
Des initiatives locales montrent qu'il est possible de développer des échanges croisés entre exploitations, intéressants du point de vue économique, environnemental et humain.
A LESCHEROUX (AIN), UN PARTENARIAT D'UN NOUVEAU GENRE est en train de voir le jour. Noué entre des éleveurs laitiers et un producteur de porcs et de céréales, il permettra d'optimiser le fonctionnement de deux équipements et d'en réduire les coûts. La chaleur du méthaniseur assurera ainsi une partie de l'énergie nécessaire au séchoir collectif de luzerne(1). Géré dans le cadre d'une Cuma, le séchoir, en cours de construction, sera mis en marche au printemps prochain alors que le méthaniseur, implanté 300 m plus loin, aura atteint son rythme de croisière. Innovante, cette réalisation est le fruit de la rencontre entre des agriculteurs d'une même commune. D'un côté, sept éleveurs engagés dans un cahier des charges AOC crème et beurre de Bresse, désireux de renforcer l'autonomie protéique de leurs exploitations et de réduire les achats d'aliments extérieurs, alors que les prix des tourteaux flambent. De l'autre, un producteur de porcs à la recherche de débouchés pour la chaleur produite l'été par son méthaniseur (l'hiver, elle chauffe les porcheries et les maisons alentours). Deux céréaliers intéressés par les avantages agronomiques de la légumineuse dans leurs rotations sont également engagés dans la démarche.
Cette initiative qui a nécessité deux années de réflexion, montre l'intérêt de développer les complémentarités et les synergies potentielles entre des systèmes de production différents, dans le cadre de partenariats durables.
Souvent, en effet, les relations entre les exploitations d'élevage et les autres se nouent dans un contexte d'aléas climatiques (sécheresse en particulier). Dans la Drôme ou l'Ardèche, on a ainsi vu des céréaliers laisser leurs champs aux éleveurs pour qu'ils sèment des dérobées contre du fumier. Plus généralement, des achats de paille ou de fourrages se négocient autour d'un prix « le plus juste » possible. Cette année encore, pour faire face aux dégâts causés par le gel de février dernier dans l'est de la France, 1 200 camions de paille ont été mobilisés par les Jeunes agriculteurs, la FNSEA et les chambres d'agriculture.
L'OPPORTUNISME EST INCOMPATIBLE AVEC LES BONNES RELATIONS
Organisés dans l'urgence, ces partenariats ponctuels se dénouent la plupart du temps rapidement et restent sans lendemain. Désireux de profiter au mieux des opportunités du marché pour réduire leurs coûts, beaucoup d'éleveurs hésitent à s'engager plus avant. Ce qui suscite certaines réactions épidermiques de ce type : « Quand ça va mal, les éleveurs travaillent avec un céréalier mais l'année d'après, quand les prix baissent, ils s'empressent d'aller acheter ailleurs. » Responsable professionnel de l'Ain, producteur de porcs et de céréales en Gaec, Gilles Brenon observe qu'il y a eu dans son département des occasions manquées de mettre en place des relations contractuelles autour du maïs et des céréales. Le contexte actuel ne s'y prête plus. « Chacun spécule de son côté sur l'évolution des prix en espérant qu'ils montent ou qu'ils baissent », déplore-t-il.
L'opportunisme ne sied pas à la mise en place d'un partenariat « gagnant-gagnant ». C'est ce que nous ont dit les agriculteurs rencontrés dans le cadre de ce dossier. La condition première est en effet de s'inscrire dans la durée et de respecter les engagements pris, ce qui exige parfois des sacrifices et nécessite quelques équipements (en matière de stockage notamment). « Avec cette année fourragère 2012 exceptionnelle, je me retrouve avec des stocks abondants alors que depuis 2003, je suis plutôt en déficit chronique, explique ainsi un éleveur de l'Isère. Je suis quand même allé récolter la luzerne sur pied que mon partenaire avait mis de côté pour moi, car je m'y étais engagé. »
PASSER DU « COUP PAR COUP » À UN ÉCHANGE PLUS STABLE DANS LE TEMPS
Alors que beaucoup d'éleveurs misent plutôt sur le renforcement de leur autonomie alimentaire en interne, avec la reprise de terres cultivables ou l'évolution vers des bâtiments sans paille, les témoignages recueillis dans nos reportages montrent qu'il existe localement des initiatives intéressantes d'échanges croisés entre les exploitations. Aujourd'hui, alors que le manque de matières organiques des sols est une réalité dans un certain nombre de régions céréalières, en élevage, l'évolution de la taille des troupeaux n'est pas toujours couplée à l'augmentation des surfaces fourragères. Les exploitations obligées d'acheter régulièrement du fourrage à l'extérieur peuvent alors être intéressées par un échange fourrage-paille contre effluents (fumier, compost, fiente de volailles…). Le plus souvent fondés sur des accords oraux, les partenariats peuvent aussi concerner le matériel (acquisition d'une mélangeuse entre un éleveur allaitant et un laitier) ou le travail (travaux des champs assurés en partie par un voisin céréalier sous forme de prestations de services).
