DE GRANDES AMBITIONS POUR LES GRANDES UNITÉS

La majorité des installations actuelles en méthanisation agricole sont dans la gamme de 150 à 300 kW électriques, des puissances accessibles à des élevages de grande taille capables de mobiliser 20 tonnes par jour de matières méthanisables.
La majorité des installations actuelles en méthanisation agricole sont dans la gamme de 150 à 300 kW électriques, des puissances accessibles à des élevages de grande taille capables de mobiliser 20 tonnes par jour de matières méthanisables. (©)

Un objectif de 1 000 méthaniseurs en 2020, soit sept fois plus qu'aujourd'hui. Pourquoi pas, mais le modèle français s'oriente sur de fortes puissances difficiles à gérer pour un éleveur laitier seul.

AVEC LA MISE EN OEUVRE DU GRENELLE DE L'ENVIRONNEMENT, la France a pris l'engagement de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. La loi inscrit aussi un objectif pour 2020 de 23 % d'énergie renouvelable dans la consommation totale d'énergie finale. Dans ce cadre, il est prévu d'atteindre 1 000 méthaniseurs à la ferme en 2020. L'an passé, le gouvernement a présenté son plan Énergie méthanisation autonomie azote (Emaa) afin d'accélérer ce développement, tout en permettant une meilleure gestion de l'azote sur les territoires : plus d'azote organique issu de la méthanisation (le digestat), moins d'engrais minéral. À ce jour, l'Ademe (l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie qui octroie les aides) a recensé en France 140 sites de méthanisation à la ferme (dont 57 sites dans le grand Ouest), bien loin de l'Allemagne et ses quelque 7 900 méthaniseurs agricoles. Depuis la revalorisation des tarifs d'achat de l'électricité en 2011, la dynamique s'amorce avec plusieurs projets en cours, notamment dans l'Ouest. Mais les contraintes administratives et les choix politiques freinent toujours les projets modestes.

TARIFS ET SUBVENTIONS

Le soutien de la filière biogaz repose sur deux volets : un tarif d'achat garanti sur quinze ans (voir encadré p. 34) et des aides à l'investissement initial, sans lesquelles il n'y aurait aucune rentabilité (Ademe, collectivités territoriales, Feder, etc.). Selon la taille de l'unité, elles représentent 20 % à 40 % des coûts d'investissement. L'objectif affiché du ministère de l'Agriculture est de favoriser « les installations collectives dans une gamme de puissance électrique comprise entre 150 et 500 kilowatts électriques (kWe) ». Un dogmatisme à la française qui pénalise à coup sûr le développement d'une véritable filière méthanisation accessible au plus grand nombre d'éleveurs. La grande majorité des projets valorisent l'énergie primaire du biogaz par cogénération : production d'électricité (moteur qui entraîne une génératrice) et de chaleur (prélevée sur le système de refroidissement du bloc-moteur). Depuis 2011, il est possible également d'injecter du biogaz purifié en méthane dans les réseaux de GrDF et de GRT selon une tarification particulière.

LES DIFFÉRENTES TECHNIQUES

La méthanisation est un procédé biologique naturel de dégradation de la matière organique par des bactéries, en l'absence d'oxygène. Elle produit un biogaz, composé de méthane (50 % à 70 %) et de dioxyde de carbone. Après la fermentation, on obtient un digestat utilisé comme fertilisant dans un plan d'épandage. Les matières organiques méthanisables, appelées substrats, sont les effluents d'élevage et divers déchets (résidus agricoles ou d'industries agroalimentaires). Il existe plusieurs techniques de méthanisation. La plus courante aujourd'hui est la voie liquide en infiniment mélangé. Il s'agit d'une cuve cylindrique (le plus souvent en béton), dans laquelle les matières en fermentation, brassées et chauffées à 38°C, sont sous forme liquide. Avec la contrainte que le mélange des produits entrant dans le digesteur ne dépasse pas 18 % de MS. Il existe des variantes à cette technique. Le système Bert-Bio4Gaz, avec un effet de thermosiphon, permet de se passer d'un brassage mécanique (voir p. 52). Un autre principe consiste à isoler dans une précuve, en amont du digesteur, la première phase de la fermentation : l'hydrolyse. Cette méthode limite le risque de blocage par acidose, simplifie l'incorporation de nouveaux intrants et facilite la digestion de produits fibreux. Pour les éleveurs qui disposent d'un mélange de substrats supérieur à 18 % de MS (effluents dominés par les fumiers), la voie sèche en discontinu commence à se développer en France (voir p. 41). Plusieurs digesteurs (au moins quatre) sont disposés en parallèle (couloirs, garages, conteneurs). Fermés hermétiquement, isolés et chauffés, ils reçoivent alternativement les matières et un jus de percolation qui permet d'amorcer les fermentations. Celles-ci terminées, le premier digesteur est déchargé puis rechargé pour un nouveau cycle. La voie sèche en discontinu apparaît biologiquement plus souple, par rapport à la qualité du substrat (moins de risques liés à la sédimentation ou aux matières indésirables), mais avec plus de matières organiques dans chaque digesteur, elle demande aussi une conduite assez fine. Elle conviendrait mieux aux systèmes avec pâturage qui n'ont pas un mélange homogène tout au long de l'année. En contrepartie, charger et vider toutes les semaines est exigeant en main-d'oeuvre et le rapport investissement/kWe produit est aujourd'hui supérieur à la voie liquide.

