La tarification en vigueur ne permet pas toujours d'atteindre la rentabilité et l'utilisation de la chaleur n'est pas toujours possible pour un éleveur laitier. La filière attend une nouvelle politique.
LA MÉTHANISATION EST UN PROCÉDÉ BIOLOGIQUE permettant de produire une énergie renouvelable à partir de matières organiques (dont le fumier et le lisier), et de récupérer un digestat utilisé comme fertilisant. La matière organique est dégradée par l'action de micro-organismes dans une cuve close et chauffée : le digesteur (voir infographie ci-dessus). Les réactions biologiques conduisent à la formation d'un biogaz composé majoritairement de méthane. Ce gaz est le plus souvent valorisé par la cogénération, qui consiste à produire de l'électricité et de la chaleur. Il s'agit tout simplement d'un moteur qui entraîne une génératrice. L'électricité est vendue à EDF sur la base d'une tarification spécifique avec un contrat de quinze ans.
La chaleur est prélevée sur le système de refroidissement du bloc-moteur et des fumées d'échappement par l'intermédiaire d'échangeurs et d'un circuit d'eau. Après avoir séjourné pendant trente à quarante jours dans le digesteur, le digestat (matière organique digérée) est stocké dans une fosse couverte pour maximiser la récupération de méthane, et conserver l'azote qui se retrouve sous une forme ammoniacale très volatile. Ce digestat n'a quasiment plus d'odeur ni de germes pathogènes ni de graines d'adventices. Sa valeur fertilisante est améliorée car si les teneurs en N, P et K ne changent pas, l'azote majoritairement sous forme ammoniacale est plus facilement assimilable par les plantes. Mais la méthanisation n'est pas un moyen de réduire la charge azotée. Son bénéfice pour l'environnement est lié à la réduction des gaz à effet de serre au niveau de la gestion des épandages de lisier et au travers de la substitution d'énergie fossile.
EST-CE ADAPTÉ À L'ÉLEVAGE LAITIER ?
Soyons clairs dès le départ : la méthanisation n'a rien à voir avec un projet photovoltaïque. Ce n'est pas à considérer non plus comme un investissement placement. Certes, il y a des recettes garanties sur quinze ans, mais tellement d'autres paramètres à maîtriser pour sa rentabilité. « La méthanisation en élevage s'aborde comme un nouvel atelier avec des compétences et une maîtrise technique à acquérir, un investissement lourd, digne d'un bâtiment d'élevage, et du temps à consacrer. Cela touche à différents domaines tels que l'agronomie, l'énergie, la gestion des déchets, etc. », avertit Armelle Damiano, d'Aile, l'agence locale de l'énergie qui accompagne les projets de méthanisation en Bretagne. Certes, l'élevage laitier produit des effluents adaptés à la méthanisation. Malgré leur faible pouvoir méthanogène, comparé aux résidus de cultures ou aux déchets d'industrie agroalimentaire (voir infographie), les déjections animales sont indispensables car elles apportent les bactéries nécessaires à la digestion d'autres substrats. Mais la saisonnalité de leur disponibilité dans un système où les vaches pâturent peut être un handicap. De même, les bâtiments exclusivement en aire paillée auront du mal à alimenter un digesteur qui ne peut fonctionner qu'avec une teneur en matière sèche des substrats de 15 % maximum. D'où la nécessité de disposer d'une base de lisier suffisante.
De plus, à l'inverse des ateliers hors sol, l'élevage laitier est peu consommateur de chaleur pour pouvoir valoriser toute celle produite par la cogénération. C'est souvent sur ce dernier point qu'échouent les dossiers des producteurs de lait. « Comment vais-je utiliser la chaleur ? C'est la première question à se poser », insiste Armelle Damiano. Car nous ne sommes pas en Allemagne où celle-ci peut être relâchée dans l'atmosphère sans que l'administration s'en soucie.
