« COMPOST CONTRE PAILLE, UN ÉCHANGE GAGNANT-GAGNANT »

« Le partenariat noué avec Jean-Baptiste nous procure une sécurité dans notre approvisionnement en paille, alors que la tendance chez les céréaliers est à l'enfouissement », apprécient Alain, Laurent et Cyrille Melin.© A.B.
« Le partenariat noué avec Jean-Baptiste nous procure une sécurité dans notre approvisionnement en paille, alors que la tendance chez les céréaliers est à l'enfouissement », apprécient Alain, Laurent et Cyrille Melin.© A.B. (©)

Depuis trois ans, le Gaec du Gué, en Saône-et-Loire, échange du compost « rendu racine » contre de la paille en andains avec son voisin céréalier.

AVEC SES 160 MONTBÉLIARDES ET LA SUITE, auxquelles s'ajoutent 150 taurillons présents en permanence, le Gaec du Gué a de gros besoins en paille. « Nous produisons 120 ha de paille, alors qu'il nous en faut quasiment le double », résume Alain Melin, installé avec son beau-frère, sa femme et ses trois fils sur 315 ha dans le Chalonnais. « Tous nos bâtiments sont sur aire paillée. C'est une obligation liée à l'existence d'une rivière à 35 m de notre site. Nous pourrions passer en système lisier. Mais il faudrait implanter la fosse au-dessus des stabulations et investir dans des pompes, avec des coûts trop élevés. »

En revanche, du fumier, le Gaec en a trop. « Nous en produisons 3 500 t par an, soit 30 % de plus que nos besoins. L'excédent peut être stocké mais pas éternellement. Un jour ou l'autre, il faut bien le dégager et dans de bonnes conditions, comme le stipulent les normes environnementales et agronomiques. Plus question d'en épandre 70 t/ha ! Nous pourrions en mettre sur nos terrains avant de semer le blé, mais nous avons aussi besoin de paille. Or, celle-ci a une valeur : 80 à 100 /t selon les années. » Pour exporter son fumier excédentaire et récupérer une partie de la paille dont il a besoin, le Gaec a conclu un accord avec un jeune voisin céréalier. Installé depuis six ans, Jean- Baptiste Terrier exploite 175 ha à proximité. « Il s'agit d'une propriété familiale acquise en 1989 par mon père et gérée jusqu'à mon installation par un salarié, précise Jean-Baptiste. La paille a été vendue trop longtemps. Ce qui a fragilisé la structure des sols et généré des problèmes d'asphyxie. Ici, les terrains blancs se ferment facilement quand ils sont acides. Il faut donc chauler et les entretenir. À l'époque, mon père avait investi dans le drainage. Du fait des grosses annuités de cet investissement, il n'avait pas pu acquérir en même temps le matériel nécessaire à l'enfouissement et à la valorisation des pailles. Ce que j'ai fait. » Quand le Gaec a proposé à Jean-Baptiste d'échanger du fumier contre de la paille, le jeune céréalier a d'abord hésité. « Nous en avons parlé pendant deux ans. J'aime prendre mon temps et peser le pour et le contre avant de décider. Il fallait aussi que je comprenne bien le fonctionnement des sols d'ici, moi qui suis originaire de l'Yonne. »

« 1 HA DE PAILLE CONTRE 10 T DE FUMIER »

L'effet structurant du compost, plus que sa valeur fertilisante, l'a convaincu « En non-labour, technique agronomiquement intéressante et qui convient mieux au fait que je travaille seul, les terres se réchauffent plus vite, observe Jean-Baptiste. Mais la minéralisation a tendance à se faire au détriment de la plante. Le compost compense. Plus facile à assimiler que du fumier, il a un effet starter sur le colza. La plante est plus vigoureuse pour affronter l'hiver. Avec les variétés hybrides semées à 35-40 pieds/ m2 seulement, il ne faut pas louper la levée. »

Mi-octobre, le colza composté présentait une belle vigueur et une bonne couleur verte. « En 2012, le rendement moyen du colza, sur lequel je ne mets aucun engrais de fond, s'est élevé à 50 q/ha, se félicite Jean-Baptiste. Il y a l'effet saison mais aussi l'effet compost. »

« NOUS AVONS UN CONTRAT DE CONFIANCE ORAL »

Mis en place sans précipitation, le partenariat s'est développé progressivement. La première année, l'échange s'est établi sur la base de 20 ha de paille, puis sur 40 ha dès la seconde. À raison d'1 ha de paille pour 10 t de fumier. « Quand on a démarré, nous n'avions pas de grille d'équivalence paille-fumier, précise Laurent. Nous avons donc un peu tâtonné. Aujourd'hui, des chiffres précis sont disponibles. Ils tiennent compte de la valeur fertilisante et agronomique du fumier et de la paille, du coût des engrais, du coût du travail, de la presse et de l'épandeur. Nous sommes restés malgré tout sur les bases définies il y a trois ans : 40 ha de paille contre 20 ha à épandre, à raison de 20 t de fumier/ha. Nous privilégions l'aspect pratique. 1 t de paille en andains contre 1,3 t de fumier épandu équivaut à 6 t de compost/ha, ce qui est beaucoup moins facile à épandre que 20 t. »

« NOS PARCELLES SONT GRANDES ET PROCHES LES UNES DES AUTRES »

