Vers une gestion financière durable et écoresponsable

Article réservé aux abonnés.

Gaëtan Dubreil Jardin éleveur laitier bio en 35 avec ses vaches croisées
Gaëtan Dubreil-Jardin : « La comptabilité écologique ou multi-capitaux est un outil à saisir pour aller plus loin dans la cohérence de son système et dans l’autonomie décisionnelle. » (©N.Tiers)

Confronté à des difficultés de trésorerie, le Gaec breton L’Arc-en-ciel a choisi une solution visant à préserver ses acquis humains et environnementaux mis en évidence par la réalisation d’une comptabilité écologique.

Pour Gaëtan Dubreil-Jardin, l’aîné des quatre associés du Gaec L’Arc-en-ciel, à Maen-Roch en Ille-et-Vilaine, l’évolution de la situation financière de l’exploitation relève d’une forme de paradoxe.

« Aujourd’hui, notre efficacité économique est élevée car nous maîtrisons nos charges avec une bonne performance de valeur ajoutée, déclare-t-il. En revanche nous sommes endettés, et nous considérons que le montant de nos prélèvements privés à hauteur de 2 500 € par mois et par associé n’est pas négociable. Résultat : nous manquons de trésorerie pour payer nos cotisations MSA en hausse. »

Les quatre éleveurs ont progressivement succédé à Louis et Geneviève Dubreil (parents de Gaëtan et Marie-José) locataires à partir de 1979 de terres peu qualitatives, humides et peu portantes : « La plus mauvaise ferme de la commune. » Dans les années 1990, ils changent de modèle pour passer en système herbager puis se convertir à l’agriculture biologique. « C’est comme cela qu’ils ont sauvé l’exploitation », estime leur fils Gaëtan, qui s’installe en 2002.

Affouragement en vert 35
En raison d’un parcellaire éclaté, la ferme a toujours pratiqué l’affouragement en vert. Le passage au système tout herbe a renforcé la dépendance à l’autochargeuse. (© N.Tiers)

En 2019, le Gaec passe de trois à quatre associés en intégrant la ferme de Marie-José située à deux kilomètres. « Cela a apporté de la cohérence au niveau humain car elle contribue beaucoup à la gestion administrative de l’exploitation de plus en plus lourde », justifie Gaëtan. Les vaches laitières sont regroupées sur le site principal tandis que les génisses rejoignent le second site. En raison de l’effectif, la stabulation est agrandie, la ferme passe en installation classée et doit se mettre aux normes avec une grande fosse à lisier. Cette reprise génère alors d’importants investissements, auxquels s’ajoutent, en 2020, la reprise en location des terres d’un voisin et le rachat d’un bâtiment jouxtant la ferme.

Expérimenter la comptabilité écologique

En 2023, le Gaec L’Arc-en-ciel réalise 596 000 € de chiffre d’affaires pour 269 000 € d’EBE. Après paiement des annuités (110 000 €) et des prélèvements privés des quatre associés (120 000 €), il reste moins de 40 000 € pour payer les cotisations MSA via les comptes associés. « Jusqu’à présent, ça passait, assure Gaëtan. Mais, en 2024, nos cotisations MSA ont atteint plus de 70 000 €. Après une longue réflexion collective, nous avons donc décidé de diminuer notre chiffre d’affaires pour nous convertir au régime du microbénéfice agricole. » Le seuil étant monté à 120 000 € par associé, cela représente un chiffre d’affaires maximal de 480 000 €, soit une baisse de 116 000 € à réaliser. « Afin de maintenir notre marge, il faut également réduire nos charges de 116 000 €, précise l’éleveur. Cela nécessite une profonde conversion en cohérence avec nos valeurs et nos priorités. » C’est à cette étape de la vie du Gaec qu’Agrobio 35, le groupement des agriculteurs bio d’Ille-et-Vilaine, lui propose de participer à une expérimentation sur la comptabilité écologique pilotée par la Fédération nationale des Cuma. « C’était l’occasion d’étudier nos chiffres en profondeur pour alimenter notre réflexion, souligne Gaëtan. Nous réalisons notre propre comptabilité via le réseau des AFOCG [Associations de gestion et de comptabilité, agriculture, artisanat et commerce]. Cela nous semble important pour l’autonomie décisionnelle. »

