
Alterner cultures d'hiver et de printemps, labourer à bon escient, traiter à dose réduite : les éleveurs sont bien placés pour diminuer les phytos.
TOUT LE MONDE A ENCORE EN TÊTE L'AFFICHAGE POLITIQUE d'une réduction des pesticides de 50 %, si possible, en dix ans. C'était en 2008, au lancement du plan Ecophyto, dans la foulée du Grenelle de l'environnement. Cet affichage ambitieux a disparu, mais la volonté de moins utiliser les produits phytosanitaires reste. Il ne faudrait pas que cette baisse s'accompagne d'un recul de la production agricole, l'un des fers de lance de l'économie française. Ce que le ministère de l'Agriculture résume ainsi sur son site en présentant l'actuel plan Ecophyto : « Son principal défi est de diminuer le recours aux produits phytosanitaires, tout en continuant à assurer un niveau de production élevé, tant en quantité qu'en qualité. » Une analyse partagée par les agriculteurs français qui comprennent la nécessité de protéger la santé humaine - à commencer par la leur - et les cours d'eau, tout en préservant leur revenu. Les résultats 2014 de l'étude épidémiologique Agriculture et Cancer (Agrican) sur onze départements confirment que si la population agricole a une meilleure espérance de vie que la population générale, elle développe plus certaines maladies (cancers du sang chez l'homme et la femme, des lèvres chez l'homme, de la peau chez les femmes). Le lien entre pesticides et maladie de Parkinson est aussi reconnu. Celui avec Alzheimer est à l'étude.Quant aux cours d'eau, leur analyse montre la présence de matières actives au-dessus des plafonds fixés (0,1 µg/l pour une matière active, 0,5 µg/l pour le total des substances mesurées). Précision : leur maximum sanitaire est plus élevé.
GLYPHOSATE : SON INTERDICTION N'EST PAS D'ACTUALITÉ
Ainsi, les analyses réalisées en Basse-Normandie en 2011-2012, et publiées en 2014 par l'Agence régionale de santé, décèlent dans les eaux destinées à la consommation trente-trois molécules. La plus détectée est un métabolite de l'atrazine : l'atrazine-déséthyl. L'atrazine est pourtant interdite depuis 2003. Heureusement, sur les 1 545 détections, seules 10 % dépassent 0,1 µg/l. Sa valeur sanitaire maximale, elle, est de 60 µg/l. De plus, son interdiction a largement contribué à améliorer la qualité de l'eau. Les unités de distribution concernées par des dépassements, mais sans restriction d'usage, sont tombées à 2 %, contre 37 % en 2002. « C'est une molécule stable qui se fixe sur la solution du sol », explique Julie Zaneti, chargée en Basse-Normandie du dossier Ecophyto à la chambre d'agriculture de Normandie.
La deuxième molécule détectée à plus de 0,1 µg est un produit de dégradation du glyphosate, l'ampa. Faut-il alors craindre une interdiction de l'herbicide jugé bien pratique ? « Non, répond Ludovic Bonin, d'Arvalis. Sauf retournement de tendance, ce n'est pas d'actualité. Si crainte il y avait, ce serait avec des produits racinaires, tels que les chloroacétamides. »
LA RÉSISTANCE DES RAY-GRASS ET VULPIN
Ce qui préoccupe surtout les agriculteurs aujourd'hui est la résistance des adventices à des familles d'herbicides. De la Picardie au Centre, en passant par la Normandie, un exemple connu est la résistance des ray-grass, vulpin et agrostis aux sulfonylurées dans les maïs et blé. « Elle révèle des pratiques répétitives : même famille de produits utilisés, rotations courtes, etc. », indique Ludovic Bonin.
D'autres bioagresseurs posent des problèmes, comme la rouille jaune virulente sur blé en 2014. La résistance ne concerne pas que les mauvaises herbes. Mettre plus d'agronomie dans les pratiques apparaît logiquement pour éviter des parcelles infestées et, dans le pire des scénarios, des impasses phytosanitaires. Si la réglementation française n'impose pas des objectifs de réduction par exploitation, le plan Ecophyto donne tout de même le ton général. « Il est la traduction française d'une directive européenne sur les pesticides, souligne Julie Zanetti. Chaque pays la décline à sa façon. Ecophyto est essentiellement fondé sur le volontariat. »
L'un de ses axes forts est le lancement du réseau Déphy en 2010. Il repose sur 170 sites expérimentaux et un réseau de 1 900 agriculteurs en grandes cultures et polyculture-élevage. L'analyse des pratiques et des résultats des trois dernières années est attendue en 2015.
