L'expérience de vingt ans de traite robotisée

Les robots ont énormément gagné en fiabilité. Les constructeurs osent dire qu'ils peuvent les mettre entre toutes les mai© CHRISTIAN WATIER
Les robots ont énormément gagné en fiabilité. Les constructeurs osent dire qu'ils peuvent les mettre entre toutes les mai© CHRISTIAN WATIER (©)

Le robot de traite a fait la preuve de son efficacité. Mais cette technologie nécessite quelques adaptations. Celle qui impose à l'éleveur une nouvelle façon de travailler n'est pas la moindre.

LA TRAITE ROBOTISEE A EU VINGT ANS cette année avec l'apparition, en 1992, du premier robot Lely à la ferme. C'était aux Pays-Bas. La même marque implantait le premier robot en France en mars 1995, en Mayenne plus précisément. Hasard des chiffres, en mai dernier, Lely annonçait avoir installé son 2012e robot dans ce même département. En février 2001, c'était au tour de DeLaval d'installer son premier automate dans la Sarthe. Le constructeur suédois en compte environ 1 400 dans l'Hexagone. Car depuis le début des années deux mille, le nombre d'exploitations équipées d'au moins un robot de traite a explosé pour atteindre environ 2 800 (voir encadré p. 36). Il n'est plus rare aujourd'hui de croiser un éleveur qui en est à sa troisième génération de robot. Quelle expérience tirons-nous de ces années de traite robotisée ?

LES MOTIVATIONS ONT ÉVOLUÉ

Les premiers investisseurs de la fin des années quatre-vingt-dix avaient sans aucun doute une mentalité de pionnier, de cassecou aussi. Car ces passionnés de nouvelles technologies n'ont pas hésité à « essuyer les plâtres » avec des machines pas tout à fait au point. À cette catégorie, se sont immédiatement greffés des éleveurs qui souhaitaient plus de temps libre et surtout se libérer de l'astreinte de la traite. Avec souvent d'autres activités que le lait sur l'exploitation (céréales, maraîchage, etc.), le robot a pu être alors une alternative à la cessation laitière. Mais ceux qui imaginaient un robot capable de tout faire ont connu des échecs cuisants. Il est admis désormais que le robot impose une surveillance assidue du troupeau et les économies sur le temps de travail ont été relativisées. Aujourd'hui, l'achat d'un robot de traite concerne des éleveurs motivés par la production laitière. S'il attire toujours les jeunes ou moins jeunes très ouverts à l'informatique, il séduit aussi une catégorie de producteurs intransigeants sur les performances zootechniques. Ces derniers apprécient particulièrement la puissance des outils de gestion du troupeau attachés à l'automate. D'autres, très à cheval sur la rentabilité de leur atelier, présentent leur choix du robot comme la meilleure solution économique, en intégrant investissements réduits dans le bâtiment et économies de main-d'oeuvre. La démocratisation du robot touche aussi une catégorie d'éleveurs moins ambitieux, mais fatigués physiquement par des années passées en salle de traite.

Enfin, l'apparition récente d'un marché du robot d'occasion permet à des structures de taille moyenne (moins de 50 vaches) d'accéder à la traite robotisée

UNE TECHNOLOGIE AU POINT

En vingt ans, la technologie des robots a beaucoup évolué. Les principes fondamentaux de fonctionnement n'ont guère changé, avec un bras poseur guidé par le couple caméras numériques-rayons laser, mais l'ensemble a énormément gagné en fiabilité, et en précision et rapidité des branchements.

« Le robot s'adapte aujourd'hui à des mamelles déformées et son arrivée dans le troupeaun'impose plus un nombre important de réformes. Sur les vingt dernières installations, dans ma zone d'activité, je l'estime à moins de 5 %. Mais la génétique a aussi permis de grand progrès sur la qualité des mamelles », explique Guillaume Crepel d'Avenir Conseil Élevage (Nord-Picardie).

Ces dernières années, les principales avancées techniques ont porté sur l'informatique qui permet à l'éleveur de piloter son robot. Des premiers systèmes sous MS DOS, nous sommes passés à des logiciels qui ont gagné en performances et offrent un panel énorme à l'utilisateur. Le robot devient ainsi un formidable outil de gestion du troupeau : performance laitière, reproduction, santé, alimentation et, bien sûr, tri des animaux peuvent se piloter derrière l'écran de contrôle.

BEAUCOUP DE DONNÉES FOURNIES SONT SOUS-EXPLOITÉES

« Même si l'informatique s'est démocratisée, les programmes du robot peuvent paraître encore très complexes à certains éleveurs qui se retrouvent perdus dans un labyrinthe d'informations. De ce fait, beaucoup de données fournies par l'automate sont sous-exploitées. Les constructeurs ont encore des progrès à faire dans la convivialité de leur logiciel et dans la formation des utilisateurs », note Guillaume Crepel. L'arrivée d'internet a permis aussi des pilotages à distance et l'accès aux informations du robot sur Smartphone ou tablette.

