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Vincent Chatellier, Cécile Détang-Dessendre, Pierre Dupraz et Hervé Guyomard, chercheurs à l’Inrae, ont analysé la sensibilité du revenu des exploitations agricoles françaises à une réorientation des aides dans le cadre de la future Pac post-2023. Alors que les grandes lignes de la Pac et du Plan stratégique national (PSN) se dessinent, nous interrogeons Vincent Chatellier sur les orientations prises.
Dans votre analyse, vous évoquez une décennie perdue pour la Pac, de 2010 à 2019. Pourquoi ce jugement sévère ?
Vincent Chatellier : Un décalage existe entre les ambitions politiques affichées, tant en matière de répartition des soutiens budgétaires aux exploitations qu’en matière de protection de l’environnement, et les instruments mobilisés ensuite pour y parvenir. Si les instruments de la Pac sont nécessaires pour soutenir le revenu des agriculteurs, en raison des tensions qui s’expriment entre le prix des produits agricoles et le coût des intrants, les modalités d’attribution des aides directes peuvent faire l’objet de critiques car leur ciblage n’est pas toujours optimal.
La répartition des aides demeure assez inégale, avec l’octroi de montants élevés à des exploitations qui n’en profitent pas toujours, en parallèle, pour améliorer leur efficacité technique ou adopter des pratiques environnementales plus vertueuses.
Cela laisse alors planer un doute quant à l’effet – ou non – de levier de ces aides sur l’amélioration à long terme de la compétitivité des exploitations. Malgré une hausse du montant des aides par emploi dans certaines catégories d’exploitation, qui intervient parallèlement à une baisse du nombre des exploitations, force est de constater que le revenu moyen des éleveurs ne s’est pas amélioré au fil des dix dernières années. En France, la période récente a également été caractérisée par une dégradation de la balance commerciale agroalimentaire, surtout avec les pays européens voisins. C’est en ce sens que l’on peut parler de décennie perdue, dans la mesure où les réformes adoptées n’ont permis d’améliorer sensiblement ni les revenus ni l’environnement.
Le passage d’une politique de soutien par les prix à une politique de soutien par les aides, acté en 1992, était donc une erreur. Pourrait-on revenir en arrière ?
V. C. : On ne peut pas rejouer le match trente années plus tard. Mais parler d’erreur est abusif. Il faut tout simplement reconnaître que l’importance relative des différents enjeux auxquels fait face l’agriculture européenne a évolué. Faute d’une augmentation sensible des prix agricoles depuis lors, tant en France qu’à l’échelle internationale, les aides directes sont toujours aussi nécessaires à l’équilibre économique des exploitations. En moyenne sur les dix dernières années, elles ont en effet représenté 77 % du revenu des exploitations agricoles (résultat courant avant impôt) en France. Ce taux s’élève à 87 % pour les exploitations laitières, 114 % pour les exploitations céréalières et 195 % pour les exploitations spécialisées en bovins-viande.
Cette dépendance aux soutiens publics est subie par les éleveurs ; ils préféreraient nettement mieux vivre de leur métier via des prix plus rémunérateurs. Compte tenu des décisions prises au titre de la future Pac et des jeux concurrentiels actuels, rien pourtant ne laisse entrevoir un changement en profondeur de ce côté.
Pourquoi seriez-vous favorable à la suppression des aides couplées, auxquelles les éleveurs sont très attachés et que la future Pac a conservées ?
V. C. : Le propos n’est pas de priver les éleveurs de ces montants d’aides, mais de revoir leur assise actuelle (nombre de vaches) de façon à ce qu’elles soient plus efficaces sur les plans économique et environnemental. Dans d’autres pays européens, comme en Irlande, ces aides ont d’ailleurs été découplées sans que cela n’affecte, pour autant, la dynamique du secteur. Plusieurs études réalisées sur des périodes longues ont démontré que ces aides étaient largement captées par l’aval du secteur. Elles ne bénéficient donc pas en premier lieu à l’éleveur car elles s’accompagnent voire incitent à une pression vers le bas sur les prix.
