Les scientifiques divisés sur le rôle des oiseaux

L'Organisation mondiale de la santé (OMS), tout comme l'Organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ont tous deux pointé du doigt les oiseaux migrateurs comme vecteurs du virus H5N1, responsable de plus de soixante morts en Asie et de l'abattage de centaines de millions de volailles.

Le long de leur parcours migratoire, les oiseaux sauvages répandent la maladie et seraient responsables, selon certains experts, de l'arrivée du virus aux portes de l'Europe. "Les oiseaux sauvages jouent un rôle dans l'infection primaire du pays mais, après cela, il n'y a plus besoin d'animaux sauvages. La maladie va se propager très facilement d'un village à un autre grâce au commerce", souligne Joseph Domenech, vétérinaire en chef à la FAO.

Apparue en 2003 en Asie du Sud-Est, la grippe dite "du poulet" a récemment fait son apparition en Sibérie. Les Pays-Bas, l'Allemagne et la France notamment ont pris des mesures de précaution. Et, face au risque de pandémie mondiale, le président américain George W. Bush et le Premier ministre français Dominique de Villepin ont récemment lancé un appel à l'Onu à une mobilisation internationale contre cette "nouvelle urgence".

Mais la peur ne doit pas faire perdre leur sang froid aux autorités, avertit Martin Williams, ornithologue à Hong Kong, qui est à la pointe du combat contre une théorie couramment évoquée pour expliquer l'avancée de l'épizootie. Craignant l'impact sur le public d'une "diabolisation" des oiseaux sauvages, qui ruinerait les efforts faits pour préserver ces animaux et leurs lieux de rassemblement, l'expert fait campagne pour empêcher l'abattage "inutile" de "millions" d'animaux. "La théorie (sur la responsabilité des oiseaux migrateurs) n'est pas basée sur des faits scientifiques ou des recherches. Il ne s'agit que de conjectures", estime-t-il, réfutée par le simple fait que "la propagation en Asie du H5N1 ne correspond pas aux itinéraires empruntés ni aux périodes migratoires".

Son collègue sud-coréen Nial Moores met également en garde contre le risque d'un massacre. "Cela pourrait conduire les autorités à abattre par erreur des millions d'oiseaux sauvages inutilement", lance le président de "Birds Korea". "L'époque et la répartition des foyers ... ne correspond à aucun modèle d'aucune espèce", renchérissent Kevin Shortridge, professeur de biologie à l'Université de Hong Kong, et l'ornithologue néo-zélandais David Melville dans un article publié en mai 2004 dans la revue médicale The Lancet. Les deux experts accusent plutôt la circulation sans entrave des volailles domestiques, voire le commerce illégal des coqs de combat.

Le chercheur Dennis Alexander, dans un récent article paru dans le journal international Veterinary Microbiology, abonde dans ce sens. Certes, les oiseaux sauvages peuvent transmettre plusieurs souches de grippes mais ce sont les transports de volailles qui les propagent, ajoute-t-il. "Jusqu'à preuve du contraire, le virus de la grippe aviaire est une souche domestique. Les oiseaux sauvages en sont les victimes, pas les coupables", renchérit Michel Gaulthier-Clerc, vétérinaire à la station biologique de La Tour-du-Valat, en Camargue (sud de la France). Le responsabilité tient plutôt des "exportations de volailles mal contrôlées" et du "trafic d'oiseaux sauvages", assure-t-il dans un récent entretien au quotidien français Le Monde.