L'ÉLEVAGE LAITIER UNE FILIÈRE ADAPTÉE

Les élevages laitiers disposent d'effluents avec un pouvoir méthanogène modeste (mais supérieur au lisier de porc) et des surfaces souvent suffisantes pour valoriser le digestat. Les exploitations laitières seraient impliquées dans plus de la moitié des installations de méthanisation agricole recensées (sources : Cniel, Institut de l'élevage). Mais les exploitations laitières spécialisées buttent souvent sur la question de la valorisation de la chaleur (par la cogénération, entre 35 % et 40 % de l'énergie primaire est transformée en électricité, 40 % à 50 % en chaleur - eau chaude à 80 °C -, le reste est perdu). Contrairement à l'Allemagne, la tarification française ne permet pas de se passer de la prime à l'efficacité énergétique. À la différence des ateliers hors sol qui ont des bâtiments à chauffer, l'élevage laitier est peu consommateur de chaleur. Alors, plusieurs pistes sont possibles : réseau de chaleurs pour chauffage d'habitation ou de bâtiments collectifs (piscine, école, etc.), séchage de fourrage, de bois, de digestat, etc. Les projets doivent s'adapter au cas par cas selon le contexte territorial. Ils peuvent générer des investissements importants et l'efficacité économique n'est pas toujours au rendez-vous, sans compter l'impact sur la charge de travail. Plusieurs expériences de valorisation de la chaleur rapporteraient peu ou rien, et ne servent qu'à décrocher la prime du tarif d'électricité.

Une unité de méthanisation impose un travail d'astreinte qui s'ajoute à celui de l'élevage. Les éleveurs l'évaluent dans une fourchette de trente minutes à une heure par jour (pour la voie liquide), selon le degré d'automatisation de l'unité. Il faut y ajouter les opérations de maintenance régulières.

La majorité des installations actuelles en méthanisation agricole sont dans la gamme de 150 à 300 kW électriques, des puissances accessibles à des élevages de grande taille capables de mobiliser 20 tonnes par jour de matières méthanisables. Il faut noter que la tarification est moins favorable aux petites installations inférieures à 100 kWe. Celles-ci sont pénalisées également par un coût d'investissement au kW installé plus élevé : 9 000 à 12 000 €/kW contre 5 500-6 500 €/kW pour une installation de 300 kWe. Mais le dimensionnement tient compte avant tout de la disponibilité des substrats organiques (codigestion ou pas) et de leur pouvoir méthanogène. Ces éléments (usage difficile de la chaleur et puissance minimum) conduisent souvent les éleveurs laitiers à s'inscrire dans des projets collectifs. Demain, de nouvelles technologies, une standardisation des procédés, voire des unités low-cost, pourraient redonner de la rentabilité à la petite méthanisation à la ferme (moins de 60 kWe) qui souffre aujourd'hui pour trouver son modèle économique.

L'Ademe a lancé tout récemment un appel à projet innovant pour des unités de méthanisation à la ferme inférieures à 75 kWe. Est-ce le signe d'un changement de politique à venir ?

La faisabilité économique d'un projet de cogénération s'évalue avec les recettes de vente d'électricité (0,12 à 0,20 €/kWh) et de vente ou d'économie de chaleur (25 à 50 €/MWh). Les économies d'engrais minéraux et les redevances de traitements de déchets sont plus aléatoires. Il faut soustraire les dépenses pour la consommation électrique (7 % de l'énergie produite), le coût de la maintenance et de l'entretien, le transport des intrants, la production de cultures dédiées, et le coût de la main-d'oeuvre nécessaire. L'objectif est d'atteindre un retour sur investissement inférieur à dix ans.

