
Comment concilier la pérennité économique de son exploitation avec les attentes de la société, sans remettre en cause les bassins d'emplois ? C'est le grand chantier des dix prochaines années
L'ÉLEVAGE LAITIER EST À LA CROISÉE DES CHEMINS. Les années 2009 et 2010 ont montré aux producteurs la nécessité d'avoir des coûts de production en phase avec leurs voisins européens pour conserver les parts de marché français. Ce souci est-il conciliable avec la pression plus forte de leurs concitoyens pour des pratiques respectueuses de l'environnement ?
ENVIRONNEMENT : TROIS DÉFIS À RELEVER
- Nitrates et phosphates : les algues vertes sur le littoral breton stigmatisent les reproches de la société à l'encontre de l'élevage, toutes productions confondues. L'opinion publique a encore en tête la mort d'un cheval et le malaise de son cavalier en juillet 2009, causés par l'hydrogène sulfuré dégagé par les algues vertes qui prolifèrent dans le bassin-versant de la Lieue de Grève en Côtes-d'Armor (voir L'Éleveur laitier de juin 2009). L'émoi suscité a obligé l'État à lancer un plan « Algues vertes » (ramassage, changement des pratiques agricoles…) et l'Inra à faire des propositions pour les 170 exploitations laitières du bassin-versant (maximiser les surfaces en herbe, notamment par des échanges de parcelles, réduction des intrants…). Hors Bretagne, la pression existe aussi en zones vulnérables.
- Gaz à effet de serre : la lutte contre les gaz à effet de serre (GES) prend de l'ampleur. Par ses émissions de méthane entérique, l'élevage bovin est en première ligne. L'interprofession laitière a pris ce problème à bras-le-corps. Avec, dans sa poche, trois arguments de poids – le stockage de carbone par les prairies, le maintien de la biodiversité et l'entretien du territoire – le Cniel a investi les groupes de travail chargés de définir des indicateurs. La loi Grenelle 2, publiée le 13 juillet dernier, prévoit en effet une information du consommateur sur le contenu en équivalent carbone des produits et des emballages, et l'impact sur les milieux naturels. À savoir : l'eutrophisation des cours d'eau, l'écotoxicité et le maintien de la biodiversité. « Plutôt que se focaliser sur la seule empreinte carbone, la France a opté pour une approche multicritères, se réjouit Hélène Perennou du Cniel. Cela permettra à l'élevage laitier d'opposer aux émissions de méthane entérique, inhérentes aux bovins et qui représentent la moitié de ses GES, les services environnementaux qu'il rend à la société. » Face à la complexité du problème, l'information du consommateur sera d'abord expérimentée durant au moins un an à partir du 1er juillet 2011, sans préciser de date butoir ni de mode de communication (étiquetage des produits, par exemple). Ce flou laisse du temps à la filière laitière de s'y préparer. Néanmoins, ne nous faisons pas d'illusions. Le poids de l'effort demandé reposera essentiellement sur la production. Dans un rapport publié en mai dernier, la FAO estime sa contribution dans l'élaboration totale des produits laitiers à environ 80 % dans les pays industrialisés. Il y a fort à parier que les transformateurs proposeront des cahiers des charges en vue de leur réduction. Ils planchent chacun de leur côté pour établir un bilan carbone de leurs produits, sans en dévoiler les résultats.
- Pesticides : les dés sont déjà jetés. La loi 1 du Grenelle de l'environnement affiche la volonté de réduire l'usage des pesticides en agriculture, si possible de 50 % d'ici à 2018. Dans un colloque, le 28 janvier, l'Inra a indiqué que ce niveau serait difficile à atteindre, au risque de baisser significativement les rendements des cultures.
En revanche, une réduction de 30 % est envisageable en modifiant les pratiques agronomiques (rotation allongée, date de semis…). Un dispositif de recherche coordonné Inra-instituts techniques-chambres d'agriculture-enseignement se met actuellement en place, un réseau de fermes-pilotes aussi (voir p. 37). Là encore, en s'appuyant sur les prairies, très peu consommatrices de phytos, l'élevage laitier a une carte à jouer. Cela sera-t-il compatible avec l'agrandissement des troupeaux qui, pour simplifier le travail, s'accompagne d'un recul du pâturage au profit des fourrages distribués ?