PAS DE RECETTES MIRACLES
« Les éleveurs laitiers ont des atouts en main. Leur système intègre déjà des leviers intéressants, estime Jacques Girard, de la chambre d'agriculture du Calvados et animateur d'un groupe Déphy incluant six éleveurs laitiers. Les prairies temporaires dans la rotation, les semis des céréales à la fin octobre après les ensilages de maïs et l'alternance de cultures d'hiver et de printemps sur la parcelle en sont les principaux. »
Pour lui, il n'existe pas de solutions clés en main, ce que reflètent les résultats des six éleveurs. En moyenne, les IFT (indices de fréquence de traitement) totaux 2013 du groupe ont baissé de 26 % depuis le point zéro 2008-2010.
CINQ LEVIERS POUR MOINS D'HERBICIDES
Les indices de fréquence de traitement herbicides ont baissé de 16 % mais les écarts sont importants. Les plus élevés sont observés dans les fermes qui ont supprimé tout labour depuis sept à dix ans. « Le labour est l'un des leviers les plus efficaces pour moins désherber. L'abandonner s'inscrit dans une conduite plus globale. Le souci de gagner du temps et de préserver la matière organique du sol guide les arbitrages. »
1. Semer tard les céréales d'automne : à partir de la fin octobre. C'est ce que pratiquent les éleveurs puisqu'ils sèment juste après les ensilages. « Plus on sème tard, moins il y a de levées de mauvaises herbes sous la pression hivernale. Elles sont donc plus faciles à gérer en hiver et au printemps. » Le processus est le même pour les maladies.
2. Alterner cultures d'hiver et de printemps. Cela évite la spécialisation de la flore sur la parcelle. C'est un bon moyen pour lutter contre le vulpin ou le liseron. Une année sur deux, ils ne peuvent pas lever. Par exemple, introduire un pois protéagineux de printemps dans une rotation colza-blé-orge sera toujours bénéfique.
3. Alterner labour et non-labour. Enfouies en profondeur dans le sol, les graines de mauvaises herbes perdent une grande partie de leur pouvoir germinatif au bout d'un an (folle-avoine, brome), trois à cinq ans (vulpin, ray-grass, gaillet gratteron...), voire sept ans et plus (pâturin annuel, véronique, chénopode, coquelicot, etc.).
Si la durée de vie des adventices présentes dans la parcelle est de plusieurs années, mieux vaut éviter un labour annuel qui fera remonter le stock de graines à la surface et entretiendra l'infestation de la parcelle. Idéalement, réaliser un labour entre deux cultures à période de semis identique. Dans une rotation maïs-blé, cela revient à labourer un an sur deux.
4. Fixer un objectif de rendement réaliste. Certaines adventices telles que le gaillet gratteron « aiment » l'azote. Fertiliser la culture sur la base d'un rendement surestimé contribue à leur expansion.
5. Intervenir tôt à dose réduite. Les mesures agronomiques précédentes visent à maintenir les peuplements d'adventices à niveau faible. Cela permet de baisser les doses d'herbicides, en particulier sur maïs où la lutte chimique en post-levée précoce avec des mélanges à faibles doses est possible. Ils peuvent être précédés ou suivis de lutte mécanique (herse étrille, houe rotative, bineuse).
DES ACTIONS CONTRE LES BIOAGRESSEURS
Choisir des variétés de blé résistantes aux maladies. « L'idéal est de combiner variétés résistantes et mélange de variétés, indique Jacques Girard. Il faut vérifier que la variété reste résistante l'année suivante car il arrive que certaines "craquent". »
Semer moins dense et ne pas doper son objectif de rendement. Ce sont les deux leviers qui limitent le risque de verse du blé et donc l'utilisation d'un raccourcisseur. Dans le second, une fertilisation azotée établie pour un rendement plus élevé que le rendement habituel favorise un couvert végétal plus dense. « Il faut trouver le bon équilibre entre fertilisation azotée, réduction des pesticides et richesse en protéines du blé qui devient un critère de paiement du blé. Pas simple donc. »
C. H.
Ensilage 2025 : Combien vaut un hectare de maïs sur pied ?
« Ensiler 38 ha de maïs, c’est rentrer l’équivalent de 75 000 € de stock »
L’Europe cède sa place à l’Amérique du Sud sur le marché des broutards au Maghreb
Au Gaec Heurtin, l’ensilage de maïs 2025 déçoit avec seulement 9 t/ha
John Deere, Claas, made in France… À Innov-Agri, il pleut aussi des nouveautés
« Pas d’agriculture sans rentabilité ! », rappelle la FNSEA
La « loi Duplomb » est officiellement promulguée
Quelle évolution du prix des terres 2024 en Provence-Alpes-Côte d’Azur ?
Quelle évolution du prix des terres en Bretagne en 2024 ?
Facturation électronique : ce qui va changer pour vous dès 2026