La France est plus vertueuse et ne soutiendra pas financièrement un projet qui ne valorise pas suffisamment cette énergie thermique. Ce taux de valorisation est important car il influence fortement la rentabilité du projet. En effet, le prix d'achat de l'électricité est fixé par les pouvoirs publics en fonction de la valorisation de la chaleur. La vente de cette dernière à des tiers apporte aussi un revenu complémentaire non négligeable pour la rentabilité du projet. Plusieurs solutions sont possibles. Après avoir chauffé la maison de l'exploitant et quelques éléments du bâtiment (bureau, sanitaires de la salle de traite, etc.), l'idéal est de créer un réseau de chaleur pour des habitations voisines ou des bâtiments collectifs de la commune. Mais pour des raisons techniques et économiques, cela ne peut se faire qu'à proximité de l'unité de méthanisation. Afin d'utiliser aussi la chaleur produite en été, le projet de méthanisation peut s'associer à une activité de séchage et, pourquoi pas, de séchage en grange, et ainsi coupler le projet de méthanisation à une meilleure valorisation de l'herbe. « Il n'est pas toujours simple de porter deux projets aussi lourds en parallèle. Ensuite, cela a un coût qui peut nuire à la rentabilité de l'investissement », avertit Armelle Damiano.
Cette difficile utilisation de la chaleur pour les élevages laitiers spécialisés pourrait être résolue dans un proche avenir par l'injection de biogaz dans le réseau de gaz naturel, comme cela se fait en Allemagne ou en Suisse. Cette pratique n'est pas encore autorisée en France. Cela nécessitera une épuration du biogaz assez coûteuse et seules les installations proches d'un réseau pourraient se le permettre.
QUELLE PUISSANCE INSTALLER ?
La dimension d'un projet de méthanisation dépendra, en premier lieu, de l'utilisation possible de l'énergie thermique produite. La plupart des installations françaises de méthanisation à la ferme (il y en a vingt-cinq en fonctionnement) se situent aujourd'hui entre 30 et 150 kW de puissance maximale. Notons qu'au-delà de cette puissance, le tarif de base du rachat de l'électricité chute. La valorisation du biogaz étant établie, il reste à déterminer avec quoi alimenter le digesteur. Nous l'avons dit, si les lisiers et les fumiers sont indispensables aux réactions biologiques, dans la plupart des cas, ils ne suffisent pas à la production de biogaz.
Les cultures (ensilage de maïs, d'herbe, etc.) possèdent des potentiels méthanogènes intéressants et peuvent être incorporées dans le digesteur. Mais à l'inverse de l'Allemagne qui offre une prime à l'utilisation de cultures énergétiques, la France n'encourage pas cette pratique. Ainsi, les aides publiques à l'investissement ne sont-elles attribuées qu'avec un maximum de 20 à 25 % de cultures énergétiques incorporées. Pour autant, l'éleveur aura tout intérêt à utiliser ainsi les cultures intermédiaires, comme les couverts végétaux et les résidus de cultures (menues pailles, fanes, etc.). Mais la quantité de substrats disponibles sur l'exploitation est, en général insuffisante pour rentabiliser l'installation. L'éleveur n'a souvent pas d'autres choix que de se procurer des coproduits extérieurs, des déchets issus d'industries agroalimentaires (graisses, légumes, fruits, déchets de céréales) ou de collectivités (tontes des pelouses).
Cette prise en charge des déchets est une prestation de service qui doit donner lieu à une rémunération. Elle est variable (10 à 100 €/t), mais participe à la rentabilité du projet. Le problème est que ce marché des déchets de biomasse est souvent opaque et concurrentiel entre les différents acteurs (compostage, alimentation animale, etc.). Au porteur du projet de méthanisation de proposer un service compétitif aux détenteurs de déchets.
Mais la compétition est déjà rude et elle pourrait le devenir davantage si les unités de biogaz se développent. Dans l'est de la France, les méthaniseurs allemands, belges ou luxembourgeois opèrent une véritable razzia sur les coproduits français. Leurs tarifs de rachat de l'électricité, bien plus élevés qu'en France, les autorisent même à les enlever gratuitement, voire à les payer, laissant peu de disponibilité à leurs homologues français.
