« La course à la productivité a un prix »

Comme cadeau de Noël, la revue L'Éleveur laitier du mois de décembre a été bien ficelée : un titre choc en couverture : « Un bâtiment à 2 Ml de lait pour une personne » ; un édito qui enfonce le clou : « L'agrandissement ne doit plus être diabolisé au nom d'idéologies qui ne font vivre personne » ; une laiterie qui affiche ses ambitions ; un super-témoignage avec des éleveurs qui ne doutent pas : doubler la production, c'est bon pour le Gaec, pour la filière et pour sortir l'agriculture bretonne de l'impasse !

Chanson dans l'air du temps, notamment dans cette région, mais qui risque de crisper le débat plutôt que de l'ouvrir dans un esprit de tolérance et de responsabilité. Tentons quand même quelques remarques à contre-courant.

La course à la productivité du travail devient vite contre-productive. Ainsi les éleveurs danois sont-ils devenus les champions du monde en la matière avec près d'un million de litres de lait par travailleur familial. Mais pour doubler leur production, de 2000 à 2007, il a fallu de très gros investissements, donc des surcoûts considérables. Avec les crises, financière en 2008 puis laitière en 2009, un tiers des producteurs, notamment des gros investisseurs, se sont retrouvés en situation catastrophique avec trois années de suite sans rémunération du travail familial, puis soumis au contrôle, voire à la tutelle des banques pour toutes les dépenses. Plus globalement, sur la période 2005 à 2011, le revenu moyen des éleveurs danois n'était que de 3 200 €/an par travailleur familial alors qu'il était de 20 000 € en France et de 32 000 € en Irlande pour quatre fois moins de lait par personne(1)..

La robotisation contribue au chômage et à la désertification des campagnes. Avec plus d'un jeune sur quatre au chômage, faut-il continuer à promouvoir le robot de traite coûtant 30 000 € d'annuités ou rechercher un associé ou un salarié, avec souvent une famille de plus pour la commune ? Depuis la crise de 2008, les éleveurs irlandais, y compris les jeunes, ont retrouvé le goût du métier. Ils vont rester plus nombreux et vont produire nettement plus de lait à l'herbe et moins de viande, sans robot, sans cathédrale, à faible coût et avec une bonne marge.

L'agrandissement conduit souvent au zéro-pâturage et aux risques associés. On ne peut pas ignorer les conséquences environnementales du hors-sol et même de tout stock à base de maïs pour l'eau et les algues, les sols et le stockage de carbone, la biodiversité... Or, ce témoignage reste centré sur le seul aspect économique... dans cette Bretagne qui paie cher le productivisme des dernières décennies.

Pour mieux vivre du lait, on ne peut pas se contenter de faire du « minerai » pour l'industrie et l'export. Le « volontarisme » de Sodiaal pour 2020 en Bretagne est-il bien calé, en visant un doublement des livraisons par ferme en sept ans, ainsi que la création de deux tours de séchage supplémen-taires pour faire plus de poudre pour le marché mondial ? Ne risque-t-il pas d'enfermer les exploitants bretons dans le carcan danois, à savoir des éleveurs condamnés à produire pendant des décennies pour rembourser les banques qui leur laissent juste de quoi survire, alors qu'Arla se porte bien !

En ces années de volatilité croissante du prix du lait mais aussi des charges, il est essentiel de montrer qu'il y a la place pour des modèles à croissance et à investissements modérés, valorisant mieux le lait dans la durée et/ou dégageant de meilleures marges, à rentabilité immédiate et sans handicaper en rien l'avenir. Notamment les systèmes herbagers, tels ceux du Réseau agriculture durable, à haute valeur environnementale et touristique, donc plus séduisants pour le citoyen-consommateur prêt à payer un peu plus, si la filière et la région le lui proposaient.

Promouvoir la cathédrale robotisée à 2 Ml par travailleur plutôt que dix élevages herbagers semble pour le moins incohérent dans le contexte breton et français actuel. Cela doit être dit, non pas pour provoquer mais pour relancer le débat, sans dogmatisme. Car nous avons tous intérêt, à ce que ce débat sur la diversité des modèles continue dès 2014, avant la prochaine crise laitière. Crise inéluctable, faute de régulation de l'offre au niveau européen, crise fatale aux gros investisseurs.

ANDRÉ PFLIMLIN, AUTEUR de « Europe laitière : valoriser tous les territoires pour construire l'avenir », Éditions France Agricole 2010.

Réponse de la rédaction

La réaction d'André Pfimlin se fonde sur une interprétation erronée de nos intentions : L'Éleveur laitier présente chaque mois une exploitation pour montrer comment elle fonctionne et jamais pour faire la promotion d'un système. De même, "l'édito" appuie sur le fait que le type d'exploitation présenté n'a pas à être diabolisé. Il existe avec ses points forts et ses points faibles, comme les autres.

Par ailleurs, le parallèle avec l'élevage danois est inapproprié. D'une part, le témoignage de L'Éleveur laitier ne constitue pas un modèle susceptible de se généraliser comme le modèle danois. D'autre part, le mode de financement est différent. Les Danois sont très spécialisés et recourent à l'emprunt pour 100 % de l'investissement, ce qui les rend très dépendants des banques. L'éleveur qui témoigne dans nos colonnes joue sur la complémentarité avec les cultures pour sécuriser son investissement. De plus, il est sans doute vrai que la robotisation se fait au détriment de la création d'emplois. Mais dans le cas présent, si l'éleveur n'avait pas pu automatiser son élevage, il aurait arrêté le lait. D'autres éleveurs cessent aujourd'hui leur production car ils ne veulent pas investir. Ces cessations ont certainement plus d'impact sur l'emploi local que si ces éleveurs avaient automatisé. Enfin, les herbagers sont plus favorables à l'environnement et à l'emploi. Mais si l'agrandissement progresse alors que le pâturage recule, ce n'est pas sans raison : la question est bien de trouver des volontaires pour s'installer en lait.

(1) Les modèles laitiers du nord de l'Union européenne à l'épreuve de la volatilité - Institut de l'élevage 2012 DEE n° 428.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Thomas Pitrel dans sa prairie de ray-grass

« La prairie multi-espèce a étouffé le ray-grass sauvage »

Herbe
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

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