de paille car nous ne sommes pas autonomes en litière. » Sur les 135 ha de SAU, 35 ha de blé et 7 ha de colza sont dédiés à la vente. Les 10 hectares d’orge sont autoconsommés, de même que les 27 ha de maïs ensilé en plante entière et en épi. Les cultures de vente pèsent peu dans le chiffre d’affaires, mais apportent de la paille et un petit complément de revenu. « C’est aussi une sécurité : si le maïs est raté, nous pouvons garder du blé pour nourrir le troupeau, prévoit Valentin. De même, en cas d’année compliquée, nous pouvons choisir d’ensiler tout le maïs en plante entière pour constituer du stock de fourrage. »

Les éleveurs ont d’ailleurs investi dans un grand hangar de stockage pour la paille et le foin. « Nous avons même construit un peu plus grand que nos besoins, par sécurité, car il nous semble de plus en plus nécessaire de faire des stocks les bonnes années. Les années difficiles, tout le monde manque de fourrage en même temps et il est difficile d’en trouver ! » La sécurité est un maître-mot pour les trois associés, qui aiment débuter l’été sereinement. « Nous faisons beaucoup d’ensilage d’herbe en première coupe, donc la moitié de nos silos sont déjà pleins à la mi-juillet, ce qui est rassurant, confie Valentin. Et nous n’avons jamais manqué d’herbe. Avec des espèces diversifiées, il y en a forcément qui s’en sortent quelles que soient les conditions météo. »
Du fumier composté sur toutes les parcelles
Les 40 ha de prairies naturelles sont valorisés au maximum, en pâturage, fauche et/ou ensilage. Les terrains sont à 600 m d’altitude mais peu pentus. Le tracteur passe partout, ce qui permet d’épandre du fumier composté sur toutes les parcelles, en herbe, maïs et céréales. Aux prairies permanentes s’ajoutent 7 ha semés d’un mélange multi-espèce à base de ray-grass anglais, de trèfle violet et de trèfle blanc, en place pour trois ou quatre ans. Enfin, 8,5 ha de luzerne sont récoltés en foin, enrubannage et ensilage.
« Par rapport à l’engrais minéral azoté, le compost favorise moins les graminées au départ : le rendement n’est pas très impressionnant sur les premières coupes, mais les suivantes compensent généralement », observe Valentin. La plupart des surfaces en herbe se contentent de fumier composté, seules les prairies temporaires ensilées reçoivent en plus 50 unités d’azote en mars « pour booster la première coupe ». Autrement, le Gaec n’achète que 9 ou 10 t d’urée pour les 27 ha de maïs, 28 t d’ammonitrate soufré (27 % d’azote) pour les 52 ha de céréales et un peu de potasse pour la luzerne. L’important besoin en fumier comme fertilisant justifie à lui seul de conserver une aire paillée intégrale, malgré le coût de la paille.
Pour mieux exploiter le potentiel herbager, les éleveurs sont passés au pâturage tournant dynamique. « Les vaches ont toujours pâturé, mais aujourd’hui elles pâturent mieux », résume Jérôme. Le chargement est élevé sur un laps de temps court : de 60 à 65 vaches sur un paddock d’un demi-hectare, qui change chaque jour. Elles restent en revanche deux ou trois nuits sur le paddock de nuit. Le retour se fait au bout de quinze à vingt jours selon la pousse de l’herbe, jaugée à l’œil. Tous les fils sont démontés avant l’hiver pour ne pas être abîmés par la neige, et remis en place au printemps. Cette tâche occupe deux fois deux jours, en début et en fin de saison. Au quotidien, la gestion du pâturage n’entraîne pas de surcharge de travail, grâce au parcellaire regroupé près des bâtiments.