Vous l'avez compris, la dimension du projet doit prendre en compte cette disponibilité en substrats. C'est pour cette raison que les projets français individuels sont souvent de taille modeste avec, en contrepartie, un investissement au kW installé assez élevé qui peut fragiliser la rentabilité.
Le niveau d'investissement en France s'échelonne de 5 000 à 10 000 €/kW. À titre indicatif, pour atteindre 100 kW, il faut méthaniser environ 4 000 m3 de lisiers de bovins, 400 t de graisses d'abattoirs, 200 t de tontes de pelouses et 200 t d'ensilage maïs.
QUELLE TARIFICATION DEMAIN ?
Ce prix de rachat de l'électricité apparaît bien comme le nerf de la guerre, la clé qui permettra ou pas le développement de la méthanisation en France. C'est un arrêté de 2006 qui fixe le tarif actuel. Il comprend un tarif de base défini selon la puissance de l'installation : 11 c/kW en dessous de 150 kW, puis une baisse linéaire entre 150 kW et 2 MW jusqu'au plancher de 95 c/kW. S'ajoute une prime à la valorisation énergétique de la chaleur de 3 c/kW maximum. Le prix maximum d'achat de l'électricité en France est donc de 14 c/kW. Le chiffre d'affaires d'une installation ayant un fonctionnement optimal, avec un moteur de 100 kW, qui tourne 8 000 h par an, se situe entre 70 000 et 85 000 €/an. Un niveau insuffisant pour rentabiliser un projet de méthanisation, qui repose donc sur les aides à l'investissement des pouvoirs publics et les collectivités territoriales. Ces subventions sont conditionnées à la qualité du projet.
Elles s'élèvent à 30-40 % du montant total. La méthanisation française est en attente d'une nouvelle tarification, qui devait sortir fin 2010 et que l'on attend pour 2011. Difficile de dire ce qu'elle sera, mais les pouvoirs publics, échaudés par ce qui s'est passé avec le photovoltaïque, voudront se prémunir de toute nouvelle bulle spéculative. Néanmoins, la méthanisation bénéficie d'une image positive en terme de développement durable.
Elle produit de l'énergie à partir de déchets organiques, tout en limitant l'achat d'engrais chimiques. Mais l'ambition d'un développement en France ne fera pas l'économie d'une tarification plus avantageuse. L'Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) souhaite qu'elle se construise sous la forme d'un prix de base, complété par des primes intégrant notamment l'utilisation d'effluents d'élevage de cultures intermédiaires et la valorisation de la chaleur. L'objectif serait qu'un éleveur puisse atteindre un tarif proche de 20-22 c/kWh. Il restera aussi à l'administration à faciliter l'édification d'un projet qui est soumis au règlement des installations classées et qui ressemble aujourd'hui à un parcours du combattant pour celui qui le porte. Entre l'initiation du projet et le raccordement au réseau électrique, le délai se situe entre trois et quatre ans.
QUELLE VALORISATION DU DIGESTAT ?
Après une digestion de trente à quarante jours, la valeur fertilisante du digestat n'est pas dégradée par rapport aux produits d'origine. La digestion se faisant sans oxygène, le digestat est sans odeurs et plus fluide qu'un lisier non traité. Il pénètre plus vite dans le sol et ne crée pas de nuisances olfactives. La forme de l'azote est cependant plus volatile et les techniques d'épandage doivent être adaptées (pas de stockage au champ, utilisation de tonne avec pendillard, etc.). Le digestat peut subir une séparation de phase avec une fraction solide, qui se gère comme un amendement de fond riche en matière organique, et une fraction liquide qui se gère comme un engrais azoté. La réglementation de l'épandage du digestat est soumise à la directive nitrate et au plan d'épandage.
DOMINIQUE GRÉMY
La technologie liée à la méthanisation vient essentiellement d'Allemagne avec des transferts de compétence toujours en cours.
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