Alors que la France cherche son modèle agricole, l’UE entame une nouvelle réforme de la Pac. Celle-ci se prépare dans le contexte très difficile marqué par le Brexit, les fortes incertitudes budgétaires, la crise agricole, les pressions environnementales.
Avec trois autres sénateurs, vous avez présenté un rapport d’information(1) intitulé « Pac : traverser le cap dangereux de 2020 ». Que peut-on attendre de cette nouvelle réforme de la Pac dont l’application n’est pas annoncée avant 2023 par certains ?
Daniel Gremillet : Alors que la programmation financière de l’Union européenne après le Brexit est incertaine, la grande question de cette nouvelle réforme de la Pac est d’abord celle des moyens qui lui seront alloués. On rentre dans une période de grands dangers. Alors que de grandes puissances comme la Chine, les États-Unis et même l’URSS développent des stratégies alimentaires et s’approprient des terres arables, l’Europe ne doit pas oublier que la souveraineté alimentaire est inscrite dans le traité de Rome. Or, celle-ci demeure fragile compte tenu des nouveaux risques climatiques et de volatilité des prix. Dans son rapport, le Sénat rappelle donc l’importance de garder une capacité financière pour définir une politique économique claire au service d’une ambition agricole et agroalimentaire forte.
Si la Pac ne consomme plus 70 % du budget européen comme dans les années 1970, sa part reste très substantielle avec 38 % sur 2014-2020. Il ne faudrait pas que cette enveloppe subisse une nouvelle réduction dans la future période de programmation budgétaire. La « manne agricole » fait l’objet de convoitises. Nous pensons que l’agriculture ne doit pas servir de variable d’ajustement pour financer de nouvelles politiques (défense, crise migratoire, etc.). Le Sénat a donc unanimement voté pour sanctuariser l’enveloppe financière dédiée à la Pac. C’est un préalable.
Au regard de la dernière crise laitière, quelles sont les mesures à défendre dans cette nouvelle Pac, qui pourraient avoir l’aval des autres États membres ?
D.G. : La nécessité absolue est d’améliorer les outils de gestion de crise. La crise laitière aurait pu être mieux appréhendée avec des conséquences plus faibles pour les éleveurs si l’Union européenne avait déclenché l’arsenal dont elle dispose en temps et en heure. Les moyens financiers destinés à inciter à moins produire ont été débloqués beaucoup trop tard. On a su supprimer les quotas laitiers, mais on n’a pas su mettre en place des éléments pour sécuriser le revenu des éleveurs. Au titre de leur politique extérieure, des pays de l’Union européenne ont ainsi sanctionné l’URSS, au détriment des agriculteurs qui ont payé. Par ailleurs, il faut également simplifier la gestion de la Pac sur l’aspect environnemental et éviter en France les transpositions abusives. Je suis plus favorable à une obligation de résultats qu’aux contraintes administratives.
Cette réforme est-elle porteuse de nouvelles opportunités pour sécuriser le revenu des agriculteurs ?
D.G. : Le Brexit oblige les États à avancer et à apporter des réponses que l’UE n’a pas su apporter jusqu’à présent en matière sociale, environnementale et fiscale. Pour la première fois, l’idée que les agriculteurs puissent passer des accords de prix avec les distributeurs n’est pas repoussée d’emblée. Elle pourrait être examinée. Mais la prudence s’impose toutefois par rapport aux annonces du président Macron (fixation des prix des ventes à partir des coûts de production). La Direction générale de la concurrence européenne acceptera-t-elle un tel dispositif ? Attention à ne pas laisser croire aux éleveurs français qu’ils vont avoir un prix du lait rémunérateur défini en fonction de leurs charges. Ne faisons pas rêver les gens. Dans le monde d’aujourd’hui, les agriculteurs sont d’abord face aux marchés.
Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, alors que le prix du lait français était fixé à l’échelle régionale, la France a été mise en demeure par Bruxelles de mettre un terme à ce dispositif.
(1) Le rapport d’information « Pac : traverser le cap dangereux de 2020 » est disponible sur le site du Sénat : https://www.senat.fr
L’Europe cède sa place à l’Amérique du Sud sur le marché des broutards au Maghreb
« J’ai opté pour un système très simple car c’est rentable »
Réformer ou garder ? 26 éleveurs dévoilent leur stratégie de renouvellement
Le vêlage 2 ans n’impacte pas la productivité de carrière des vaches laitières
FCO : le Grand Ouest en première ligne
« Pas d’agriculture sans rentabilité ! », rappelle la FNSEA
Pourquoi la proposition de budget de l’UE inquiète le monde agricole
John Deere, Claas, made in France… À Innov-Agri, il pleut aussi des nouveautés
Matériel, charges, prix... Dix agriculteurs parlent machinisme sans tabou
Quelles implications environnementales de la proposition de l’UE pour la Pac ?