
En trois ans, les taureaux génomiques ont dépassé les confirmés en nombre d'inséminations. Le progrès génétique va s'accélérer mais la variabilité génétique pourrait en souffrir.
SOUVENEZ-VOUS : IL Y A SEULEMENT TROIS ANS, les entreprises de sélection commençaient à proposer des doses de jeunes taureaux sans descendance et annonçaient une véritable révolution dans la sélection laitière. À bien des égards, la réalité a dépassé les prévisions. Petit tour d'horizon de ce qui a changé dans la création et la diffusion des mâles.
Première promesse de la génomique : le doublement du progrès génétique. Un effet qui repose en partie sur le raccourcissement des intervalles de génération. Avant, les premiers index d'un taureau étaient publiés alors qu'il avait déjà six ans. Ce n'est qu'à ce moment-là que les éleveurs pouvaient tirer profit des caractères d'un mâle pour gérer leurs accouplements.
LES JEUNES PLUS FORTS QUE LEURS AÎNÉS
Aujourd'hui, les mâles sont indexés dès la naissance et les premières doses sont produites vers quinze mois, avec des index déjà assez fiables. Ces taureaux plus jeunes disposent d'un potentiel génétique supérieur à celui de leurs aînés et il est rapidement accessible. Ce qui permet une accélération du progrès génétique.
De plus, la pression de sélection sur les mâles s'est accrue grâce à la génomique. « Notre programme de sélection a changé de dimension, précise Pascal Milon, chez Créavia. Avant, nous achetions environ 800 mâles pour en tester 250. Aujourd'hui, nous en génotypons 2 500 pour en acheter 250, dont environ 80 seront mis en service. » En clair, le tri s'effectue sur une base plus large avec une sélection plus sévère, d'où un relèvement du niveau.
Enfin, le raccourcissement des intervalles permet de produire des taureaux plus en phase avec les besoins des éleveurs. Autrefois, les taureaux mis en service étaient issus d'accouplements raisonnés dix ans plus tôt. Il existait donc un certain décalage qui s'est considérablement réduit.
Malgré tout, l'accélération du progrès génétique reste à venir. Car les vaches qui entrent en production aujourd'hui ne sont que rarement issues de pères génomiques. Mais ces taureaux surclassent largement leurs aînés dans le palmarès sur l'Isu. On ne compte que cinq taureaux confirmés parmi les cent premiers à l'indexation prim'holstein de décembre 2011. La barre des 180 points d'Isu, couramment franchie par les jeunes taureaux, reste inaccessible à la plupart des anciens. Et depuis l'an dernier, ces jeunes taureaux sont majoritairement utilisés par les éleveurs en race holstein. C'est quand leurs filles entreront dans les troupeaux, d'ici deux à trois ans, que le gain sur le progrès génétique deviendra significatif. « La base mobile n'évoluera plus de quatre points d'Isu comme aujourd'hui, mais de près de dix », affirme Jean-Yves Dréau, chez Amélis.
LE PROGRÈS VA S'ACCÉLÉRER SUR LES FONCTIONNELS
L'autre grande avancée promise par la génomique concerne les fonctionnels. Alors qu'auparavant, ces index n'étaient connus que tardivement, quand les taureaux voyaient arriver leurs filles de service, ils sont aujourd'hui calculés dès la naissance. Le génotypage des femelles (voir p. 41) va dans le même sens puisqu'il permet de sélectionner les génisses de renouvellement selon leur fonctionnalité, chose impossible jusqu'alors.