Toutefois, l'assurance d'avoir accès à une matière première de qualité et à un coût déconnecté des fluctuations du marché reste soumise à certaines conditions. Instaurer un bon relationnel entre les deux parties constitue la première d'entre elles. Un céréalier normand satisfait de l'échange paille contre fumier, développé avec un éleveur laitier de sa région, s'interroge sur la fragilité du partenariat, depuis l'arrivée du fils dans l'exploitation laitière.
LA CONFIANCE, CONDITION DE RÉUSSITE NUMÉRO UN
« Ce dernier est beaucoup plus pinailleur que son père, déplore-t-il. Or, pour que ça fonctionne, il faut se faire confiance. Tous les ans, le rendement de la paille à l'hectare varie. De même, on ne peut pas passer son temps à peser les bennes à fumier. »
Une étude réalisée par la chambre régionale d'agriculture Rhône-Alpes en 2012 a listé les principaux obstacles à la mise en place de tels partenariats : accès au matériel adapté (récolte, pesage, stockage…), établissement des conditions de l'accord (prix, ratio, équivalence entre produits…), distance géographique entre exploitations, travail (transport, chantier de récolte…), rencontre de l'offre et de la demande. Un autre frein est relevé par Jean-Louis Peyraud, de l'Inra et, Guillaume Grasset, de la FRCivam Poitou- Charentes : « L'échange croisé entre les exploitations n'est pas dans la culture des agriculteurs. C'est un problème de formation, de modèle véhiculé par les structures professionnelles de développement et les coopératives. Spontanément, peu d'agriculteurs pensent à s'approvisionner chez un voisin. »
Collectivement, toutefois, il existe un intérêt commun à renforcer les relations entre les systèmes de production végétale et animale. Réunis le 24 octobre dernier, à Poitiers, les chercheurs du Carrefour de l'innovation agronomique (Inra) ont dressé un constat sans appel : « La logique économique des trente dernières années a poussé à la concentration spatiale des productions et à la spécialisation des territoires : forte densité de productions animales à l'ouest, cultures annuelles dans le Sud-Ouest et le Centre. Ce mouvement historique a été renforcé par la disponibilité des engrais minéraux et des pesticides à faible coût, et le développement de systèmes animaux intensifs en bâtiment sans paille ni litière. Sur le plan environnemental, cette évolution a entraîné, dans les zones de culture, un appauvrissement de la fertilité des sols et de la biodiversité, en lien avec l'uniformisation des paysages. Dans les régions d'élevage, elle se traduit par des pressions en azote, phosphore ainsi que des émissions d'ammoniac et de GES (gaz à effet de serre) élevées », expliquent-ils. Dans ce contexte, estiment les chercheurs de l'Inra, développer des systèmes innovants associant plus étroitement les productions animales et végétales à différentes échelles territoriales (exploitation, district, régional, national) peut contribuer à optimiser les flux d'éléments et d'énergie entre les exploitations, et donc à limiter les émissions et les problèmes environnementaux associés. « Même si la question n'est pas encore formulée nettement, note Gilles Dufoix, de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher, la nécessité de développer des complémentarités avec des éleveurs est dans les têtes des céréaliers de mon département. Certains agriculteurs se posent en effet la question de la matière organique de leurs sols et de la biodiversité. C'est un point auquel les jeunes sont aujourd'hui plus sensibles que leurs aînés. »
(1) Le reste étant fourni par le solaire et le bois déchiqueté.
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