Quels seraient les meilleurs leviers pour opérer un rééquilibrage des soutiens ?
V. C. : Plusieurs instruments existent déjà dans le cadre de la Pac pour permettre aux États membres qui le souhaitent de redistribuer les aides entre catégories d’exploitations. La question est donc surtout de savoir si cette ambition redistributive existe. Si tel est le cas, il convient alors de déterminer les bénéficiaires cibles et de fixer l’intensité souhaitable de redistribution. Faute d’une stratégie claire, le statu quo prévaut, comme le montrent les propositions françaises pour la future Pac présentées le 21 mai dernier. Le paiement redistributif sur les 52 premiers hectares, par exemple, sera maintenu à son niveau initial alors qu’il était possible de l’actionner davantage en jouant sur le budget mobilisé et/ou sur le seuil de surface. De même, la convergence du montant par hectare des aides découplées entrera certes en vigueur, mais de façon partielle et progressive dans le temps.
Avec des éco-régimes à 25 % du premier pilier et un budget vert de 35 % sur le second, l’ambition environnementale de la future Pac est-elle significative ?
V. C. : Les objectifs environnementaux affichés dans le cadre du Pacte vert européen sont clairement ambitieux. Ils le sont d’ailleurs tellement (exemple : atteindre 25 % des surfaces agricoles en agriculture biologique dans l’UE en 2030) qu’il faut s’interroger sur leur réalisme, compte tenu des dynamiques à l’œuvre et des instruments arrêtés pour y parvenir. C’est ce que nous avons développé dans un rapport remis au Parlement européen en novembre dernier. La question n’est donc plus de spéculer sur les ambitions, mais de procéder à une analyse précise des mesures envisagées lors de la révision de la Pac pour contribuer à cette transition souhaitée. Les éco-régimes sont clairement un instrument intéressant dans ce cadre. Pour ce qui est de la déclinaison française de ces instruments, deux questions centrales se posent : quelles seront les nouvelles mesures techniques adoptées, notamment en matière de respect d’une diversité culturale dans les assolements ? Quelles seront les exploitations écartées du bénéfice de ces mesures ? Car, au-delà de la question des budgets sanctuarisés, ce sont les mesures ainsi financées qui compteront. À l’aune des annonces récentes, qui cherchent à minimiser la modification des aides pour chaque type d’exploitation, le risque est de renouveler l’insuffisance du verdissement, avec un fardeau administratif alourdi pour les agriculteurs et les autorités publiques, sans bénéfices environnementaux significatifs. Donc une perte de compétitivité sans bénéfices collectifs.
Le choix a été fait d’un verdissement progressif de la Pac afin d’éviter de bousculer la performance économique des filières, ce qui mettrait en danger le revenu des agriculteurs. Est-ce le bon ?
V. C. : Une prudence excessive dans ce sens pourrait aussi conduire, demain, à une insatisfaction des attentes environnementales des autorités communautaires et des citoyens européens. Il faut donc trouver le bon dosage en la matière, et le bon rythme, afin d’éviter une remise en cause future des soutiens publics accordés à l’agriculture. Si le budget de la Pac a été plutôt bien négocié pour la programmation qui arrive, rien n’est acquis à plus long terme. Une vigilance s’impose donc afin que la société, de plus en plus exigeante quant à son alimentation et son environnement, constate une amélioration significative dans ces domaines, étant donné les aides publiques justifiées par ces objectifs. Les efforts environnementaux accomplis par les agriculteurs européens, s’ils sont avérés, doivent aussi avoir des contreparties, tant au niveau de leur capitalisation dans les prix payés à la production (la contractualisation doit jouer dans ce sens) qu’en matière de politiques commerciales extérieures. Il conviendra en effet de réduire les importations de produits agroalimentaires issus de pays recourant à pratiques agricoles non vertueuses.
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