
Le bolus Kexxtone, qui prévient le risque de cétose, est-il un antibiotique ? C'est tout le débat, et son usage pour prévenir une maladie non infectieuse fait tousser quelques praticiens vétérinaires. La prescription obligatoire est là pour nous rassurer... un peu.
DEPUIS SON ARRIVÉE SUR LE MARCHÉ FRANÇAIS ET EUROPÉEN en juin dernier, un médicament fait débat au sein de la profession vétérinaire. Il s'agit d'un bolus commercialisé par Elanco, le Kexxtone, premier médicament sur prescription destiné à prévenir la cétose chez la vache laitière. Administré trois à quatre semaines avant le vêlage, il libère dans le rumen, pendant plus de 90 jours, du Monensin qui modifie l'équilibre microbien en faveur de l'acide propionique (C3), précurseur du glucose, au détriment de l'acide acétique (C2) et de l'acide butyrique (C4), précurseurs des corps cétoniques. Les animaux sont ainsi protégés du risque de cétose sur tout le début de la lactation. Problème, le Monensin pourrait être considéré, au sens large, comme un antibiotique. Distribuer à des vaches laitières un antibiotique, par voie orale, pour une pathologie qui n'est pas infectieuse, même si cela est encadré par la prescription d'un vétérinaire, imaginez le trouble. Rien d'illégal, bien sûr : Kexxtone a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) après avis favorable de l'Agence européenne du médicament. Pourtant, dans les campagnes, chez les vétérinaires, la gêne est palpable quand on aborde cette facette du bolus Kexxtone.
LES INQUIÉTUDES DE L'ORDRE
Car la profession dans son ensemble est largement impliquée dans le plan pluriannuel Ecoantibio destiné à diminuer le risque de résistances bactériennes. Il prévoit notamment de réduire de 25 %, d'ici à 2017, l'usage des antibiotiques en médecine vétérinaire. Rassurons-nous, le Monensin ne fait pas partie des molécules qui entrent dans ce plan Ecoantibio. Cependant, dans un courrier daté de mi-août, l'Ordre national des vétérinaires faisait part de son inquiétude à l'Agence européenne du médicament qui a autorisé la mise sur le marché du Kexxtone. « L'agence est-elle capable de s'engager auprès de l'ensemble des vétérinaires de l'Union européenne sur l'absence de risque d'induction d'antibiorésistance que comporte l'autorisation qu'elle a accordée ? Est-elle également capable de prendre toutes ses responsabilités vis-à-vis de la société civile ? »
Petit flash-back : le Monensin est loin d'être une matière active inconnue. Elle est commercialisée depuis plus d'une trentaine d'années. Jusqu'en 2006, le Monensin était utilisé en Europe comme facteur de croissance sur les bovins (Rumensin) avant d'être interdit. C'est le type d'utilisation (administration dans l'aliment, sans indications) qui était épinglé ici, essentiellement pour des raisons sociétales. Le Monensin est toujours utilisé en volailles dans le cadre de la lutte contre la coccidiose. En Amérique du Nord, son usage est beaucoup plus large. Ainsi, en 2004, les autorités canadiennes homologuaient-elles le Monensin comme additif alimentaire pour vaches laitières. Il est administré en bolus ou directement ajouté aux aliments concentrés. Outre la prévention des maladies métaboliques après le vêlage, le Monensin, en stimulant la synthèse du glucose par le foie, améliore le métabolisme énergétique de la ration. Plusieurs études ont démontré que l'ajout de Monensin diminue l'ingestion tout en augmentant la production de lait. Un bénéfice évident qui s'explique par la synthèse accrue de glucose, précurseur du lactose.
Voilà un produit qui serait d'un grand intérêt si l'étiquette d'antibiotique ne lui avait pas été attachée, comme on peut le lire dans plusieurs articles, et sous la plume de vétérinaires. La controverse se situe ici.
ANTIBIOTIQUE OU PAS ANTIBIOTIQUE ?