Les constructeurs proposent énormément d'options autour du robot. Mesure d'activité (podomètre), pesée des animaux, mesure de la rumination, analyse des composants du lait, etc. « Ces outils ne sont pas indispensables en soi, mais ils peuvent être d'une aide précieuse pour détecter les animaux à problèmes et surtout affiner le diagnostic. Attention cependant à ne pas se perdre dans une foule de données ou d'en oublier d'aller voir le troupeau », rappelle Philippe Wallet, du BTPL.

« La désinfection automatique des griffes est une option indispensable qui devrait être proposée en série par les constructeurs. Avec une seule griffe qui se branche sur toutes les vaches, son absence peut amener de gros problèmes en présence de germes contagieux », poursuit Guillaume Crepel.

ENCORE QUELQUES FAIBLESSES SUR LA QUALITÉ DU LAIT

Le lavage des mamelles reste un point faible du robot de traite. Les observateurs s'accordent à pointer le peu d'évolution dans les résultats, que ce soit sur les systèmes de nettoyage par brosse ou par gobelet de lavage. Il n'existe pas de système qui distingue le degré de salissure de la mamelle comme peut le faire un éleveur en salle de traite. Conséquence, on note souvent une dégradation du nombre de spores butyriques dans le lait. Le robot est aussi responsable d'une aggravation de la lipolyse du fait de l'augmentation de la fréquence de traite. Ces deux points noirs ont rendu certaines AOC réticentes au développement du robot. L'augmentation de la concentration en cellules somatiques dans le lait, à la suite de l'arrivée du robot, est souvent un élément de crispation. Elle peut être liée au principe de la traite volontaire qui, dans certains cas (boiteries, stress, etc.), peut augmenter les intervalles de traite. « La tendance générale est une dégradation du niveau de cellules dans les six premiers mois qui suivent la mise en route du robot, puis un retour à la situation antérieure. Le robot ne peut pas être considéré comme responsable des augmentations de cellules ou de mammites, mais il peut accentuer les erreurs de l'éleveur et les défauts du bâtiment. J'observe que les élevages avec un troupeau sain n'ont pas de problèmes de cellules avec un robot », affirme Philippe Wallet. L'automate a fait également beaucoup de progrès en détection des vaches douteuses. La conductivité du lait n'est plus le seul paramètre utilisé. Elle est croisée avec d'autres : activité, colorimétrie, vitesse de traite, etc. Même si certains éleveurs s'en sortent très bien, il faut reconnaître que le niveau de cellules est plus difficile à contenir avec une aire paillée dans le bâtiment. « L'éleveur a souvent besoin de plus de temps que les vaches pour s'adapter au robot. Le fait de ne plus voir les mamelles deux fois par jour impose de consulter les alertes données par le logiciel et de savoir les interpréter. C'est une nouvelle façon de travailler », complète Guillaume Crepel.

LE DÉBAT SUR LA CIRCULATION

Les deux leaders du marché se sont souvent opposés entre circulation libre et circulation guidée des animaux dans le bâtiment. L'utilisation de portes sélectives a amené de nouveaux modes de conduite dite « sélective » ou « libre contrôlée ». C'est à l'éleveur de choisir. Il faut aussi s'adapter aux contraintes du bâtiment qui peut imposer un mode de circulation. L'expérience a montré que les systèmes très directifs ne sont pas d'une grande efficacité. Inversement, la conduite totalement libre impose de pousser certains animaux. Dans certains cas, elle peut être une source de dépenses supplémentaires en concentrés pour attirer les vaches. Mais elle offre aussi plus de possibilités pour l'alimentation, les animaux ayant accès à l'auge en permanence. « Tous les systèmes fonctionnent, à condition de respecter certaines règles : l'accessibilité, la place des points d'eau et éviter de trop contraindre les animaux », explique Philippe Wallet. « Il ne faut pas obliger une vache à aller au robot mais plutôt l'inciter », poursuit Guillaume Crepel. « Mais nous touchons là à des notions de comportement et de hiérarchie du troupeau qu'on ne maîtrise pas toujours. Pour optimiser la stalle du robot, il est déterminant d'organiser une grande fluidité dans le bâtiment de manière à avoir un robot occupé le plus souvent possible par 24 heures. Bien sûr, le pâturage imposera une sortie sélective. »