DIVERSIFIER AVEC LA CODIGESTION

La méthanisation à la ferme consiste à valoriser d'abord les effluents d'élevage : fumier, lisier. Si ces substrats sont indispensables pour leurs apports en bactéries nécessaires à la digestion, leur potentiel méthanogène est assez faible, il peut même s'affaiblir rapidement (voir encadré). D'où l'intérêt parfois d'aller chercher des cosubstrats hors de l'exploitation. Cette codigestion doit permettre d'optimiser la production de biogaz, donc la vente d'énergie. La liste de ces substrats exogènes est longue. Ils sont issus de l'industrie agroalimentaire ou des collectivités : céréales, abattoirs, tontes de pelouse, déchets de légumes, etc. Attention, toutes les installations ne sont pas autorisées à traiter ces déchets. Le régime ICPE impose des seuils. À moins de 30 t/jour de matière végétale brute ou d'effluents, l'installation est soumise à une simple déclaration. Au-delà de 50 t/jour de déchets végétaux et pour tous les autres déchets non dangereux, c'est la procédure d'autorisation qui s'applique. Entre les deux, un dossier d'enregistrement suffit. Tous les déchets n'ont pas le même potentiel méthanogène et leur disponibilité est parfois très saisonnière. Un apport mal proportionné dans le digesteur peut aussi déstabiliser la flore bactérienne. Comme pour un ruminant auquel on modifie brusquement la ration.

L'éleveur doit aussi être vigilant sur la qualité de ces produits : absence de matières inertes ou d'inhibiteurs. Enfin, la codigestion entraîne un flux d'azote et de phosphore supplémentaire dans un volume de digestat augmenté qu'il faudra gérer dans le plan d'épandage. L'éleveur doit également s'assurer de l'équilibre économique entre les recettes en énergie permises par le cosubstrat et le coût de fonctionnement du site de méthanisation. Certes, le traitement de déchets fait l'objet d'une redevance qui peut conforter le modèle économique de l'unité de méthanisation. Mais le marché des prestations de traitement des matières organiques apparaît souvent opaque aux éleveurs. La compétition avec les entreprises spécialisées dans le traitement et l'augmentation du nombre de méthaniseurs sur un même territoire font que les substrats très méthanogènes sont de plus en plus convoités. Cela peut entraîner une baisse des redevances de traitement, voire une pénurie de matières. Il est de plus en plus difficile aujourd'hui d'obtenir un contrat d'approvisionnement sur plusieurs années capable de sécuriser la codigestion.

LES CIVE POUR PLUS D'AUTONOMIE

Il n'est pas interdit de réserver une partie de la SAU pour des cultures énergétiques dédiées (comme le maïs). Mais contrairement à l'Allemagne, cette pratique est assez peu rentable. En outre, les subventions ne sont parfois accordées qu'en dessous d'un seuil qui varie de 4 % à 8 % de la SAU. Tout autre sont les cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). Elles ont une vocation triple : produire une ressource fortement méthanogène qui sécurisera l'approvisionnement et garantira une autonomie à l'unité ; ne pas concurrencer les cultures alimentaires, donc mobiliser le sol hors des périodes de cultures habituelles ; avoir un intérêt agronomique en participant à la couverture des sols, donc à la vie biologique et à la prévention de l'érosion. En outre, les Cive sont une ressource stockable sous forme d'ensilage, facile à mobiliser, qui apporte à l'éleveur de la souplesse dans l'approvisionnement, par exemple pour parer à un imprévu sur les co-substrats. Elles ont aussi l'avantage de stabiliser la biologie anaérobie du digesteur du fait de leur dégradation progressive et de leur pouvoir tampon. Le potentiel méthanogène est variable selon les cultures (45 à 55 Nm3 CH4/tonne brute). Les Cive d'hiver sont les plus pratiquées, récoltées immatures d'avril à juin, leur rendement est moins tributaire du climat, mais attention à ne pas pénaliser la réserve hydrique pour la culture suivante. Les éleveurs méthaniseurs recherchent des espèces rustiques qui couvrent bien le sol avec de gros rendements en biomasse. Le seigle de Hongrie donnerait de bons résultats. Les Cive d'été sont implantées en juin pour une récolte avant les premières gelées. Leur rendement potentiel est plus élevé (12 t de MS/ha), à condition d'avoir suffisamment de ressource en eau et de chaleur. Le sorgho offre un excellent potentiel en méthane. Il est souvent associé à un tournesol qui pousse rapidement et couvre le sol. Pour être rentable, le rendement d'une Cive doit dépasser les 4 t de MS/ha (seuil où la vente d'électricité compense les charges de la culture). La fertilisation est donc indispensable (50 à 70 N/ha), elle peut se faire avec le digestat et ainsi donner lieu à des échanges gagnant-gagnant Cive-digestat avec un voisin proche. La culture d'une Cive n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît pour atteindre le rendement souhaité sans pénaliser les cultures suivantes. Elle nécessite souvent une implantation précoce et rapide, avec un travail du sol simplifié, mais surtout une récolte au bon stade avec un hachage fin pour obtenir un maximum de rendement en méthane.

