PAS DE COPIER-COLLER POSSIBLE, UNE RÉFLEXION GLOBALE S'IMPOSE

La fin des quotas administrés augmente les possibilités dans les exploitations, tout en rendant le contexte plus mouvant (volatilité des prix et des charges). © CHRISTIAN WATIER
La fin des quotas administrés augmente les possibilités dans les exploitations, tout en rendant le contexte plus mouvant (volatilité des prix et des charges). © CHRISTIAN WATIER (©)

Compte tenu de la diversité des systèmes d'exploitations laitières et des écarts de revenus entre les producteurs, il n'y a pas de réponse unique à la question : « Se spécialiser ou se diversifier ? » Selon son environnement, ses goûts, ses compétences, il revient à chacun de trouver sa voie.

LES QUOTAS QUI ONT FORMATÉ LES EXPLOITATIONS LAITIÈRES depuis trente et un ans ont disparu le 1er avril. Bien que déjà largement amorcée ces dernières années par la libération de volumes, la levée des références administrées augmente les possibilités dans les exploitations, tout en rendant le contexte plus mouvant (volatilité des prix et des charges). Freinés dans le développement de leur atelier lait, obligés, à une époque, de diversifier leurs activités faute de droits à produire suffisants, des éleveurs s'interrogent : dois-je faire plus de lait, plus de céréales, plus de viande, investir dans les énergies renouvelables ou encore dans l'agrotourisme ? La vente directe constitue-t-elle une opportunité ? Ai-je intérêt à déléguer l'élevage de mes génisses pour me concentrer sur mes laitières ?

SE SPÉCIALISER SANS ACCROÎTRE SA DÉPENDANCE EXTÉRIEURE

Se concentrer sur une seule production présente des intérêts en matière de productivité et d'organisation de travail. C'est d'ailleurs une tendance de fond en agriculture des dernières années, parallèlement à l'accroissement des surfaces. Compte tenu des exigences des filières en matière de technicité et de capitaux, il est de plus en plus difficile d'être performant partout. Mais se spécialiser, c'est aussi accroître sa dépendance vis-à-vis de partenaires extérieurs (laiteries, fournisseurs d'aliments...) alors qu'une volatilité croissante des prix du lait est annoncée et que le coût des intrants reste difficile à maîtriser par les éleveurs. Dans certains secteurs, la crise du lait en 2009 marque encore les esprits. « Se spécialiser peut conduire à une meilleure compétitivité, mais ce n'est pas une "assurance tous risques", avertit Michel Debernard, consultant CERFrance (1). Deux conditions fortes doivent être retenues. Il ne faut pas "flamber" en phase d'investissement dans l'outil ; dans ce cas, les prétendues économies d'échelle sont un leurre ! Il faut pouvoir se recentrer véritablement sur la conduite, la maîtrise technique de l'atelier, tout en s'accordant des aides au travail (monitoring bien choisi), car il s'agit d'évoluer dans un confort "mental", tout en limitant les astreintes. La spécialisation donne la possibilité d'investir dans des équipements plus automatisés et de confort pour réduire l'astreinte (traite, distribution d'aliment). Résultat : moins de fatigue et plus de temps disponible pour être avec les animaux ou s'informer à l'extérieur. »

SE DIVERSIFIER POUR AMORTIR LES À-COUPS

Se diversifier, a contrario, peut permettre de mieux amortir les à-coups de revenu liés à la volatilité. « Il y a peu de risques que deux ou trois productions soient "dans le rouge" en même temps, résume Michel Debernard. Cette option par ailleurs offre à chaque associé une part ou la responsabilité pleine et entière d'un centre de profit. »

En période de mauvaise conjoncture dans une filière, il est aussi plus facile de conserver le moral et de faire de nouveaux projets.

Conseillère en système bovin lait et conseil stratégique à la chambre d'agriculture du Rhône, Véronique Bouchard observe que la spécialisation est associée à une notion « d'économie d'échelle », pas toujours démontrable dans les faits (en lait, il y a surtout des effets de palier) alors que la diversification est liée à une « économie de gamme » (notions de complémentarité technique et de lissage de charges de structure). Et de l'illustrer par l'exemple suivant : « Un atelier allaitant permet d'exploiter des surfaces difficiles non exploitables par des vaches laitières, surtout si l'intensification animale est forte. »

SE POSER LES BONNES QUESTIONS

Pour Michel Debernard, s'interroger sur la spécialisation ou la diversification revient à se poser quelques bonnes questions : « Suis-je un animalier-type, un entrepreneur du vivant, un chef d'entreprise agricole ? Quelle est ma posture par rapport à la volatilité ? »

Se spécialiser, c'est renforcer les pics et les creux, en vivant avec l'effet multiplicateur lié à la dimension de l'atelier.

