
En cinq ans, Dominique Marcault et Yoann Humbert sont passés d’un système intensif au bio. Un renversement accompli avec le soutien d’un groupe dans le but de retrouver du revenu.
« Ici, on peut produire au moins 15 tonnes de MS de maïs régulièrement sans trop d’efforts, lâche Yoann Humbert. Mais ce n’est pas forcément intéressant. » Dix ans après son installation, il se souvient de ce conseil que lui avait donné son comptable : « Vous pourriez obtenir la prime pour l’emploi. » Ses prélèvements privés ne dépassaient pas 600 € par mois. Yoann a découvert l’élevage laitier chez son oncle et de là est née son envie de faire ce métier. Il a effectué son BTS ACSE en apprentissage parce qu’il voulait apprendre sur le terrain. C’est ainsi qu’il a travaillé chez Dominique Marcault, éleveur à Luitré (Ille-et-Vilaine). Même si une génération les sépare, le courant est bien passé et ils ont décidé de s’associer. Yoann a repris la ferme de son oncle, distante de 10 kilomètres. Elle accueille les génisses sur 28 ha. Le site principal se trouve sur la ferme de Dominique avec 64 ha.
« Au début, on achetait jusqu’à 85 t de soja par an »
Au départ, les associés ont conservé le système intensif mis en place par Dominique : des holsteins à 9 500 l de lait, du maïs, du soja, et un peu de pâturage au printemps. « Techniquement, les résultats étaient corrects, se souvient l’éleveur. Mais les revenus ne suivaient pas. » Le silo n’était jamais fermé et dès l’été, le régime alimentaire hivernal reprenait. L’élevage achetait 85 t de soja par an. C’était tenable avec un bon prix du lait et un soja peu cher. Mais depuis 2010, le soja n’est jamais redescendu en dessous de 310 €/t, contre environ 200 € durant la décennie précédente. Et le prix du lait stagne.
Entre la reprise pour l’installation et la mise aux normes réalisée en 2002, les emprunts pesaient. Les dettes fournisseurs étaient élevées avec un coût alimentaire à 90 €/1 000 l. Pour s’en sortir, il fallait réduire les charges. Le déclic s’est produit lors d’une formation sur le méteil, suivie par Yoann. « J’ai vuun élevage semblable au nôtre avec des vaches à 9 500 l. L’éleveur donnait 2 kg de colza quand nous étions à 4 kg de soja, et il s’en sortait bien. » Les associés ont vu dans l’autonomie protéique une piste pour améliorer leur situation.
Yoann s’est inscrit au groupe d’éleveurs local. Animé par la chambre d’agriculture, il répond à des appels à projets AEP (Agriculture écologiquement performante). « Certains membres se trouvent dans des zonesmoins favorables que nous. Ils ont réfléchi plus tôt aux fragilités du modèle maïs soja. Partager les expériences et les chiffres avec eux nous a permis de progresser. C’était rassurant. »
En 2013, les associés ont implanté 13,5 ha de méteil en interculture avant le maïs. Ils ont choisi un mélange riche en protéine pour les vaches, plus fibreux et énergétique pour les génisses. La première récolte a atteint 7 t de MS/ha et les besoins en soja ont un peu baissé. Mais la semence de méteil coûte cher. Et les rendements ont reculé ensuite.
Les autres éleveurs du groupe se montraient déçus aussi. Petit à petit, la luzerne a chassé le méteil. En 2015, ils en ont semé 12 ha pour la fauche, à la place du blé. « La consommation de soja a été divisée par trois en hiver. Ça se voit nettement sur les factures », témoigne Dominique. Mais l’achat de paille est devenu nécessaire et ils ont cherché à réduire le temps de présence dans le bâtiment. Le groupe suivait le même cheminement et envisageait d’augmenter le pâturage. Partis de la recherche d’une plus grande autonomie protéique, ils ont évolué naturellement vers l’autonomie alimentaire.
« Sur les 32 ha accessibles, on en avait toujours au moins cinq en cultures de vente. On disposait de 22 ares d’herbe par vache », se souvient Yoann. L’herbe de printemps était bien valorisée mais pas les repousses. Le retour à la ration d’hiver était trop rapide.
