
Vendre et transformer 470.000 litres de lait, cela ne se décrète pas du jour au lendemain. En Suisse, Martin et Elsbeth Pfister se sont lancés dans l’aventure avec une stratégie affirmée : maîtriser toute la chaîne du lait, des fourrages jusqu’aux consommateurs.
Lors du congrès European Dairy Farmers de juin dernier en Suisse, Martin et Elsbeth Pfister ont accueilli les éleveurs européens sur leur ferme du Birkenhof à proximité de la ville d’Uster située entre les lacs de Zürich.
Depuis 1998, Martin a mis toute son énergie dans la mise en place d’un atelier de transformation du lait et de son concept marketing. Sur la ferme, le lait côtoie un atelier porcin ainsi qu’un atelier ovin. 80 vaches de race brune suisse valorisent 54 hectares dont 66 % de prairies permanentes situées dans un paysage vallonné et protégé mêlant coteaux et fonds de valons tourbeux drainés.
Comment produire plus en disposant de temps libre ?
En 1990, l’élevage produisait 84.000 litres sur 26.5 ha avec 23 vaches. L’objectif de Martin était clair : avec 1.200 mm de pluie, l’entreprise devait forcément être centrée sur les animaux et miser sur la valeur ajoutée. Il s’est alors associé pour la partie élevage avec des voisins éleveurs, la famille Heusser, qui se sont occupés de l’élevage des génisses. L’association s’est accompagnée de la mise en place d’horaires de travail permettant de dégager du temps libre. Une nouvelle étable et un silo ont été auto-construits progressivement entre 1994 et 1998 pour pouvoir produire davantage. Aujourd’hui, les étables sont remplies et ne permettent pas d’augmentation de cheptel.
La ration mélangée est distribuée toute l’année. En hiver, elle se compose pour un tiers d’ensilage de maïs et le reste en ensilage d’herbe et de foin séché en grange. En été, la proportion s’inverse et s’accompagne de pâturage. Les pâtures manquent et le pâturage nécessite de traverser une route passante.
Un démarrage difficile
La création de l’atelier de transformation n’a pas été sans difficultés et a nécessité une structure juridique séparée du reste de la ferme. La fromagerie, aux normes d’hygiène drastiques, a coûté 1.23 millions d’euros, ce qui n’a pas permis de dégager de revenus les premières années. Cette activité très gourmande en main d’œuvre s’est traduite par un manque de temps pour la famille : le temps passé à la fromagerie a réduit celui passé auprès des vaches et dans les céréales. Les résultats techniques en lait et céréales ont donc été décevants.
Une large gamme de produits locaux
Martin et Elsbeth vendent 80 % de leur production en lait frais. Les 20 % restant sont transformés en yaourts et fromages. S’y ajoutent de la viande issue de leur troupeau de vaches laitières, de la viande de porcs élevés en plein air et de la viande ovine.
Les éleveurs étoffent leur palette de produits avec des fromages au lait bio d’un élevage voisin et grâce à la collaboration avec un réseau de fermiers Naturlï qui leur permet de proposer au total 40 fromages de la région. Les éleveurs sont constamment à la recherche de nouveaux produits transformés sur les fermes des alentours.
La vente des produits a lieu deux demies-journées par semaine à la ferme et des livraisons sont organisées dans près de 70 lieux : magasins, hôpitaux, maisons de retraite, marchés locaux. Développer une relation étroite avec les clients fait partie des objectifs. Des classes d’écoliers sont souvent invitées à la ferme pour initier de futurs liens.
Une relation originale avec la laiterie
Avoir pour objectif de commercialiser directement tout son lait tout en restant adhérent d’une laiterie : voilà une originalité suisse. Ainsi, Martin a convenu avec Emmi, sa laiterie, qu’il peut non seulement lui livrer le surplus de lait qu’il n’arrive pas à écouler en direct en été mais qu’Emmi lui fournisse aussi du lait d’autres livreurs lorsqu’il lui en manque pour honorer ses commandes.
Une équipe locale pour la réussite
Martin a identifié les points clés qui lui semblent importants et qui ont contribué à la réussite de son projet de commercialisation directe :
- Etre impliqué dans toutes les étapes du développement et de la construction,
- Mettre en place des constructions extensibles,
- Démarrer avec du matériel d’occasion pour réduire le risque,
- S’associer pour disposer de plus d’énergie,
- S’investir dans la promotion des produits régionaux,
- Embaucher pour avoir le temps de bien s’occuper de chacune des tâches : Martin s’est occupé à fond de la fromagerie jusqu’en 2013 ; maintenant le relais est pris par des salariés,
- Impliquer les salariés avec un système de prime aux résultats.
D’ailleurs Martin est très fier de son équipe. L’entreprise a développé l’emploi local en employant six personnes à temps plein et 11 à temps partiel.
Une situation améliorée
Martin, ayant pu déléguer la partie transformation, a repris l’élevage à bras le corps et s’en occupe maintenant à plein temps avec deux salariés. Ainsi, les résultats s’améliorent progressivement et l’atelier lait repart sur des bases saines. Le revenu est en hausse. Il n’y a plus de dette. Les 470.000 litres sont valorisés entre 50 et 100 €/Ml de plus que le lait livré à Emmi. Les éleveurs s’octroient désormais deux semaines de vacances et des week-ends.
Données 2013, source European Dairy Farmers | Martin et Elsbeth (Suisse) | Réseau European Dairy Farmers Europe |
Productivité des terres kg lait/ha | 9.074 | 14.000 |
Productivité du travail kg de lait par h de travail | 83 | 198 |
Quantité de concentrés en g/kg de lait | 152 | 316 |
Charges opérationnelles €/1.000 kg | 323 | 196 |
Charges liées aux terres €/1000 kg | 69 | 32 |
Total charges €/1.000 kg (incluant les charges calculées : travail des associés, terres en propriété et la rémunération des capitaux) | 917 | 493 |
Total produits €/1.000 kg | 674 | 439 |
L’équilibre global est atteint, le système est stabilisé et la production laitière retrouve le chemin de la rentabilité par l’optimisation des coûts.
Regarder l’avenir sans avoir peur
Les quotas suisses ont été supprimés en 2009. Martin nous dit de ne pas en avoir peur. Pour lui, le quota contrôlé par l’Etat s’est transformé en un volume géré par la laiterie Emmi ce qui n’a pas bouleversé son quotidien.
Pour le futur, Martin se donne comme lignes directrices :
- Améliorer la durabilité technique et économique de sa ferme sans croissance de volume,
- Optimiser ses coûts de production du lait,
- N’investir que si c’est nécessaire,
- Sélectionner de petites vaches avec de bons aplombs,
- Développer les relations établies avec les clients locaux,
- Travailler et coopérer avec les éleveurs voisins sinon ils pourraient devenir ses concurrents.
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