De plus, l'accélération du progrès génétique attendue permet désormais d'accentuer la sélection sur les critères fonctionnels sans perdre sur la production et la morphologie. D'où la révision récente des index de synthèse. En effet, réduire le poids de la production à 35 %, comme l'a fait la prim'holstein, ne ralentira pas l'amélioration sur ce poste, car l'accélération du progrès génétique compensera. Le gain annuel devrait donc rester autour de 80 kg de lait. En revanche, en accentuant le poids des caractères fonctionnels dans l'Isu, l'avantage est donné aux taureaux les mieux classés sur ces critères. Ils vont donc s'améliorer plus rapidement
À TERME, LES COÛTS SERONT LES MÊMES QU'AVANT
En revanche, ceux qui espéraient une baisse du prix de l'insémination attendent toujours. En effet, on pouvait imaginer que la suppression du testage, une étape coûteuse, permettrait de réduire le coût des doses. Il n'en est rien, et ce pour plusieurs raisons.
D'une part, la sélection vit actuellement une phase de transition. Le testage engagé il y a deux ou trois ans se poursuit, avec les charges qui l'accompagnent. Les dernières primes liées au testage seront versées en 2014. Chez Amélis, il reste trois cents taureaux en taurellerie, contre huit cents auparavant. D'autre part, le nouveau système a lui aussi un coût. « Nous avons totalement réorganisé le schéma de sélection », confirme Jean-Yves Dréau. Les coûts se déplacent vers l'amont. Les mâles sont désormais achetés à des prix supérieurs, de même que les embryons. Les veaux refusés sont indemnisés par les entreprises de sélection qui organisent également souvent leur ramassage. Elles participent au financement des transplantations embryonnaires. Et le génotypage représente une nouvelle charge. Une fois la transition achevée, les coûts devraient se situer au même niveau qu'au temps du testage. « Nous avons décidé de maintenir le budget du programme », précise Pascal Milon.
Cette réorganisation des schémas de sélection a également des conséquences sur la présentation de l'offre aux éleveurs. Elle est désormais plus segmentée. Car avec l'augmentation du nombre de caractères indexés, il devient quasiment impossible d'obtenir des taureaux complets. La sélection sur le seul Isu devient donc difficile. Par ailleurs, comme le choix des reproducteurs s'effectue sur un effectif plus large et avec un tri plus sévère, il devient possible de sélectionner selon différents axes. Ceci amène les entreprises à identifier des profils d'animaux correspondant aux souhaits des éleveurs. Chez Amélis, cette évolution a suivi la réalisation d'une enquête auprès d'éleveurs normands. « Nous avons établi de nouveaux index de synthèse en interne pour faire ressortir les meilleurs reproducteurs dans les différents profils », explique Jean-Yves Dréau. Les accouplements sont construits sur cette base. Tout est question de doigté, car il faut définir de nouvelles pondérations. L'enjeu est d'avancer plus vite sur certains postes, mais en évitant une dégradation marquée des autres caractères.
Ceci permet aux éleveurs de trouver dans les catalogues des taureaux plus axés sur la fonctionnalité, la morphologie ou encore la production. Auparavant, des taureaux typés existaient aussi, mais ils étaient plutôt le fruit du hasard.
UNE OFFRE PLUS VARIÉE FAVORABLE À L'EXPORT
Ce mode de sélection va probablement s'intensifier du fait de l'arrivée prochaine de nouveaux caractères indexés, mais aussi de l'évolution de la demande des éleveurs. Il permet aux entreprises de mieux se placer à l'export grâce à une offre plus diversifiée. Un moyen de mieux amortir le coût du schéma.
Mais le gros point noir de cette nouvelle sélection reste le maintien de la variabilité génétique. Ce risque a été identifié dès le début, mais avec des opinions contradictoires. Pour certains, le génotypage permettrait d'explorer des familles peu connues dans le but de valoriser de nouvelles souches. Pour d'autres, la fiabilité inférieure des index calculés par génotypage conduirait les intervenants à miser sur les pedigrees pour limiter les risques. Cette dernière tendance domine depuis trois ans, aussi bien au stade de la création qu'à celui de la diffusion.