En 2015, les associés ont implanté des prairies sur toute la surface accessible. Pour le pâturage, ils ont choisi un mélange RGA-TB-fétuque. Les parcelles fauchées à bon potentiel sont en RGH-trèfle violet. Les parcelles les plus humides ont été ensemencées en fétuque, trèfle violet, trèfle blanc et trèfle hybride. Ils ont aménagé des paddocks de deux jours, divisés en deux au printemps. Ils ont aussi installé des points d’eau et des chemins. « On a adopté le pâturage dynamique. » Et ils ont commencé à fermer le silo.
Trois mois de pâturage seul
Depuis, les vaches n’ont que du pâturage d’avril à début juillet. En été, les éleveurs ajoutent 2 kg de MS de maïs et 10 kg d’herbe (ensilage ou enrubanné), mais le pâturage pèse encore 30 % de la ration. Cette part remonte à 50-70 % en automne. En hiver, la ration comprend un tiers d’ensilage de maïs et deux tiers d’ensilage d’herbe, sans complémentation. « Avant, on achetait des protéines, analyse Yoann. Aujourd’hui, c’est l’énergie qui devient limitante. »
L’idée d’aller au bout de la transformation pour passer en bio s’est imposée à Yoann. Sensible aux attentes sociétales, il pensait qu’après leur changement de système, il restait peu à faire pour franchir ce cap. Dominique s’est laissé convaincre et ne regrette pas. La conversion s’est bien passée et s’est achevée le 1er décembre 2019. « Le potentiel élevé de nos terres est un atout pour l’herbe comme pour le bio. Les rendements s’élèvent à 13 t de MS de maïs et 9 en herbe. »
Croisement trois voies pour adapter le troupeau
Le troupeau s’est adapté à ces changements rapides. Aujourd’hui, les vaches produisent en moyenne 6 600 l. La production a baissé par paliers. Les filles se comportent mieux que leurs mères. Les taux ont évolué en dents de scie, avec une tendance à la baisse. Avant, la sélection privilégiait les volumes. Elle a été revue et aujourd’hui, avec de l’herbe en plat unique, les taux se situent à 32,5 pour le TP et 41,5 pour le TB.
Depuis trois ans, les éleveurs se sont lancés dans le croisement avec de la jersiaise et de la rouge scandinave. Ils cherchent des vaches plus rustiques. « Ces veaux poussent tout seuls. Les premières génisses arrivent et font du lait avec des taux », observe Dominique. « Là aussi, on s’est appuyés sur l’expérience du groupe », souligne Yoann.
Les associés espèrent résoudre aussi leur problème récurrent de mammites et de cellules. Ils ont tout tenté, de l’hygiène de traite à la géobiologie, mais peinent à rester en dessous de 250 000 cellules, surtout en hiver. L’an dernier, sur le conseil d’une vétérinaire rencontrée grâce au groupe, ils ont démarré la litière de 550 m2 avec huit balles de paille contre deux auparavant. Les vaches ont apprécié. Elles étaient plus propres et la fréquence des mammites a diminué. Les croisées devraient être plus résistantes. Et les éleveurs vont grouper les vêlages entre le 15 février et le 15 juin. « On ne cherche pas à fermer la salle de traite mais à être plus tranquilles en hiver. Les contaminations devraient baisser. » Ils visent un vêlage à 2 ans.
En revenant sur ces années de bouleversements, les éleveurs dressent un bilan très positif et avouent une certaine fierté. « J’ai mis du temps à me rendre compte qu’avec ce système intensif qui m’a pourtant permis de gagner ma vie à une époque, j’en étais arrivé à ne travailler que pour payer les factures, raconte Dominique. Mon revenu, c’était le reste. » Aujourd’hui, ils gagnent leur vie, travaillent un week-end sur deux et prennent deux à trois semaines de vacances par an.
Préparer le départ de Dominique en toute sérénité
Dominique a 56 ans et les associés réfléchissent à son départ futur. Yoann aimerait bien poursuivre seul. « Je peux redimensionner l’outil, augmenter encore le pâturage. J’ai envie de récolter les fruits de tout ce travail que nous venons de faire. » Mais si le montant de la reprise est trop élevé, il fera autre chose. Il ne repartira pas dans le cycle de l’endettement.
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