LES ERREURS À ÉVITER EN ALIMENTATION

C'est la distribution de concentré qui motive la vache à rentrer dans la stalle du robot. Mais cette distribution a pu être source de gaspillage avec une explosion du coût de concentré par litre de lait produit. En ration complète à l'auge, souvent équilibrée à un haut niveau de production, l'erreur était de donner uniquement le concentré de production au robot, comme dans un Dac. Car une conduite en vêlages étalés est conseillée pour que les débuts de lactation entraînent les autres, plus paresseuses à aller se faire traire. « Nous avons appris à distribuer à l'auge des rations moins équilibrées qui sont corrigées au niveau du robot avec, notamment, le concentré azoté. Et cela incite davantagela vache à venir se faire traire. Il faut également respecter des quantités minimum et maximum que j'estime respectivement à 1 et 3 kg par traite. Le logiciel permet de placer des garde-fous en fonction du nombre de traites », explique Guillaume Crepel. L'achat de concentré « spécial robot », souvent aromatisé et toujours plus coûteux, est passé de mode. L'expérience a montré que les mélanges de tourteaux et de céréales aplaties s'utilisent très bien. « À système fourrager égal, avec un équilibre maîtrisé entre le concentré distribué à l'auge et au robot, il n'y a aucune raison d'observer des dérapages sur le coût alimentaire », note Philippe Wallet.

LA MAINTENANCE TOUJOURS TROP CHÈRE

C'est ici que la mauvaise réputation du robot perdure. Pourtant, les constructeurs ont fait évoluer leur offre en proposant différents niveaux de prestations et affirment que ce coût de maintenance a baissé depuis dix ans. Il peut comporter ou pas une part fixe et une part variable, calculées à la tonne de lait produit. Selon la production et le service choisis, le coût annuel se situerait dans une fourchette de 4 000 à 6 000 €. Mais la prestation la plus basse (environ 3 €/t), laissant l'éleveur très autonome dans l'entretien du robot, est peu choisie par les utilisateurs. Avec le développement d'internet et la possibilité de prise en main à distance de la machine, on pouvait espérer une maintenance moins onéreuse.

« Au contrat de maintenance se rajoutent des consommables et des produits de nettoyage vendus par le constructeur, qui créent un surcoût indéniable sur ce poste entretien. Au total, je l'estime entre 11 et 15 €/1 000 l, soit plus du double par rapport à une machine à traire », précise Philippe Wallet. D'autres critiques portent sur la disponibilité du service après-vente. Avec l'explosion des ventes de robots ces dernières années, les techniciens seraient-ils débordés ? Quant au coût en eau et énergie, ils sont difficiles à évaluer mais les constructeurs assurent avoir fait de gros progrès sur la consommation électrique.

Il est indéniable que le robot est devenu plus accessible financièrement. Son prix d'achat a sensiblement diminué depuis dix ans quand celui d'une salle de traite a eu tendance à progresser. Ainsi, pour un troupeau de 65 vaches, l'écart entre le prix d'une salle de traite 2 x 6, en intégrant le surcoût du bâtiment et le prix d'un robot de traite, serait d'environ de 15 000 €. Le robot de traite s'est aussi démocratisé dans les esprits, ce n'est plus l'outil réservé à la petite élite.

ÊTRE « ROBOT COMPATIBLE » EN 2012

Pour autant, tous les éleveurs sont-ils « robots compatibles » ? Les constructeur s'affirment avoir très peu d'échecs aujourd'hui. Les évolutions technologiques sur l'automate mais aussi la préparation avant l'arrivée du robot (diagnostic d'élevage, formation) facilitent l'adaptation. « Ne pas être allergique à l'informatique, avoir un troupeau sain, surtout au niveau des cellules, un bâtiment bien aéré, plutôt en logettes qu'en aire paillée, sont autant d'éléments qui facilitent beaucoup l'arrivée du robot. Mais je suis souvent surpris par des réussites dans des conditions plus difficiles », reconnaît Philippe Wallet.

Avec l'expérience, les techniciens savent aussi repérer les « éleveurs à risque ». Trop d'idées reçues ou une trop grande euphorie avant l'arrivée du robot peuvent amener à des déconvenues. « Il faut surtout être persuadé que le robot ne va pas tout faire et le temps de travail gagné n'est pas aussi important qu'on peut l'imaginer au début. Le robot de traite, c'est magique quand tout va bien. Mais quand les problèmes arrivent, il faut savoir consacrer du temps. On s'aperçoit notamment que traiter les infections mammaires était plus simple en salle de traite. Pour moi, être “robot compatible” nécessite de savoir gérer son stress par rapport à une machine qui ne sera jamais parfaite. Il faut aussi s'adapter à une nouvelle organisation du travail. Sans traite biquotidienne, certains éleveurs ont tendance à perdre leurs repères », explique Guillaume crepel.

DOMINIQUE GRÉMY

© CLAUDIUS THIRIET

Attention à ne pas se perdre dans une foule de données ou d'en oublier d'aller voir le troupeau.

© CHRISTIAN WATIER

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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