GAZ À EFFET DE SERRE : ÊTRE OFFENSIF PLUTÔT QUE SUBIR

En France, le stockage du carbone dans les prairies compense 25 à 30 % des gaz à effet de serre émis par les bovins. Cette contribution n'est pas prise en compte dans le calcul des émissions. Heureusement, les mentalités évoluent.© STÉPHANE LEITENBERGE
En France, le stockage du carbone dans les prairies compense 25 à 30 % des gaz à effet de serre émis par les bovins. Cette contribution n'est pas prise en compte dans le calcul des émissions. Heureusement, les mentalités évoluent.© STÉPHANE LEITENBERGE (©)

Le secteur de l'élevage n'est pas touché par des obligations réglementaires. Il préfère malgré tout anticiper pour ne pas vivre de nouveau un scénario « à la directive nitrates ».

LE 24 OCTOBRE, LES VINGT-HUIT ÉTATS MEMBRES SE SONT MIS D'ACCORD pour réduire d'au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) en Europe d'ici à 2030 par rapport à 1990. Le précédent accord de 2008 fixait leur réduction à 20 %.

Quel est le poids du secteur agricole dans les émissions de GES ? En France, avec 21 %, il est en troisième position derrière les transports et l'industrie. La part de l'élevage bovin est estimée à 12 %.

Faut-il craindre un scénario façon « directive nitrates » avec un cahier des charges précis et des contrôles ? « Non, répond Philippe Touchais, chargé de mission climat énergie pour les chambres d'agriculture. Il n'y a pas aujourd'hui d'objectifs européens de réduction demandés à l'agriculture. On lui reconnaît son rôle spécifique de sécurité alimentaire envers la population. De plus, même si la recherche avance, il y a encore beaucoup d'incertitudes dans l'estimation de ses émissions. L'Europe se donne jusqu'en 2020 pour trancher sur la façon de l'aborder », dit-il.

Concrètement en France, cela se traduit par des comptabilisations d'émissions réalisées par le centre Citepa, qui ne sont pas prises en compte dans les inventaires officiels, repris au niveau international. « La méthode d'estimation a encore beaucoup de faiblesses, avance Sophie Bertrand, du Cniel. Pour les exploitations laitières, la première d'entre elles est la non-prise en compte du stockage du carbone par les prairies. De même, si des progrès sont obtenus par les éleveurs sur leurs exploitations, le Citepa n'est pas en mesure de les enregistrer. »

ÊTRE FORCE DE PROPOSITIONS

Même si les obligations réglementaires ne touchent pas le secteur agricole, la filière laitière a choisi de prendre les choses en main. Objectif : montrer qu'elle est active dans la lutte contre le réchauffement climatique sachant que sa contribution aux émissions agricoles est forte : selon l'Inra, 40 % d'entre elles proviennent de la fermentation ruminale (méthane). « Cette attitude est globalement adoptée par la Fédération internationale laitière, mais nous avons aussi à faire valoir notre modèle français de fermes mixtes lait + viande ou lait + céréales, qui est plus complexe que les spécialisées lait. Cela conditionne les affectations des GES entre les différents produits », souligne Sophie Bertrand. Si toute la filière laitière se sent concernée, c'est que l'empreinte carbone d'un produit laitier est attribuée à 80-90 % à l'élevage.

Cette stratégie commence très en amont par une participation aux groupes de travail qui définissent les méthodologies de calcul des émissions. D'abord, à Rome, au niveau de la Fao. On se souvient du titre choc de son rapport en 2006 : « L'ombre portée de l'élevage ». Son nouveau rapport en 2013 : « Lutter contre le réchauffement climatique grâce à l'élevage » donne une tonalité plus positive. Elle y détaille le poids du lait et de la viande bovine dans chaque grande zone continentale. L'Europe de l'Ouest y apparaît bien placée globalement et ramené au kilo de lait et de viande. Surtout, même si le stockage de carbone par les prairies n'est pas déduit des émissions bovines, la Fao le reconnaît. « Le stockage du carbone par les prairies, la biodiversité, etc., l'élevage laitier a des atouts à faire valoir», dit Sophie Bertand

Les travaux de l'Inra et l'Institut de l'élevage (Idele) alimentent la stratégie de propositions de la filière laitière française. « Les leviers de réduction des émissions sont identifiés. Ils peuvent conduire à une atténuation de 15 à 25 %. Il est temps de faire un transfert de connaissances vers les producteurs. »

