« Réinvestir dans le lait, un luxe réservé aux céréaliers ? »

(©)

Dans le lait, le travail assidu et acharné n'est pas le seul facteur-clé de la réussite. L'histoire de l'exploitation joue énormément, ce qui légitime en partie une redistribution des aides Pac. Cependant, dans nos plaines, l'intensification de la production laitière par hectare de SAU impacte négativement la redistribution des aides aux exploitations laitières spécialisées et de taille moyenne. Certains élevages laitiers de plaine n'ont pas ces soucis.

Votre dossier de "L'exploitation du mois" de décembre 2013 (Gaec de l'Épinay) ne me choque pas : ça existe des exploitations compétitives où les associés peuvent sortir plus de 2 500 € de revenu par mois, renouveler et développer les immobilisations laitières. Ces cas nourrissent pourtant une thèse : la viabilité du "lait pas cher" produit en zone de plaine est corrélée à l'opportunité d'avoir pu développer d'autres ateliers autour du lait, les céréales notamment. Les ratios techniques parlent : 100 ha de culture par UTH, des produits animaux représentant autant que les produits végétaux, et un litrage par hectare de SAU qui passe de 3 262 l à 5 973 l à l'horizon 2020. Au niveau économique, malgré un EBE prévisionnel d'exploitation qui passe de 280 € à 193 €/1 000 l , celui-ci progresse significativement en masse. Cela reste viable tant qu'il est possible d'honorer les annuités et les charges supplétives, c'est-à-dire tant que le poids de la structure peut être suffisamment porté par l'atelier cultures. Mais tout ne semble pas gagné pour autant !

Si les exploitants avaient choisi d'arrêter le lait, même avec une baisse de 38 000 € des aides Pac à l'horizon 2017, l'EBE aurait oscillé entre 250 000 et 300 000 €. De quoi couvrir les actuelles annuités et la rémunération des associés. Les charges auraient baissé de 360 000 €, les produits de 410 000 €, soit une diminution de 100 000 € de l'EBE. Mais remarquez qu'en continuant le lait, l'annuité du nouveau bâtiment est de 130 000 €. Pour l'honorer, il faudra pousser l'étable à son maximum pour garder le ratio annuité/EBE dans l'acceptable.

Une incertitude majeure plane pourtant sur la saturation de l'outil : comment intégrer de nouveaux associés dans la SCL en projet ? S'il faut intégrer des exploitants cédants, ces derniers demanderont que la valeur des encours apportés détermine la valeur des parts pour, à terme, se les faire rembourser progressivement, tout en échappant à l'impôt demandé en cas de vente directe exceptionnelle du cheptel. Ce montage a un coût et vu la pyramide des âges, les associés du Gaec vont se retrouver face à de tels « clients ».

Autre aspect non évoqué : avec une progression à 350 ha, une part significative de la rémunération des associés est probablement consacrée à l'achat de terres. Enfin, l'associé partant à la retraite demandera-t-il le remboursement du compte courant d'associé et l'achat d'une partie de son patrimoine ? Sans parler de succession, voilà encore beaucoup de coûts en épée de Damoclès.

En revanche, ce qui change radicalement de cette exploitation d'élevage par rapport à d'autres, c'est qu'aucun des deux choix offerts aux membres du Gaec de l'Épinay (arrêt ou réinvestissement) ne se présente de la même manière pour une exploitation moyenne. Les réseaux d'élevage ont conclu qu'un doublement du litrage à SAU constante sur des systèmes laitiers types de nos régions conduit à des impacts négatifs de revenus. L'arrêt du lait quant à lui signifie la pluriactivité. Les systèmes familiaux avec peu de terres font face à des choix très contraignants. Faire un dogme de l'idée "qu'il faut s'agrandir" invite ces exploitants à vivre le non-développement comme une régression. Je dirais que reculer alors que l'on croit avancer est la vraie tragédie...

Les oppositions que les associés ont rencontrées pour se développer ne sont pas le fait du hasard. Leur avantage de surface par rapport à d'autres fait que leur modèle répond davantage à la norme de profit des actionnaires des laiteries privées et à la norme de liquidité pour les coopératives. Pourtant, l'industrie a besoin du pool de volumes actuels, d'où qu'il vienne... Elle a besoin de conserver des structures spécialisées qui n'ont pas la sécurité procurée par d'autres ateliers pour supporter la pression sur le prix.

Une industrie qui se réfère aux prix de revient compétitifs d'une "minorité" de céréaliers-éleveurs souhaitant se développer aura pour effet d'inviter tous ceux qui doutent à entamer une réflexion quant à la réorientation stratégique de leur exploitation. Cette "sortie de crise" voulue par le lobby laitier européen EDA consisterait à frapper à la porte des exploitations "modèles" seules capables d'attirer les capitaux, pour leur proposer "de nous rendre" à plus ou moins fort prix. Cette pensée économique délétère est à l'oeuvre.

L'idéal serait que le rendement marginal de l'EBE de l'exploitation, ramené aux 1 000 l, augmente avec la spécialisation des exploitations dans le lait. De cette façon, le volume des ventes de céréales par rapport à l'atelier lait et à la main-d'oeuvre ne serait plus un préalable à la pérennité des structures. La seule variable d'ajustement valable est donc celle du prix. Si le développement laitier doit compter sur les ateliers céréales pour se renouveler, c'est qu'il n'est pas à même de se renouveler tout seul comme un grand bonhomme. Il apparaît aussi que les conditions fixées par le rapport de force existant autour du prix et du marché détruisent la cohérence de la filière. Il ne fait que conforter le remplacement du salaire par le crédit et la mécanique de la concentration de la richesse, moteurs évidents de la crise économique globale du capitalisme. CHRISTOPHE DISS, ÉLEVEUR DANS LE BAS-RHIN

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Thomas Pitrel dans sa prairie de ray-grass

« La prairie multi-espèce a étouffé le ray-grass sauvage »

Herbe
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

Tapez un ou plusieurs mots-clés...