DES TAUREAUX DE HAUT NIVEAU SONT INUTILISABLES FAUTE DE VARIABILITÉ
Mais il serait dangereux de poursuivre dans cette voie. Car le nouveau mode de sélection accroît naturellement le risque d'augmenter la consanguinité. En effet, les taureaux génomiques sont quasiment contemporains des femelles à accoupler. Le décalage de générations, qui induit des différences de pedigree, n'existe quasiment plus. De plus, la rotation plus rapide des taureaux génomiques introduit une difficulté supplémentaire. Les éleveurs comme les inséminateurs vont avoir plus de mal à mémoriser les pedigrees. Il deviendra donc plus compliqué de tenir compte des origines dans les accouplements. Les entreprises de sélection ont pris conscience de la nécessité de travailler sur ce point, pour que les utilisateurs ne perdent pas leurs repères malgré le nombre des taureaux.
Car il y a urgence. Il faut tout faire pour contrer le risque d'augmentation de la consanguinité dans les troupeaux. Et ce n'est pas simple car un taureau original, s'il est très bon, est massivement utilisé par les sélectionneurs et perd donc l'attrait lié à sa différence de sang. À l'inverse, les pedigrees exotiques ont du mal à séduire si leur profil reste commun.
Déjà, les entreprises de sélection commencent à voir des taureaux inutilisables dans le schéma du fait de leur manque d'originalité, malgré des index exceptionnels. Pour l'instant en holstein, ces taureaux gardent un intérêt en diffusion. Mais l'étau va se resserrer, avec l'arrivée massive des filles issues d'O-Man par exemple.
« On peut trouver des taureaux intéressants en terme de variabilité génétique, précise Jean-Yves Dréau. La difficulté est d'amener les éleveurs à les utiliser. » Car le génotypage permet effectivement d'explorer de nouvelles souches, mais avec un rendement plus faible que dans les familles confirmées. Pour ces dernières, on obtient trois à quatre bons mâles pour une vingtaine de génotypages. Sur les souches moins réputées, il faut deux fois plus de génotypages pour ne sortir qu'un taureau.
Néanmoins, chez Créavia, Pascal Milon constate qu'aujourd'hui, de nouveaux élevages produisent des mâles. Le programme d'accouplements Sélectis a permis d'élargir la base de femelles. De plus, la création de station de donneuses libère les éleveurs des contraintes liées à la transplantation. Certains ont dénoncé une forme d'intégration, mais pour Créavia, le résultat est positif en terme de diversification des origines. « L'introduction de nouveaux caractères impose aussi d'élargir la base pour ne pas passer à côté des gènes qui compteront dans l'avenir », précise Pascal Milon.
LIMITER LA DIFFUSION DES CRACKS
L'idée d'introduire un critère de variabilité génétique dans l'Isu a été abandonnée car trop difficile à mettre en oeuvre. En effet, l'originalité génétique d'un taureau varie dans le temps et selon les lieux. « Dans le passé, le changement d'Isu nous a sauvés. L'indexation des fonctionnels, par exemple, a fait ressortir de nouvelles familles », ajoute Jean-Yves Dréau. Mais il serait imprudent de se reposer sur cette éventualité.
Dans l'immédiat, les entreprises de sélection tendent à limiter la diffusion des taureaux phares. Chez Amélis, chacun est remplacé dès qu'il a réalisé 15 000 inséminations, ce qui correspond à peine à 3 % en race holstein. Il y a encore quelques années, un crack pouvait faire jusqu'à 35 000 inséminations sur la zone. Chez Créavia, chaque éleveur a accès à deux doses de chaque taureau pour cinquante inséminations artificielles premières. Une manière de limiter le poids de chaque individu en élevage. Gènes Diffusion propose des packs de doses de profils différents. Chaque pack contient vingt doses de cinq taureaux.
PASCALE LE CANN
« L'accroissement de la pression de sélection est un plus pour les éleveurs. » - PASCAL MILON (CRÉAVIA)
« Pour un prix équivalent, les paillettes ont un meilleur niveau génétique. » - JEAN-YVES DRÉAU (AMÉLIS)
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