
La prévision devient un art difficile. Les investisseurs, et notamment les jeunes agriculteurs, doivent jongler avec différentes hypothèses pour sécuriser leur projet.
LES EXPLOITANTS ENDETTÉS, NOTAMMENT LES JEUNES qui démarrent, sont forcément plus vulnérables dans un contexte de volatilité. D'où la nécessité de ne pas se tromper sur le montant de la reprise. On peut l'évaluer de trois manières : en fonction de la valeur patrimoniale, de la capacité de remboursement du repreneur, ou de la rentabilité économique. Mais en réalité, le prix dépend surtout de la somme que l'acheteur est prêt à y mettre !
Il existe un risque de dérapage en cas de concurrence entre différents acheteurs. Le jeune n'a généralement pas les moyens de suivre, mais il peut se sentir contraint de surenchérir pour réaliser son projet. Or, l'élevage laitier est une industrie lourde qui nécessite beaucoup d'investissements, mais dégage une faible rentabilité. Il est donc essentiel de ne pas trop se charger au départ. Cette situation va se durcir dans les prochaines années du fait de la rareté croissante du foncier, et donc de la montée des prix. Les besoins accrus pour les plans d'épandage comme pour la recherche d'autonomie alimentaire pour mieux résister à la volatilité poussent à une pression sur le foncier. Il peut être utile de se faire aider par une personne formée à la négociation. « Nous sommes conscients de la variabilité des revenus que provoque la volatilité des prix », précise Gaëlle Regnard, directrice de l'agriculture au Crédit agricole. Pour soutenir la sécurité financière de nos clients, nous préconisons le recours à l'épargne ou à l'assurance. » Le pôle agriculture et agroalimentaire de cette banque réalise des expertises et des études prospectives sur les filières agricoles et l'agroalimentaire. Le but est d'informer les caisses régionales de la situation des filières et d'apporter un conseil expert à leurs clients.
Mais dans la discussion avec le banquier, ce qui prime, c'est l'exploitation. « Les compétences techniques ne suffisent plus, analyse Baptiste Lelyon, expert en filières animales au Crédit agricole. Les éléments économiques prennent une importance croissante dans notre évaluation des dossiers. » Les banquiers s'intéressent notamment aux contrats de vente signés par l'éleveur. Autrement dit, il faut savoir convaincre la banque de la solidité du projet et de sa capacité à le mener. Car elle prête d'abord à une personne.
SE RENSEIGNER POUR ÊTRE RÉACTIF
Pour les JA, le PDE (plan de développement de l'exploitation) doit être réalisé de manière réaliste. Son objectif n'est pas seulement de faire passer le dossier à la banque. Celle-ci n'a pas intérêt à financer des projets fragiles. Et de toute manière, elle se protège toujours en prenant un maximum de garanties qui coûtent cher à l'emprunteur.
Ceux qui ont besoin d'augmenter leur surface ont intérêt à bien se renseigner pour ne pas passer à côté des opportunités. Cela implique d'étudier le terrain dans la zone où l'on veut acheter. Identifier les exploitants qui arrivent à l'âge de la retraite. Connaître ce qui est dans l'air : création d'infrastructures, de lotissements, de zones industrielles... Il faut aussi parler de son projet à son banquier pour pouvoir être réactif quand une opportunité se présente. Car les affaires peuvent se jouer très vite.
En ce qui concerne le financement, il faut trancher entre plusieurs options. La question du choix entre les taux fixes et variables ne se pose plus, compte tenu du niveau très bas auxquels se trouvent les taux. Et surtout, ce contexte joue clairement en faveur des prêts. Autofinancer aujourd'hui ne présente pas d'intérêt.
CHOISIR SON TYPE DE PRÊT
Les prêts in fine (on ne paie que les intérêts pendant la durée du crédit et on rembourse le capital à la fin, généralement à la vente du bien) ne sont pas conseillés dans un contexte de volatilité. Il s'agit d'une forme de spéculation qui comporte des risques. Car le prix de vente final est difficile à estimer.
Les prêts modulables permettent d'adapter le montant des annuités à la conjoncture. En clair, on peut accélérer le remboursement quand ça va bien et le ralentir en temps de crise. Un outil réel d'adaptation à la volatilité, mais ce service a un coût. Selon Cogédis, mieux vaut constituer une épargne de précaution.
La durée du prêt doit être bien réfléchie. Pour limiter le poids des annuités et garder plus de souplesse dans un contexte de volatilité, on serait tenté d'emprunter sur des durées plus longues. Une stratégie encouragée par les taux bas. Allonger la durée de remboursement permet aussi d'emprunter un peu plus pour mieux s'équiper. Mais attention, la durée du prêt doit être en phase avec celle de l'investissement.
Pour choisir la solution adaptée à sa situation, mieux vaut réaliser des simulations en prenant différentes hypothèses. Le coût du crédit est à apprécier globalement, et pas seulement sur la base du taux d'intérêts. Entre la volatilité des prix et l'augmentation du montant des investissements, liés à l'agrandissement des exploitations et à la hausse du prix du foncier, le niveau de risque augmente. Le Crédit agricole intègre les éléments de volatilité des prix, par exemple en réalisant des moyennes de prix sur cinq ans, pour évaluer les projets. « Nous réalisons aussi des simulations sur la base de scénarios pessimistes : prix bas et réduction des aides Pac », explique Gaëlle Regnard.
La négociation avec le banquier ne doit pas se limiter au niveau des taux. « Il faut lire l'offre de prêt en totalité et porter une attention particulière aux garanties », conseille Guy Lemercier chez Cogédis. Cela implique de prendre du temps, mais c'est nécessaire pour pouvoir choisir et non subir.
À l'avenir, avec l'agrandissement des exploitations, des capitaux extérieurs pourraient arriver dans l'élevage laitier. En effet, les montants des reprises vont augmenter et il deviendra plus difficile de trouver un repreneur. Déjà, on commence à voir des banques, par exemple, qui achètent le foncier, puis le louent à des agriculteurs. Une formule qui permet d'alléger le coût des reprises.
UNE GESTION PROSPECTIVE POUR MIEUX SAISIR LES OPPORTUNITÉS
D'autres intervenants pourraient trouver un intérêt à ce type d'investissement. Mais compte tenu de la faible rentabilité, il est peu probable de voir arriver des investisseurs professionnels. Ce seront plutôt des opérateurs qui ont des intérêts dans la filière, tels les laiteries ou les fabricants d'aliments. Ou encore des Chinois à la recherche de lait. Tout ceci renforce la nécessité de préparer la transmission de son exploitation longtemps à l'avance, au moins cinq ans. Il existe des formules de transmission progressive. Il est possible de créer une société dans laquelle le jeune prendra des parts petit à petit. Il peut aussi venir travailler avec le cédant avant son départ de façon à bénéficier d'une transmission du savoir-faire.
En cours de carrière, les producteurs doivent évaluer régulièrement leur capacité d'investissement pour les cinq ans qui suivent. Celle-ci évolue au gré des remboursements de prêts. La connaître permet de bien identifier les moments où un nouvel emprunt peut être sereinement envisagé.
En y réfléchissant à l'avance, l'éleveur pourra construire tranquillement de nouveaux projets d'investissement ou décider de placer l'argent disponible en épargne de précaution. Cette gestion prospective aide à mieux anticiper les évolutions, mais aussi à mieux saisir les opportunités.
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