UNE ÉVENTUALITÉ À NE PAS NÉGLIGER EN AGRICULTURE

« La formation d'un couple ne peut être considérée sans que soit envisagée une éventuelle séparation. » Alice Barthez, sociologue© GONZAGUE DEFOIS
« La formation d'un couple ne peut être considérée sans que soit envisagée une éventuelle séparation. » Alice Barthez, sociologue© GONZAGUE DEFOIS (©)

Les cas de divorce sont de plus en plus nombreux dans le milieu agricole. En élevage, ils prennent une dimension encore plus complexe alors que lieux de vie et de travail ne font qu'un.

EN FRANCE, UN MARIAGE SUR DEUX SE TERMINE PAR UN DIVORCE. La loi du 26 mai 2004, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, a modifié le droit du divorce en prévoyant quatre cas limitatifs de rupture. L'esprit de cette réforme a été de pacifier, simplifier et accélérer les procédures en facilitant le consentement des époux.

« Nous assistons à une banalisation du divorce dans la mesure où le mariage lui-même n'est plus la seule façon reconnue de se mettre en couple. Ainsi, le divorce est plus acceptable qu'il y a cinquante ans », constate Alice Barthez, sociologue, qui travaille sur les relations au sein de la famille et des exploitations agricoles. « Ceci est à mettre en lien avec l'individualisme. Il y a trente ans, la famille était considérée comme une unité indivise. Aujourd'hui, l'individualisme est entré dans l'univers familial. Les projets personnels sont devenus prioritaires sur la formation du couple. »

LE MILIEU AGRICOLE N'EST PAS ÉPARGNÉ

Longtemps épargnée, l'agriculture connaît un nombre croissant de ruptures conjugales. Un divorce n'est facile pour personne mais, en agriculture, il prend une tournure encore plus complexe et lourde de conséquences. « En effet, il est porteur de ruptures multiples et douloureuses qui touchent la vie familiale et professionnelle. Une famille d'éleveurs est proche de son élevage, ce qui lui confère un rythme et un cadre de vie particuliers. Le mariage comporte souvent une fonction patrimoniale directement liée à l'activité agricole. De plus, si le couple participe aux travaux d'élevage, le divorce ne se limite pas à la rupture affective. Il implique une séparation dans la profession et le cadre de vie, et il exige un partage des biens liés au régime matrimonial », explique-t-elle.

Il y a quelques années, à la question de chercheurs de l'Ined (Institut national des études démographiques) sur les raisons d'une moindre prévalence des divorces dans le monde agricole, Alice Barthez répondit par la voix d'un groupe d'agricultrices bretonnes : « Pour nous, le divorce équivaut à un licenciement. »

Celui qui part risque de se retrouver dans une situation précaire. Celui qui reste sur l'élevage va garder la maison. La pression sociale et familiale peut être importante. Des sentiments se mélangent. Celui qui a oeuvré sur l'exploitation peut se sentir lésé.

LA MISE EN PÉRIL DE L'EXPLOITATION

Dans la mesure où persiste cette fusion entre la famille et la profession, une rupture familiale signifie également une atteinte parfois grave de l'équilibre professionnel. L'élevage peut se trouver en difficultés économiques du fait de la séparation du couple.

Le départ de l'un des conjoints entraîne une réorganisation du travail, soit avec des coûts de main-d'oeuvre importants, soit avec une surcharge de travail qui, en définitive, aura une incidence négative sur les résultats économiques. Le couple marié sous le régime de la communauté légale, la ferme étant un bien commun, s'expose à devoir la partager par moitié de sa valeur en cas de divorce, y compris lorsqu'un seul des conjoints exerce l'activité agricole.

RÉFLÉCHIR AU RÉGIME MATRIMONIAL LE PLUS ADAPTÉ

En cas d'identité entre les biens de la communauté matrimoniale et l'entreprise agricole, les compensations financières dues entre époux, prestations compensatoires et pensions alimentaires pour les enfants vont affaiblir les capacités financières de l'exploitation.

Alice Barthez poursuit : « La formation d'un couple ne peut plus être envisagée sans une éventuelle séparation. » Les deux époux travaillent-ils sur la ferme ? Quelles sont leurs contributions respectives ? Sont-ils juridiquement associés ? Quels sont leurs apports en capital ? « Une telle lucidité peut permettre d'envisager la séparation non comme un effondrement total, mais comme une réorganisation en perspective de la vie de chacun. La clairvoyance n'empêche pas l'expression de sentiments, elle permet de les protéger et de les rendre durables. »

Quand on se marie en agriculture, il faut s'interroger sur le régime matrimonial le mieux adapté. Cette vigilance est nécessaire dans la mesure où l'entreprise agricole est le plus souvent fondée sur l'existence d'un patrimoine familial. Ensuite se pose la question du statut de chacun. Les sociétés (Gaec, EARL...) permettent de distinguer la famille de la profession, et de clarifier les situations en cas de difficultés.

Le régime de séparation de biens semble a priori approprié car protecteur des acquis de chacun des époux pendant le mariage, notamment s'ils exercent des professions différentes et que l'un rencontre des difficultés dans son entreprise.

« Mais encore faut-il savoir comment vivre au quotidien selon un tel régime, alerte la sociologue. Puisqu'il ne comporte aucune communauté de biens, il est important que les époux définissent ce qu'ils considèrent comme appartenant au couple et ce qui reste la propriété de chacun. »

Comment les époux contribuent-ils aux charges du ménage sur la base de leurs revenus respectifs ? En situation de séparation de biens, l'absence de réflexion préalable peut avoir des conséquences dommageables. En effet, si l'épouse, par exemple, consacre son salaire aux dépenses de la vie domestique tandis que son mari investit dans son entreprise en bien propre, l'inégalité de patrimoine au sein du couple risque de se creuser dangereusement. Car, l'épouse est dépourvue de toute capitalisation pour elle-même, contrairement à son conjoint qui, ainsi libéré des dépenses du ménage, peut se livrer à une accumulation productive d'autant plus importante. En cas de divorce, l'épouse se retrouve sans patrimoine personnel.

L'objectif n'est pas forcément de changer de régime matrimonial, mais d'appréhender la gestion de cette communauté de vie qui inclut au préalable une séparation de biens.

« La formation d'un couple ne peut être considérée sans que soit envisagée une éventuelle séparation. » Alice Barthez, sociologue

© GONZAGUE DEFOIS

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