3 900 ÉLEVEURS POUR RÉDUIRE LEURS ÉMISSIONS DE 20 %

C'est le but assigné au plan français Life Carbon Dairy 2013-2018, piloté par Idele en partenariat avec les chambres d'agriculture et les Ocel. Un réseau de 60 fermes pilotes vient d'être finalisé. Celui de 3 900 fermes de démonstration se constitue. Elles sont bas-normandes, bretonnes, ligériennes, lorraines, du Pas-de-Calais et de Rhône-Alpes. Dans leur ligne de mire : une baisse de leur empreinte carbone de 20 % en dix ans. « Lors du sommet mondial Paris Climat en octobre prochain, la France voudra faire figure de bonne élève. Le secteur laitier répondra présent grâce à Life Carbon Dairy. »

Avec une bonne nouvelle : une exploitation économiquement efficace émet moins. À partir de l'analyse des fermes des réseaux d'élevage, Idele fait le lien entre coûts de production et empreinte carbone. L'optimisation de la fertilisation azotée et des apports de concentrés, le pâturage et l'ajout de légumineuses dans les prairies concourent à baisser la consommation d'intrants.

LE MÉTHANE PÈSE POUR 50 % DES ÉMISSIONS LAITIÈRES

Le méthane a un pouvoir de réchauffement climatique puissant. Converti en équivalent carbone, 1 kg de CH4 correspond à 25 kg de CO2. En exploitation laitière, on comprend pourquoi il pèse pour la moitié des émissions de GES. La première réaction est d'envisager des actions pour sa réduction. Dans les faits, ce n'est pas si simple. « Le méthane rejeté par les vaches traduit un excès d'hydrogène dans le rumen issu de la dégradation des glucides. Des micro-organismes sont capables de le capter et le transforment en CH4, explique Michel Doreau, de l'Inra de Clermont-Ferrand. Pour limiter ce processus, il faut soit diminuer l'hydrogène dans le rumen (premier scénario), soit le dériver vers une autre utilisation (deuxième scénario). »

Les deux pistes présentées ci-après montrent que les marges de manoeuvre sont faibles : elles ont un champ d'action limité ou... surprenant.

- Graines de lin extrudées (premier scénario) : l'Inra juge efficace une ration totale composée d'un maximum de 4 % de lipides insaturés, sans baisse des performances laitières. « Les lipides insaturés inhibent les micro-organismes fermentaires du rumen, ce qui diminue la production d'hydrogène, commente Michel Doreau. Avec les graines de lin extrudées, on obtient une baisse durable de 10 à 15 % (en g de CH4 par litre). » Le principal obstacle réside dans leur disponibilité limitée sur le marché, avec un surcoût à la clé. « Une autre solution serait de recourir aux graines de colza, mais selon un essai, après un an de distribution, il n'a plus d'effet sur le méthane. »

- Poudre de nitrates de calcium (second scénario) : « Cet additif, qui capte l'hydrogène produit, peut heurter les consommateurs, mais en tant que chercheurs, nous ne pouvons pas l'écarter. » L'ajout de 1 % de nitrates dans la ration totale diminue de 10 % la production de méthane entérique sans affecter les performances laitières. Il remplace l'urée ou une partie des correcteurs azotés.

« Un surdosage peut être toxique pour l'animal. Son incorporation dans les concentrés doit être donc réalisée par les fabricants d'aliments. La poudre de nitrates n'a pas, aujourd'hui, d'autorisation de mise en marché en France », déclare Michel Doreau.

- Identifier les rations moins émettrices : le programme Phénofinlait a collecté 300 000 données individuelles réparties en quinze rations.

« À partir d'une équation mathématique qui fait le lien entre alimentation et rejets de méthane, nous allons établir un classement par type de ration. Ce travail devrait être achevé au printemps 2015, indique Benoît Rouillé, de l'Institut de l'élevage. Il sera fait par vache, par litre de lait et par kilo de matière sèche ingérée. »

- Réduire... et le prouver. Pour aller plus loin, un consortium de recherche comprenant l'Inra, l'Idele et huit entreprises vient d'être créé. Son objectif : mettre au point des indicateurs d'émissions plus fiables et précis que l'existant et pour une large palette de rations. Cela passe par des mesures en conditions réelles sur l'animal. « Par analyse infrarouge, on peut prédire les émissions de méthane à partir des acides gras polyinsaturés du lait, mais cela ne fonctionne pas pour toutes les rations. Il faut donc continuer, explique Michel Doreau. Nous voulons aussi être prospectifs par la recherche d'autres marqueurs du méthane. »

L'enjeu est de mesurer les baisses obtenues par des modifications alimentaires et de les comptabiliser dans les inventaires nationaux (voir le début de l'article).