D'ailleurs, le laboratoire Elanco insiste sur la définition d'un antibiotique pour apporter la preuve que le Kexxtone n'en est pas un (voir encadré). L'Agence française du médicament, que nous avons consultée sur cette question, nous répond en se défaussant sur l'AMM : « Le Monensin n'a pas été classé comme antibiotique en raison de l'indication de traitement de la cétose pour laquelle il a été enregistré. » C'est la moindre des choses que l'AMM ne valide pas un antibiotique pour la prévention d'une maladie non infectieuse ! Toujours est-il que le Monensin appartient à la famille des ionophores. Ces derniers ont bien une activité antibactérienne. Mais ils ne sont jamais utilisés pour combattre des infections. « L'eau de Javel aussi est un antibactérien. On ne la classe pas dans les antibiotiques », avancent les défenseurs.
Dans la bibliographie sur le sujet, nous avons pu lire que « les ionophores ont une activité limitée dans l'appareil digestif des ruminants. Ils ne sont pas détectables, ni dans le sang ni dans le lait. Rejetés dans les bouses, ils sont rapidement biodégradables. » Le laboratoire Elanco ajoute que l'action du Monensin est réversible : le nombre de bactéries précurseurs de l'acétate et du butyrate est seulement diminué. Quant au risque d'antibiorésistance, aucune étude scientifique n'a pu démontrer de résistance croisée entre les ionophores et les antibiotiques utilisés en médecines vétérinaire et humaine. Nous sommes donc loin des antibiotiques dits « critiques » (céphalosporines, fluoroquinolones). En outre, les ionophores ne sont pas utilisés en médecine humaine. La réponse de l'Agence du médicament à l'ordre des vétérinaires se veut aussi rassurante : « Le risque de développer une résistance antimicrobienne chez l'homme à la suite de l'utilisation du Monensin chez les bovins a été évalué dans le détail, et considéré comme faible et acceptable. La résistance des bactéries du rumen ne se propage pas facilement d'une bactérie à l'autre, donc le risque est faible d'induire ici des antibiorésistances dangereuses pour l'homme. »
L'autre grand argument mis en avant par l'agence en faveur du Kexxtone est que c'est un médicament qui doit être prescrit par un vétérinaire avec des indications et un usage précis : la prévention de la cétose chez les animaux à risque. L'AMM précise qu'il ne doit pas être utilisé à des fins non thérapeutiques et en aucun cas sans identification préalable des animaux à risque.
DES ARGUMENTS RECEVABLES QUI N'ÔTENT PAS TOUS LES DOUTES
Ce n'est surtout pas un additif alimentaire à donner à toutes les vaches. Les animaux à risque sont précisés par le laboratoire : vaches grasses au vêlage, vaches à antécédents de cétose ou de retournement de caillette, de métrite... et au final, c'est au praticien de juger. Le laboratoire Elanco insiste bien sur cette utilisation en prévention ciblée qui doit s'accompagner de modification des pratiques alimentaires. Des arguments parfaitement recevables qui n'ôtent pas tous les doutes. L'action antibactérienne des ionophores est bien réelle (échange d'ions entre la bactérie et son milieu, qui épuise et tue la bactérie), ce n'est pas un banal antiseptique. Et utiliser une molécule antibactérienne à des fins de prévention pour une pathologie non infectieuse est quelque chose qui ne passe pas chez certains vétérinaires. Enfin, nous avons vu l'intérêt du Monensin pour améliorer les performances zootechniques. Pouvons-nous alors exclure des usages détournés de l'indication
Mais au-delà de ces considérations scientifiques, il est un autre risque, celui d'une information mal comprise qui s'échappe dans les médias grand public. Alors que nos concitoyens sont continuellement sensibilisés aux risques de l'antibiorésistance pour leur santé, imaginons les dégâts, pour l'ensemble de la filière, de gros titres annonçant que « les vaches laitières sont traitées aux antibiotiques pour soigner leur crise de foie ». Qui se soucierait alors de savoir si les ionophores sont des antibiotiques ou non ? La consommation des PGC, déjà peu brillante, se trouverait plombée pour quelque temps. De quoi réactiver une crise laitière pour un simple bolus ? Les humeurs d'une filière tiennent souvent à peu de chose.
DOMINIQUE GRÉMY
La matière active, le Monensin, était utilisée comme activateur de croissance pour les bovins avant d'être interdite pour cet usage en 2006 dans l'Union européenne. Le Monensin est autorisé comme additif alimentaire pour les vaches laitières au Canada.
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