L’organisation humaine au cœur des enjeux

« Les résultats de la comptabilité écologique ont confirmé la performance de notre exploitation sur le plan économique, mais aussi en termes de préservation des capitaux naturels et humains (voir le tableau ci-dessous), constate Gaëtan. Ce sont des critères que nous plaçons en priorité : être bien dans notre tête en étant en phase avec nos valeurs et par un temps de travail maîtrisé. »

En 2019, le Gaec intègre une ferme voisine et investit dans l’extension du bâtiment et une fosse à lisier pour se mettre aux normes. Ces investissements génèrent un endettement important. (© N.Tiers)

Au Gaec L’Arc-en-ciel, en effet, l’organisation humaine est privilégiée : chaque associé prend quatre semaines de congé par an, une demi-journée par semaine, et travaille un week-end sur quatre. Chacun va régulièrement en formation et participe à des organisations professionnelles : Inter-AFOCG, Cuma, Civam, Agrobio 35. En ce qui concerne l’aspect environnemental, l’éleveur considère comme nécessaire de prendre en compte toutes les externalités positives, au-delà de l’empreinte carbone. « Je suis surpris quand on m’indique sur la base du diagnostic Cap’2ER qu’il vaut mieux faire vêler des génisses à 24 mois dans un système intensif qu’à 30 mois dans notre système herbager bio ! »

La comptabilité écologique (également appelée « multicapitaux ») réalisée au Gaec L’Arc-en-ciel montre que la plupart des voyants sont au vert. « Notre fragilité est l’endettement, mais nous devons trouver le moyen d’améliorer notre durabilité financière en veillant à ne pas dégrader ces bons résultats environnementaux et humains, affirme Gaëtan. Car nous voulons que les associés aient envie de rester ; perdre un associé constitue un grand risque pour l’équilibre de notre fonctionnement. Notre challenge est de maintenir nos acquis sur les plans humain et environnemental, et c’est compliqué ! »

La monotraite pour diminuer la production

Après avoir expérimenté la comptabilité écologique en 2023, finalisé leur réflexion en 2024, les associés ont concrétisé leur stratégie en 2025. Le chiffre d’affaires de la ferme repose sur la vente du lait, de la viande et les subventions Pac et Maec (105 000 €). « Nous avons choisi de réduire le produit lait, car c’est le plus coûteux en charges, indique Gaëtan. Nous sommes donc passés à la monotraite afin de diminuer la production d’un tiers. En contrepartie, les taux ont augmenté. » La ration n’ayant plus besoin d’être aussi riche, les 25 hectares de maïs ont été supprimés pour passer à 100 % d’herbe. « Ce choix permet à lui seul d’économiser 50 000 € de charges par an en comptant toutes les opérations culturales nécessaires au maïs, y compris le resemis de prairies », calcule Gaëtan. Les autres charges en baisse sont : la consommation électrique de la salle de traite, la suppression de l’achat de 50 tonnes par an de luzerne déshydratée, l’arrêt de services comme la pesée du lait, la réparation du matériel (désormais davantage réalisée en autonomie grâce au temps dégagé par la monotraite).

Vers le microbénéfice agricole

D’après Gaëtan Dubreil-Jardin, la trésorerie de l’exploitation sera encore délicate pendant plusieurs années, jusqu’à ce que le régime du microbénéfice agricole puisse s’appliquer sur la base d’une moyenne triennale de chiffre d’affaires. « Nous avons réalisé avec la chambre d’agriculture un audit financé par la Région, et élaboré un plan sur cinq ans pour nous convertir au microbénéfice agricole, explique-t-il. Nous avons à cette occasion rassemblé nos trois banques autour de la table pour leur exposer la situation, lisser nos prêts, et nous donner de l’air. C’est une situation passagère. »

Réagir à cet article
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,53 €/kg net =
Vaches, charolaises, R= France 7,34 €/kg net =
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo

Tapez un ou plusieurs mots-clés...