Il est petit et bossu. Le bœuf Moka est la vache locale de La Réunion, la vache « péi ». Rustique, résistant et agile, il est issu de vaches importées pour le transport de charges. Né de croisements successifs, il a fini par devenir une race locale unique au monde. Aujourd’hui en voie de disparition, il est à la croisée des chemins : va-t-il disparaître ou ses qualités vont-elles le conduire vers un nouveau départ ?
C’est la vache réunionnaise traditionnelle. Pas une race endémique - il n’y en a pas – mais une race ancienne. À l’image de la population de l’île, le bœuf* Moka est métissé, issu du croisement de plusieurs races bovines importées il y a longtemps.
Au 17e siècle, des bovins ont été introduits depuis Madagascar et l’Asie. Puis, au 18e siècle, des animaux spécialisés dans le transport de charges ont été importés depuis le Yemen, en même temps que le café, dont la culture se développait sur l’île. Très agiles, ils ont été utilisés pour porter des charges dans les endroits escarpés. Ils ont également, par la suite, participé au développement de la canne à sucre.
* En créole réunionnais, on utilise le mot « bœuf » pour désigner tous les bovins.
Une race métisse
Les croisements successifs entre ces différents animaux ont donné naissance à cette race unique au monde, plutôt petite, mais très résistante, y compris à la chaleur. Elle se reconnaît à la bosse qui se trouve sur son encolure et qui l’apparente à un zébu, ainsi qu’à ses cornes en demi-lunes.
Race mixte, le bœuf Moka a des qualités qui sont aussi des défauts au regard de la production. Sa viande est très appréciée et les produits laitiers fabriqués avec son lait sont remarqués. Mais dans un cas comme dans l’autre, les niveaux de production sont bas. Les races spécialisées lui sont donc très souvent préférées.
Conséquence : le Moka est en voie de disparition. « Il reste environ 400 individus recensés, précise Maximin Delblond, éleveur de Mokas et administrateur de la FDSEA. Et on peut compter sur encore environ 150 animaux qui ne sont pas identifiés à ce jour ».
Aujourd’hui, le Moka est utilisé essentiellement par des paysans sans terre, qui lui font pâturer des friches et des parcelles publiques. Mais il séduit aussi, de plus en plus, les producteurs en agriculture biologique. On s’intéresse à son potentiel patrimonial, écologique et éventuellement touristique.
Débroussailleuse vivante
Depuis une dizaine d’années, des Réunionnais se sont emparés du sujet : sauvegarder le bœuf Moka et, pourquoi pas, structurer une filière autour de lui. Pour ce faire, ils comptent avant tout sur les services qu’il peut rendre. Comme il se satisfait de fourrages ligneux et peu nutritifs, il n’a pas son pareil pour défricher des parcelles, en laissant au passage des petits cadeaux fertilisants. Une méthode plus économique et plus satisfaisante que le désherbant, notamment pour les maraîchers et les arboriculteurs. Dans la partie ouest de l’île, certains ne peuvent déjà plus s’en passer. « C’est une association entre patrimoine vivant et méthode écologique pour désherber », commente Marie-Olivia Fontaine, présidente de l'Association pour la promotion du patrimoine et de l'écologie de La Réunion (Apper).

Concernant la production de viande, des familles musulmanes achètent de temps à autre un bœuf Moka pour la fête de l'Eïd ou des mariages. Mais sa viande n'est officiellement mise en vente nulle part. Marie-Olivia Fontaine est convaincue qu'une petite filière de viande bio pourrait être développée.
Des éleveurs qui se sentent pris au piège
Pour ce faire, les éleveurs ont besoin de soutien et d’aides. Il est aussi nécessaire d’opérer une professionnalisation de leurs élevages, car souvent, ils n’ont même pas le statut d’agriculteur.
Cette nécessité est d’autant plus urgente que dans le cadre du plan leucose, lorsqu’il y a un ou plusieurs animaux positifs dans un troupeau, le cheptel est placé sous APDI (Arrêté Préfectoral de Déclaration d’Infection) et tout mouvement d’animaux (vente ou introduction) est interdit.
Déjà difficile à gérer pour les autres troupeaux, cette interdiction de mouvement inhérente à l’APDI met en péril le Moka en tant que race. Avec des effectifs aussi faibles, il est en effet hors de question de réformer des troupeaux entiers pour obtenir un statut « leucose free ». Non professionnels, les éleveurs n’ont pas accès aux aides au renouvellement des bovins réformés. Il n’y a en outre pas de dose de Moka dans les cuves des inséminateurs, parce qu’il n’y a aucun organisme capable d’en produire sur l’île. « La seule manière d’éviter la consanguinité dans un troupeau, c’est d’acheter un taureau », explique Maximin Delblond. Un achat que l’APDI ne permet pas. « Et si on inséminait avec une autre race, le Moka disparaîtrait en quelques années », ajoute l'éleveur. Ainsi, les dossiers des cheptels de Mokas se retrouvent souvent totalement bloqués, entre l’impossibilité d’assainir et celle de se renouveler.
Une professionnalisation indispensable
Face à cette situation dans laquelle ils se sentent piégés, les éleveurs de Mokas expriment une colère franche. Le Moka est en effet le plus souvent porteur sain ; en tout cas, on n’a pas encore recensé de cas de maladie déclarée.
Malgré toutes ces particularités, il n’y a pas de statut exceptionnel du Moka. D’un côté, on peut comprendre le souci d’assainir tous les troupeaux de l’île sans exception pour ne pas risquer une nouvelle diffusion de la maladie. D’un autre côté, « la probabilité est faible puisque les Mokas se trouvent dans l’ouest de l’île et les autres cheptels sur la plaine des Cafres, à 70 kilomètres. Le risque est insignifiant », s’agacent les éleveurs.
Pour sortir de cette situation, une solution consisterait à prélever des embryons sur des vaches Mokas et de les implanter sur des vaches en métropole. Cela permettrait de faire entrer des taureaux Mokas dans les centres d’insémination et donc de produire des doses, qui reviendraient ensuite sur l'île. « Pour le moment, ce projet n’a pas pu être concrétisé parce que nous n’avons pas le budget pour le faire », se désole Maximin Delblond.
Une autre porte de sortie serait, pour les éleveurs, d’avoir du foncier, grâce auquel ils pourraient prétendre à un statut officiel, à des aides financières et à un accompagnement efficace. Marie-Olivia Fontaine et l’Apper œuvrent pour qu’un plan de sauvegarde soit officiellement défini et mis en place. Une volonté partagée par la FDSEA de La Réunion, pour qui l’aspect patrimonial du bœuf Moka est important.
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