Se diversifier, c'est probablement atténuer ces extrêmes. « Est-ce que j'en décide seul ou en groupe ? Dans ce cas, avons-nous des vues homogènes sur le sujet ou non ? À l'horizon de la génération suivante, ai-je un successeur potentiel ou pas ? Est-ce que je peux considérer qu'une entreprise diversifiée présente plus d'atouts par rapport à un candidat externe potentiel ? Mon plan d'épandage permet-il de développer l'élevage ? À défaut, puis-je trouver un contrat pour exporter des déjections ? Lors de mes absences (week-end, vacances), ça se passera comment ? »

Dans un contexte de tendance lourde de volatilité, un point de réflexion essentiel consiste pour l'éleveur à apprécier la limite entre sa zone de compétitivité et celle de prise de risques. « Ce raisonnement doit s'appuyer sur des bases propres réalistes, telles que le coût de production actuel et post-projet, souligne le consultant du CERFrance. Le seuil de résistance doit être aussi testé. Si l'outil de production n'est pas saturé, on prendra en compte le coût marginal en évaluant les incidences mineures de l'option retenue sur l'organisation et le besoin de travail. Si un développement notable de l'atelier est nécessaire (agrandissement ou construction d'un bâtiment...), alors on raisonnera à partir du prix de revient et du seuil de commercialisation, avec en filigrane la question : suis-je compétitif ? »

Si le choix est de garder une certaine diversification, la prise en compte du marché ciblé est déterminante. « S'agit-il du développement d'une activité déjà en place ou d'une création ? Dans ce cas, il convient d'en apprécier les exigences de conduite, le potentiel de résultat et, in fine, l'effet d'apprentissage. Il faut apprécier la mise de fonds en matière de capitaux, d'investissement en formation et en implication commerciale, ainsi que le volume de travail exigé. »

BOUSCULER LES LIGNES DANS LE CHOIX ENGAGÉ

Dans la réflexion engagée, il ne faut pas hésiter à bousculer les lignes, au lieu de se contenter de prolonger le système en place. « Des éleveurs nord-européens installés en France observent que le producteur français classique veut tout faire sur son exploitation ! Or, quel laitier n'est pas entouré d'un voisin équipé d'un parc matériel l'autorisant à travailler une surface de cultures plus grande ? Pourquoi ne pas imaginer des formes d'alliance entre éleveurs et céréaliers, de type assolement en commun, dès lors que les agriculteurs peuvent étendre les plages de mise en terre et de récolte et dans la mesure où ils évoluent dans des contextes agronomiques de précocité échelonnés ? De même, bien qu'ils ne soient pas nombreux, chaque région abrite un ou plusieurs élevages spécialisés en génisses. Confier l'élevage des jeunes à un éleveur qui s'est professionnalisé dans cette activité peut constituer une opportunité intéressante en libérant des places de bâtiments pour le troupeau adulte ».

Qui dit réflexion ou étude n'implique pas une mise en oeuvre dans l'instant. « Il faut s'autoriser au doute et à effacer une première copie », estime Michel Debernard. Il est intéressant d'aller à la rencontre de ceux qui ont réussi, mais aussi de ceux qui ont renoncé ou échoué, et de s'inspirer des expériences, sans copier pour autant. En quoi mes compétences actuelles ou à acquérir vont-elles me permettre de réussir ? En quoi des limites internes vont-elles accroître la possibilité de verser dans un périmètre de risque, plutôt que dans une zone de performance et de compétitivité ?

LA MAÎTRISE TECHNIQUE NE FAIT PAS TOUT

Si la maîtrise technique est importante dans la réussite d'un projet, elle ne fait pas tout. « La réussite d'une entreprise se fait d'abord sur les dynamiques des hommes, acteurs du projet d'entreprise, constate Véronique Bouchard. Cette dimension est la plus dure à aborder dans notre métier d'accompagnant car elle mêle des aspects personnels et professionnels. C'est un sujet un peu tabou, car en élevage, il y a encore beaucoup de choix qui se font par fidélité familiale, par répétition d'activités, de pratiques, avec des remises en question difficiles. »

L'éleveur peut se faire accompagner dans sa réflexion. « Compte tenu de la diversité des éléments à prendre en compte, il faut faire appel à des compétences multiples. Ces dernières ne peuvent plus se trouver auprès d'un seul interlocuteur, mais dans un pôle de compétences au sein duquel chaque conseiller doit s'intégrer. En Rhône-Alpes, un travail est en cours sur ce sujet. Il s'agit d'accompagner les équipes de conseil en élevage (chambre d'agriculture, Conseil élevage, groupe Agrobio...) par la méthodologie, la formation, l'échange de pratiques, et de les préparer à répondre aux demandes des éleveurs concernant l'évolution stratégique de leur système de production. »

Face à la diversité des systèmes en place en France et des écarts considérables de résultats entre producteurs laitiers d'une même région, il n'y a pas de réponse unique à la question de la spécialisation ou de la diversification. Selon son environnement et ses aspirations, chacun doit trouver la meilleure stratégie. Loin du modèle unique de l'Europe du Nord où les contraintes foncières ont obligé les exploitations à se spécialiser rapidement pour progresser.

(1) Chargé de la veille économique, des relations ressources humaines et responsable de la région Poitou-Charentes.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
journée technique sur la tuberculose bovine

La tuberculose bovine fait frémir les éleveurs bas-normands

Maladies
Thomas Pitrel dans sa prairie de ray-grass

« La prairie multi-espèce a étouffé le ray-grass sauvage »

Herbe

Tapez un ou plusieurs mots-clés...