« Pourquoi la France laitière est en panne de développement »

En 2009, à la demande de la Commission européenne, du fait de la suppression des quotas après 2015, je faisais une prévision pour 2022 d'une augmentation de la production laitière pour la France (en plaine) de 10 %, dont 20 % pour le grand Ouest. Aujourd'hui, le réalisme conduit à prendre en compte les perspectives suivantes à l'horizon 2022 : total France de - 2 à 2 %, grand Ouest de + 7 à + 11 %. Ces pourcentages seront conditionnés par le prix des céréales. Montagne : autour de - 10 %.

Pourquoi cette « sombre » prévision ? En 2014, à la veille de la disparition des quotas et alors même que le marché mondial est porteur, la France laitière reste bloquée dans ses archaïsmes et tabous de toutes sortes. Notre secteur laitier, à de rares exceptions près, demeure un sanctuaire de conservatisme qui l'empêche de se projeter résolument vers un monde nouveau et l'avenir, au-delà de 2015. Ce constat n'est pas polémique mais une incitation à l'action. Quelques mots résument les principales origines des retards que prend la France par rapport à ses concurrents européens(1).

La France persiste à ne pas distinguer une politique économique, accompagnant les ateliers les plus compétitifs dès 2014 (en particulier dans les régions aux réels potentiels de développement), d'une politique sociale avec des dispositifs et aides au bénéfice de la cession d'activité des producteurs non compétitifs et/ou avec des structures trop petites (notamment pour les plus de 50 ans) et d'une politique territoriale pour le maintien du lait en zone de montagne et la reconversion vers d'autres productions que le lait dans les régions de grandes cultures déjà en déclin laitier. Près de 30 % des éleveurs ayant des coûts de production les plus bas, produisant environ 60 % du volume national en plaine, ont aujourd'hui un prix du lait rémunérateur avec une confortable profitabilité financière.

Mais le vrai débat pour l'avenir est le suivant : le prix du lait avec des coûts de production bien maîtrisés permettra-t-il de réaliser les investissements d'agrandissement ? L'Allemagne, l'Irlande et les Pays-Bas font le pari que le prix du lait, même avec une tendance future à la baisse, permettra cette rentabilité à l'avenir. La France n'encourage pas l'émergence d'ateliers laitiers (en plaine) entre 1 et 2 Ml de lait annuel avec 100 à 250 vaches. C'est pourtant la condition pour que les producteurs puissent prendre des vacances, avoir une rémunération « équivalente » à celle des céréaliers et améliorer rapidement la productivité par unité de travail des ateliers laitiers.

L'industrie laitière française est soit trop frileuse pour développer son activité en France, soit peu compétitive. Lactalis, Danone, Bel et Bongrain ont le savoir-faire et les moyens d'augmenter leur fabrication de produits laitiers, donc de « booster » la production de lait en France. Mais il est tout à fait légitime qu'elles focalisent de plus en plus leur développement hors de France, voire hors d'Europe. Les coopératives laitières, avec quelques exceptions, sont déjà hors course pour générer durablement un développement laitier français du fait d'une rentabilité financière faible, et d'une efficacité industrielle et commerciale médiocre. Le grand Ouest doit rapidement restructurer et concentrer son industrie laitière de transformation. Certes, depuis trois ans, des coopératives ont réalisé quelques « mouvements » de concentration et d'alliance mais d'ampleur limitée à l'échelle européenne. Ces mouvements sont trop timides et arrivent bien tardivement. De plus, elles vont en ordre dispersé pour exporter, notamment en Chine, d'autant que les sociétés concurrentes sont déjà solidement installées sur les marchés asiatiques.

Il s'imposera de manière de plus en plus évidente, comme le pensent déjà plusieurs analystes d'investisseurs, qu'un « big-bang » dans les coopératives laitières dans l'Ouest ne pourra venir qu'avec l'arrivée, en maître d'oeuvre et en leader, d'une grande coopérative laitière sans doute du nord de l'Union européenne. Plusieurs « s'intéressent » déjà à ce grand bassin laitier à fort potentiel de développement rentable et durable. L'enjeu est capital pour les coopérateurs-producteurs. Accepteront-ils que leur lait soit inclus dans une stratégie de développement d'une société non française, même si elle est coopérative ? On peut en douter.

JEAN-PIERRE CARLIER, AGRO-ÉCONOMISTE, CONSULTANT INDÉPENDANT

Ce texte résume une étude de décembre 2013 que l'on peut demander à son auteur (jp4c@orange.fr).

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

Tapez un ou plusieurs mots-clés...