Les stocks gardent toutefois une importance cruciale. « Les silos ne sont jamais fermés, souligne Valentin. À 9 600 l, les vaches ont besoin de manger ! En fonction de ce qu’elles consomment dehors, nous adaptons la ration à l’intérieur, sans jamais la supprimer pour limiter les à-coups. Lorsque les vaches pâturent, les taux varient beaucoup. » Pour autant, ils sont convaincus que rien ne vaut la pâture pour le bien-être animal. « Et, à 600 m d’altitude, les vaches ne souffrent pas de la chaleur : on ne perd quasiment pas de production de lait en été, ajoute Théo. Il arrive par contre de devoir retarder la mise à l’herbe, voire de rentrer les vaches quelques jours, en cas de tombée de neige printanière. » Au printemps, certaines parcelles sont directement pâturées, d’autres sont d’abord ensilées ou fauchées avant d’être découpées en paddocks. Les dernières coupes d’automne sont souvent dévolues à l’enrubannage. Ce dernier a une utilité précise : « Pour faire tampon avec la pâture, l’enrubannage permet d’ajuster les quantités distribuées plus finement qu’avec l’ensilage, indique Valentin. Mais il y aurait aussi à gagner en développant le pâturage automnal. » Le tourteau acheté est un mélange de soja et colza en proportion variable selon les cours, pour diversifier les sources de protéines. Les vaches sont nourries en ration complète mélangée distribuée au godet désileur. « Nous pesons tout pour essayer d’être le plus précis possible », indique Valentin. À partir de mi-mars, les laitières pâturent à volonté mais reçoivent également 10 kg de maïs ensilage plante entière, 10 kg d’ensilage d’herbe (moitié luzerne, moitié prairie multi-espèce), 500 g de foin de luzerne, 5 kg de maïs épi, 1,5 orge et 2,6 kg de tourteau protéique.
Privilégier la qualité à la quantité
Elles basculent en ration hiver à la mi-octobre, ainsi que quelques semaines en plein été lorsque l’herbe ne pousse plus. Les génisses de renouvellement sont nourries avec du foin, de l’enrubannage et un concentré fermier, tandis que celles croisées charolais sont engraissées à bas coût, à l’herbe et au foin, jusqu’à 30 à 36 mois. Pour préparer le début de lactation, les vaches taries ont une ration spéciale un mois avant le vêlage.
« Notre objectif est de faire le lait avec les fourrages de l’exploitation, reprend Valentin. Leur diversité nous offre flexibilité et sécurité. Et nous ne nous obstinons pas à viser 10 000 l : si une année est mauvaise, nous préférons faire un peu moins de lait que d’acheter plus d’aliments. » Pour les dates de pâturage comme de récolte, il faut arbitrer entre valeur nutritionnelle et quantité. L’équilibre penche en faveur du premier. « Nous voulons ramener de la protéine par les fourrages, donc nous récoltons l’herbe jeune, quitte à perdre un peu en quantité, indique Valentin. L’ensilage de maïs épi et l’orge équilibrent la ration en énergie. Avoir les deux permet de varier les sources d’énergie et offre plus de souplesse et de sécurité. »
Le Gaec utilise une enrubanneuse en Cuma, possède une presse à balles rondes et s’est doté en 2015 d’une faucheuse double et d’un andaineur double de 6 m. « Depuis, nous fauchons dès qu’il y a un bon créneau, témoigne Valentin. Avec une faucheuse de 2,5 m et un andaineur de 3 m, nous hésitions. Pour rentabiliser le temps passé, nous avions tendance à attendre qu’il y ait plus de volume à récolter, quitte à perdre en valeur nutritionnelle. Aujourd’hui, nous préférons faire deux petites coupes de bonne qualité plutôt qu’une grosse de qualité médiocre. Et en coupant deux fois plus large, cela ne consomme pas tellement plus de carburant. »
L’évolution de leur système a eu un bénéfice collatéral : elle les a mis en conformité avec le cahier des charges de l’IGP saint-marcellin, qui limite le maïs et impose une dominante d’herbe dans la ration. Il y a un an, le Gaec a changé de laiterie pour livrer à Étoile du Vercors, qui fabrique des fromages saint-marcellin et saint-félicien. « Nous valorisons mieux nos pratiques et le lait est un peu mieux payé », indique Valentin. Plus globalement, il conclut : « Notre système n’est pas révolutionnaire : nous évoluons à notre rythme. Et nous ne reviendrions pas en arrière ! »
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