LE DIGESTAT, UN FERTILISANT À VALORISER

Après trente à quarante jours de fermentations anaérobies, le digestat est le sous-produit de la méthanisation. Sa valeur fertilisante (NPK) n'est pas dégradée par rapport aux substrats d'origine et sa vocation est un retour au sol en tant que fertilisant avec, si possible, l'objectif de réduire la facture des engrais chimiques. Contenant de l'eau, des minéraux et de la matière organique non dégradée, il possède cependant des caractéristiques un peu différentes d'un effluent d'élevage. Il est souvent plus liquide, sans odeur et d'un pH plus basique. Sa composition dépend essentiellement des substrats qui ont composé la ration du digesteur avec plus ou moins de déchets en codigestion. Mais la proportion d'ammoniaque (NH4) est plus importante, souvent supérieure à 60 % de l'azote total. La volatilité de l'ammoniaque est donc un risque important surtout en été. Elle impose d'adapter les dates d'épandage et d'investir dans du matériel adéquat : fosse de stockage couverte, pendillard, enfouisseurs. Les premiers essais au champ sur l'efficacité de l'azote sont très variables selon la date et la modalité de l'apport.

Une enquête auprès de dix-sept installations de méthanisation conduite par l'AAMF(1) montre aussi une forte augmentation de volume à épandre par rapport au volume d'effluents de l'élevage (+ 50 à + 100 %). En cause, les cosubstrats extérieurs traités dans l'unité de méthanisation. Cela demande davantage de stockage et de surfaces d'épandage et une optimisation qui passe par l'achat de matériel plus grand, plus performant ou l'appel à des prestations de service (ETA). Le coût supplémentaire n'est pas négligeable.

Le digestat peut subir un traitement, le plus simple est la séparation de phase mécanique avec une fraction solide à vocation plus organique en termes de fertilisation et une fraction liquide, plus minérale. La séparation de phase nécessite un investissement supplémentaire (30 000 à 50 000 € ou 1,00-1,20 €/m3). Elle s'impose souvent pour exporter du digestat hors du plan d'épandage à plusieurs kilomètres vers des zones céréalières (si excédent de P) ou pour des échanges fumier-digestat avec des voisins. La fraction liquide, plus facile à stocker (moins de croûte et de dépôt dans la fosse) à davantage une vocation d'engrais azoté qui s'infiltre mieux dans le sol qu'un digestat brut. Cependant, si on excepte le transport, l'épandage du digestat brut apparaît le moins coûteux. Quant à l'économie d'engrais minéraux permise, elle reste difficile à évaluer. Tous les éleveurs-méthaniseurs reconnaissent avoir réduit leurs achats mais dans une proportion qui couvrirait juste le surcoût de l'épandage.

Une autre recette pourrait apparaître en commercialisant une partie du digestat sous la forme d'un amendement-fertilisant. Mais aujourd'hui, le digestat garde le statut de déchet qui doit être traité dans le cadre d'un plan d'épandage. Pour accéder au statut de fertilisant commercialisable, une homologation par l'Anses est nécessaire. Son coût : 20 000 à 40 000 € pour prouver l'intérêt agronomique et l'innocuité sanitaire. Demain, une nouvelle norme pourrait faire passer le digestat de déchet à produit fertilisant commercialisable. Ce travail de réécriture serait en cours.

DOMINIQUE GRÉMY

(1) Association des méthaniseurs de France.Pour en savoir plus : aile : www.aile.asso.fr ; ademe : www.ademe.fr ; club biogaz : www.biogaz.atee.fr

La proportion d'ammoniaque dans le digestat est plus importante que dans l'effluent d'origine. Sa volatilité impose d'adapter les dates d'épandage et d'investir dans du matériel adéquat : fosse de stockage couverte, pendillard, enfouisseur...

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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