« Nous espérons aussi déterminer si l'énergie fournie par la ration est utilisée de façon efficace », complète Benoît Rouillé. Pour lui, des progrès seront plus facilement obtenus via l'azote que le méthane.

DÉJECTIONS : LE PROTOXYDE D'AZOTE RESPONSABLE

L'impact des vaches laitières sur le climat concerne aussi le protoxyde d'azote (N2O) en bâtiment, au pâturage, au stockage et à l'épandage des déjections. « L'azote alimentaire non fixé par l'animal est rejeté principalement par voie urinaire sous forme d'urée, qui est instable. Elle se volatilise facilement en ammoniac et donne lieu à des émissions de protoxyde d'azote », décrypte Philippe Faverdin, de l'Inra de Saint-Gilles (Ille-et-Vilaine). Il a un pouvoir de réchauffement climatique très important : 1 kg de N2O équivaut à 298 kg de CO2.

- Ajuster les apports protéiques. En s'attaquant à la source des émissions, c'est-à-dire l'excrétion urinaire, on peut espérer logiquement les abaisser. Cela revient à travailler sur l'efficacité protéique des rations hivernales à base de maïs ensilage. « On a tendance à les sécuriser par des niveaux en azote dégradable plus élevés que les besoins. Diminuer les apports protéiques par un meilleur ajustement réduira l'azote excrété... et économisera du concentré azoté. » Les résultats de deux expérimentations sur des vaches en milieu de lactation, à la station de Méjusseaume (Ille-et-Vilaine), confirment cette analyse.

La première montre qu'en diminuant de 10 g/kg de MS la teneur en azote dégradable (PDIN), on abaisse l'urée excrétée de... 42 %, sans affecter les performances. « L'urée est recyclée. » En parallèle, les vaches ont reçu moins de protéines digestibles dans l'intestin (PDIE) grâce à une alimentation de précision. « Elles ont produit 1,7 kg/j de lait en moins, mais elles ont gagné 10 % d'efficience protéique par rapport à celles alimentée avec un niveau de PDIE recommandé. Elles ont aussi moins excrété d'urée. »

L'autre expérimentation fait le lien avec les émissions d'ammoniac. Elle teste deux niveaux azotés : 18 et 12 % de matière azotée totale. « Dans le second cas, les émissions d'ammoniac sont réduites de trois à quatre fois pour une baisse de production contenue, là aussi, à 1,5 kg/j de lait. » Une baisse qui, pour lui, peut être compensée par une à deux vaches supplémentaires. Le taux d'urée dans le lait pourrait être l'indicateur de suivi des progrès, là aussi pour une comptabilisation dans les inventaires nationaux.

- Mieux gérer les déjections. La mesure la plus immédiate est de proscrire l'épandage du lisier avec une buse-palette. Les pertes en azote total sont estimées entre 10 et 40 %. Mieux vaut s'équiper d'un épandeur à rampe à pendillards ou injecteurs (voir n° 219, p. 62).

LE RÔLE MAJEUR DES PRAIRIES

L'élevage bovin a la chance de stocker du carbone surtout via les prairies. Selon Idele, ce stockage permet une compensation de 25 à 30 % des GES bovins nationaux, qui n'est pas encore comptabilisée. « Le suivi de 29 sites européens établit que 1 ha de prairie stocke 700 kg/an de carbone », indique Katja Klumpp, de l'Inra de Clermont-Ferrand. Cette moyenne européenne intègre les prairies temporaires et permanentes, avec des exploitations (fertilisation, fauche ou non, chargement) et conditions météos variées. « De ce fait, on constate des écarts de plus ou moins 130 kg/ha de CO2 . » Bref, les prairies sont un trésor à valoriser. Elle propose quatre leviers. Le premier : allonger de vingt jours la période de pâturage en débutant plus tôt et en rentrant les vaches plus tard. Le deuxième : laisser en place cinq ans la prairie temporaire pour prolonger la phase de stockage du carbone. Le troisième : réduire de 10 à 30 % la fertilisation azotée, selon les cas. « Des prairies sont fertilisées jusqu'à 300 U/ha. À ce niveau, cela a peu d'impact sur la production d'herbe. » Dernier levier : introduire au moins 15 à 20 % de légumineuses pour 15 à 35 kg/ha d'azote minéral en moins.

CLAIRE HUE

L'élevage pèse dans l'empreinte carbone des produits laitiers. Lui et son amont en assument 80 à 90 %, contre 10 à 20 % pour la transformation.

© CLAUDIUS THIRIET

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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