Bref, les challenges à relever pour les quinze prochaines années sont nombreux. De quoi décourager les éleveurs qui ne sont pas encore sortis des tumultes de 2009. Qu'ils se rassurent : ces défis ne touchent pas le proche immédiat. Les réponses à apporter en sont aux balbutiements. Et surtout, elles sont compatibles avec une baisse des coûts de production. « Bon nombre d'éleveurs sont déjà engagés dans ce processus sans en avoir conscience : valorisation des effluents, autonomie alimentaire, économies d'énergie, etc. », observe Hélène Perennou. « Nous sommes au terme d'un mode de développement agricole qui a eu du succès, analyse de son côté Jean-Louis Peyraud, de l'Inra de Rennes. L'accroissement des structures conduit aujourd'hui à des systèmes qui s'affranchissent de leur milieu. Le boom écologique qui traverse la société les acceptera-t-il encore longtemps ? De plus, l'élevage qui cohabite, aujourd'hui, avec d'autres activités économiques risque, demain, de se retrouver en concurrence. Les arbitrages se feront-ils en faveur ou au détriment du lait ? Pour éviter ces scénarios, il faut dès à présent réfléchir à des modes de production conformes aux attentes de la société, tout en répondant aux besoins technico-économiques des exploitations. » Cette réflexion devra être menée de concert avec une autre plus globale sur la production laitière en France. Selon le niveau d'installations, l'Institut de l'élevage estime que le nombre d'exploitations variera entre 20 000 et 30 000 exploitations d'ici à 2035
Cela renvoie à des structures de 700 000 litres à 1,5 million de litres. « Ces tailles correspondent à 10 % des exploitations laitières françaises. Où se fera ce lait ? Dans l'Ouest qui concentre déjà la moitié de la production, comment atteindre ces niveaux sans “artificialiser” le milieu ? Il faudra bien s'attaquer à ces questions », estime-t-il.
VERS UNE AGRICULTURE PLUS AUTONOME SANS BAISSER LA PRODUCTION
Pour le chercheur, pas question de désintensifier la production si cela remet en cause les emplois liés au lait dans les bassins de production. « Avoir des pratiques plus conformes aux attentes de la société n'est pas synonyme de production ou de revenu à la baisse. » Selon lui, le renchérissement du coût de l'énergie, les aides pour services rendus en discussion à Bruxelles pour l'après-2013, les appels pour des programmes de recherche européens annoncent une agriculture plus autonome. « Ce ne sera pas forcément à l'échelle de la ferme mais d'un territoire à partir de productions complémentaires. » Face à ces défis économiques et environnementaux, les petites structures familiales (150 000 à 250 000 l selon les régions) auront-elles encore leur place dans les dix à vingt prochaines années ? « Oui, répond Benoît Dedieu, de l'Inra de Clermont-Ferrand, car elles sont plus résistantes aux aléas du marché que les exploitations restructurées, avec des charges de structure élevées. » À condition de leur apporter des réponses appropriées. Fortement ancrées dans leur territoire, elles sont bien souvent pluriactives, soit par le travail salarié de la conjointe, soit via l'éleveur lui-même.
DURABLE AUSSI GRÂCE À L'ORGANISATION DU TRAVAIL
« Des formules de travail simplifiées comme la délégation de l'alimentation à une Cuma, la monotraite, des échanges de parcelles pour un pâturage optimisé leur donneront autant de perspectives qu'à des structures plus importantes qui favoriseront l'automatisation du travail ou l'embauche d'un salarié. »
La recherche se met actuellement en branle pour imaginer les systèmes du futur. Dans l'Ouest, le projet « Laitop » s'attaque à identifier les atouts et les faiblesses de la région face à ses concurrents européens, à lever les freins psychologiques et techniques pour plus d'herbe dans les régimes fourragers, à définir sous quelles conditions les systèmes peuvent évoluer (prim'holstein ou race mixte, lactations longues ou non…). En Auvergne, le projet « Prairies AOC » compare la valorisation intensive et extensive des prairies en termes d'économie, de charges de travail et de biodiversité. En mars, la recherche, les interprofessions d'élevage, les chambres d'agriculture et l'enseignement sont passés à la vitesse supérieure en créant le GIS « Élevages demain » pour coordonner et mutualiser les travaux des dix prochaines années. « L'objectif final est de définir des indicateurs d'évaluation des performances économiques, sociales, environnementales et territoriales des systèmes de production, et d'identifier les plus innovants, dit René Beaumont, de l'Inra de Clermont-Ferrand. Cela donnera aux éleveurs les outils pour agir sur leur système, et aux décideurs les informations pour impulser des orientations. »
CLAIRE HUE
Biodiversité, lutte contre l'écotoxicité, empreinte carbone... Les travaux de recherche des dix prochaines années visent à définir des indicateurs de durabilité pour les différents systèmes de production. © PHILIPPE DESCHAMPS
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