Bien discrètes dans les débats des élections européennes, des négociations majeures, mais peu transparentes, sont en cours entre Bruxelles et Washington. « L'objectif de cet accord de partenariat est d'accroître le commerce et l'investissement entre l'Union européenne et les États-Unis [...] grâce à un accès accru aux marchés, une plus grande compatibilité des réglementations et la définition de normes mondiales. » Voilà les termes affichés de ce projet de grand marché transatlantique qui a aussi son pendant transpacifique. L'ambition de Washington est à la fois de mieux contrôler le commerce mondial, via ses multinationales qui sont au coeur des négociations, et de limiter l'expansion de la Chine. Mais quels sont les bénéfices et les risques pour l'Europe et la France, notamment pour nos éleveurs laitiers ?
Ce projet comporte trois volets majeurs : supprimer les droits de douane ainsi que les barrières non tarifaires (normes sanitaires, environnementales...), et favoriser les investissements étrangers face au protectionnisme des États. Le message est très clair.
Les écarts de droits de douane seraient assez faibles en agriculture : 7 % pour les États-Unis et 13 % pour l'Union européenne et leur suppression totale, à terme, ne paraît plus impossible pour Bruxelles. En fait, ces droits sont très différents selon les secteurs. Pour le blé ou le maïs, ils sont de près de 100 € la tonne pour l'Union européenne, contre moins de 5 € pour les États-Unis ; pour le beurre, 2 000 € la tonne pour l'Union européenne contre 100 € pour les États-Unis ! Sachant que la moitié du lait américain collecté provient des troupeaux de plus de 1 000 vaches laitières et que le nouveau Farm Bill 2014-2018 est nettement plus favorable aux grands troupeaux, avec une garantie de marge sur coût alimentaire déplafonnée... Il est clair que les Américains ont de bons atouts, face à une Europe laitière dérégulée et atomisée.
La bataille des normes sanitaires et environnementales est d'un enjeu plus grave encore. Depuis des décennies, l'Union européenne a mis en place de nombreuses mesures de protection du consommateur, du bien-être animal et de l'environnement. Ces mesures sont considérées comme autant d'obstacles réglementaires, souvent non justifiés scientifiquement pour l'administration américaine, tels la viande aux hormones, le poulet désinfecté au chlore, les cultures OGM... Mais il y a aussi l'offensive contre les appellations d'origine de nos fromages, tels les « parmesan, comté, munster, feta et bien d'autres considérés comme ayant des noms communs », donc libres de fabrication partout.
En 2007, j'avais visité une usine en Californie fabriquant près de 100 000 tonnes de parmesan par an, soit presque autant que l'Italie, en copiant sans aucun complexe cette AOP (appellation d'origine protégée) !
Mais le volet le plus choquant concerne la libéralisation des investissements étrangers dans tous les secteurs, avec un mécanisme d'arbitrage des différends entre investisseurs et États... par trois avocats d'affaires ! Ce système « Investisseur contre État », qui avait été rejeté en 1998 par l'Union européenne, a donc été réintroduit dans les accords commerciaux en discussion, y compris dans celui quasi signé avec le Canada ! En clair, ce serait le droit commercial international qui primerait sur les politiques nationales, comme le salaire minimum ou l'interdiction des cultures d'OGM et du boeuf aux hormones. Bien que l'Europe ait tout à perdre dans cet accord, les discussions avancent vite. La Commission, le président Barroso et le commissaire au commerce Karel De Gucht font de leur mieux pour boucler le projet avant la fin de leur mandat en octobre. Le Copa-Cogeca approuve. Le président Hollande lui-même souhaite aller vite par crainte des résistances à venir... Tout cela pour un improbable demi-point de croissance en cinq ans et qui profiterait surtout aux multinationales !
En cette année de renouvellement du Parlement européen et de la Commission, la société civile doit se mobiliser d'urgence pour que le nouveau Parlement, toutes tendances politiques confondues, s'oppose à ce projet suicidaire, non seulement pour l'agriculture européenne mais aussi pour l'Union qui serait vidée de sa raison d'être par ce traité !
ANDRÉ PFLIMLIN
Auteur de : « Europe laitière : valoriser tous les territoires pour construire l'avenir ». Éditions France Agricole, 2010.
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