Les éleveurs tiennent aussi compte de l'assolement et du parcellaire de Jean-Baptiste. « Il dit ce qui est disponible. Nous ne discutons pas. » Cette année, le Gaec a ainsi reçu 24 ha de paille d'orge et 16 ha de paille de blé. En contrepartie, 400 t de compost ont été épandues. Les éleveurs font du « rendu racine ». C'est un point important pour Jean-Baptiste qui, seul sur son exploitation, peut se consacrer à ses autres activités et n'a pas à se préoccuper de trouver un matériel adapté. « Notre Cuma a investi dans un épandeur spécial compost il y a trois ans, précise les Melin. Ce matériel équipé d'une table d'épandage de 12 m de large permet de travailler vite. »

La proximité des terres facilite aussi bien les chantiers de paille gérés par le Gaec lui-même que l'épandage du compost. Travailler dans un rayon maximum de 4 km avec de grandes parcelles constitue un avantage. Le compost est apporté dans la parcelle de Jean- Baptiste avec la grosse benne de 25 t du Gaec. « L'épandeur est rechargé sur le champ, ce qui évite les allers-retours de matériel sur la route, précise Cyrille Melin. Le compost est incorporé aussitôt avec le déchaumeur à disques de Jean-Baptiste, à raison de 30 à 35 ha par jour. »

La contrainte pour le Gaec réside dans le stockage du fumier. « Nous l'épandons l'été après la récolte des céréales. Il faut donc l'entreposer l'hiver, explique Cyrille. Avec nos 160 vaches, nous sommes obligés de curer la stabulation toutes les trois à quatre semaines. Heureusement, le stockage en bout de champ est encore autorisé pendant dix mois consécutifs. Nous essayons d'installer les tas sur d'anciens ray-grass italiens. Le fumier est retourné deux fois à trois semaines d'intervalle par la Cuma départementale qui vient avec son retourneur d'andains. »

En échangeant ainsi paille contre fumier, le Gaec et Jean- Baptiste ont scellé un contrat de confiance oral. « Nous ne pesons pas les épandeurs, soulignent les éleveurs. Il faut donc faire confiance aux personnes qui épandent. » La réactivité des éleveurs est appréciée par Jean- Baptiste. « Ils comprennent la nécessité d'intervenir rapidement pour enlever la paille et libérer les parcelles. Un coup de fil avant la moisson suffit. Ils s'organisent pour enlever les andains, même si eux aussi sont en retard. » Avoir des partenaires réactifs est la base du compromis. « Si la météo le permet, je peux alors déchaumer sans perdre de temps et préparer les prochains semis. »

« UN GAIN DE TEMPS ET DE TRANSPORT IMPORTANT »

Le Gaec apprécie la qualité de la paille apportée. « Jean-Baptiste coupe avec une moissonneuse- batteuse traditionnelle, ce qui permet d'avoir une paille longue qui nous convient. » De son côté, Jean-Baptiste est soulagé de ne pas avoir à courir après les acheteurs de paille pour l'enlèvement des andains ou pour être payé. Par ailleurs, après avoir expérimenté un an d'épandage de boues d'épuration, il est plus serein avec le compost. « Je sais ce que j'épands. Il n'y a pas de risque de récupérer des résidus de métaux lourds. Olfactivement, la différence est appréciable : avec le compost, il n'y a ni problème d'odeur ni difficultés d'épandage sur les parcelles proches du lotissement. » L'échange paille-compost a resserré les liens entre les voisins. « Nous connaissions le père de Jean-Baptiste et le salarié, explique Alain. Avec Jean- Baptiste, qui est plus réservé, nous nous contentions de nous saluer quand nous nous croisions en voiture. Avec l'échange, nous avons appris à mieux nous connaître. » Les agriculteurs parlent de matériel, comparent leurs itinéraires techniques respectifs et regardent les résultats sur le champ. Le Gaec a même évoqué la perspective d'aller plus loin, en achetant en commun une moissonneuse-batteuse, mais Jean-Baptiste n'est pas prêt.

Pour le moment, l'échange correspond aux besoins des deux partenaires. « Je bride l'échange à 40 ha de paille alors que le Gaec pourrait monter à 80 ha, note Jean-Baptiste. J'évite de me démunir de la paille produite sur les terrains sableux de mon exploitation, car ils sont faibles en matières organiques. Par contre, je peux exporter plus souvent la paille des terres noires de bord de Saône. Même si c'est toujours un peu à contre-coeur que je laisse partir la paille, j'ai une compensation avec le compost. En 2012, les blés ont donné 85 q/ha, les orges 90 q, et le colza 50 q. C'est la première fois qu'ils sont aussi bons ! » Pour sa part, le Gaec, qui continue à acheter une partie de sa paille(1), apprécie le gain de temps et de transport réalisé grâce à cet échange. « Nous avions l'habitude d'aller chercher de la paille à 18 km », expliquent les associés. Cette année, paradoxalement, le Gaec en a vendu 110 t. « Avec le gel, nous avons ressemé des céréales de printemps sur des terres situées à 18 km. »

Outre la confiance et la réactivité, la souplesse est l'une des conditions de réussite d'un tel partenariat.

(1) 40 ha sont achetés à un cousin à un prix correct et régulier toute l'année.

Attiré en priorité par la valeur agronomique et par l'effet structurant du compost sur le sol, Jean-Baptiste Terrier s'intéresse aujourd'hui à sa valeur fertilisante.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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