LUZERNE, LE RETOUR

Riche en azote, moins dense en énergie, la luzerne est un bon complément du maïs. Elle répond à la demande de fibres et d'autonomie protéique.

LES TRAVAUX MENÉS À LA FERME EXPÉRIMENTALE des Trinottières, en Maine-et- Loire, et les observations réalisées dans cinquante élevages rhône-alpins l'attestent : bien conduite, distribuée sous forme de foin, d'ensilage ou d'enrubannage, la luzerne assure des performances zootechniques très intéressantes. « Associé au maïs, l'ensilage de luzerne peut être incorporé jusqu'à 50 % de ration avec une efficacité alimentaire équivalente à une alimentation 100 % maïs », observe Benoît Rouillé, de l'Institut de l'élevage.

De même, en ration sèche fermière constituée de 42 % de foin de luzerne et de 58 % de concentrés (maïs grain, blé et tourteaux de colza), l'incorporation de luzerne sécurise le fonctionnement ruminal et favorise la production laitière (32,2 kg de lait, contre 29,6 kg avec une ration 68 % maïs). Outre sa résistance à la sécheresse et ses qualités agronomiques qui en font l'une des meilleures têtes de rotation, la légumineuse renforce l'autonomie fourragère et azotée de l'exploitation. « Avec 2 à 2,5 t de protéines à l'hectare pour un rendement de 12 t de MS, la luzerne fournit plus de protéines qu'un soja qui plafonne à 750 kg/ha », souligne Paul Rouvreau, de Jouffray-Drillaud. La capacité de la légumineuse à fixer l'azote de l'air génère une économie d'engrais azoté chiffrée à 300 unités/ha pour une production de 10 t de MS. Lors de la destruction de la culture, 100 unités d'azote seront restituées sur trois à quatre ans (15 à 20 % la première année).

CETTE LÉGUMINEUSE S'ADAPTE À LA MAJORITÉ DES SOLS

Après avoir disparu de nombreuses exploitations, la luzerne dispose aujourd'hui de solides atouts pour revenir dans les assolements. Le découplage des aides Pac encourage dans ce sens.

Sur le terrain toutefois, la légumineuse rencontre des réticences. Les éleveurs pointent ses difficultés de conduite (salissement), de récolte (première coupe) et de distribution. Une étude, réalisée par les contrôles laitiers de Rhône-Alpes et Arvalis, a mis en évidence les blocages, et pointé les bonnes conditions de production et d'utilisation de la luzerne.

Dans cinquante élevages aux conditions pédoclimatiques et aux systèmes d'alimentation variés, les pratiques d'implantation, de récolte et de distribution de la légumineuse ainsi que les méthodes d'alimentation ont été passées au crible. Contrairement à ce qui se dit, la luzerne n'est pas réservée aux terrains calcaires. « L'enquête a montré que cette culture est présente dans tous les types de sol, avec des PH allant de 5,5 (avec chaulage), à 8,1, souligne Patrice Dubois, du Contrôle laitier du Rhône. Cultivée aussi bien en zone d'altitude (1 400 m) qu'en plaine irriguée, les luzernières, inoculées dans 64 % des cas, ont montré des rendements variant de 6 à 12 t de MS en deux à quatre coupes. Partout où la culture était bien menée, les rendements sont très bons. »

« La légumineuse s'adapte à la majorité des sols, pourvu qu'ils ne soient ni hydromorphes ni asphyxiants, confirme Paul Rouvreau. Des terrains aérés et bien structurés dans les premiers centimètres sont indispensables pour que l'azote de l'air arrive jusqu'aux nodosités fixées sur les racines. En ramenant du calcium en surface, on favorise la constitution d'un complexe argilo-humique qui laisse passer l'air. » Outre le chaulage, l'inoculation des semences avec Rhizobium meliloti est indispensable en conditions défavorables, sur les terres acides et les parcelles qui n'ont pas eu de luzerne depuis une dizaine d'années. La luzerne est en effet originaire de Perse et ses bactéries ne sont pas naturellement présentes dans nos sols. Gourmande en potasse, cette légumineuse a également besoin de phosphore et d'oligoéléments tels que le soufre, le bore ou le molybdène. « Sur les nouveaux sols à luzerne, même calcaires, une vérification s'impose, insiste Paul Rouvreau. En l'absence de bore et molybdène, les bactéries fonctionneront moins bien et la luzerne s'alimentera mal en azote. Au fanage, on va perdre des feuilles. Or, ce sont elles qui contiennent l'essentiel des protéines (70 %), des vitamines et des minéraux. »

UNE QUALITÉ D'IMPLANTATION INDISPENSABLE

L'enquête rhône-alpine a mis le doigt sur les points clés de la culture. « La luzerne est une culture technique qu'il faut apprendre à maîtriser, souligne Patrice Dubois. Le semis est un point déterminant : il doit être propre, précoce et peu profond. Alors que la question “Faut-il semer en fin d'été ou au printemps ?” reste ouverte, une préparation donnant un sol bien émietté est indispensable à la levée des petites graines. »

Cette analyse est confirmée par Paul Rouvreau. « La pérennité de la luzerne est liée à la qualité de son implantation. On peut l'installer l'été, à condition d'être sûr de pouvoir la faire lever suffisamment avant l'hiver. La luzerne concentre ses réserves en sucres et protéines dans sa racine pivotante. Défoliée l'hiver, la plante se met en hibernation et puise sur ses réserves pour redémarrer au printemps. Sans un pivot suffisamment développé, la luzerne ne durera que deux à trois ans. En Champagne, on n'attend plus le 15 août pour la semer. On l'implante début juillet derrière une orge. » Un semis précoce améliore l'efficacité des désherbages en première année. En effet, c'est dans les deux premiers mois après le semis que l'agriculteur dispose du spectre de traitement le plus large. Sur une luzerne semée fin août, un désherbage sera possible mi-octobre avant les grands froids. La capacité à assurer un sol propre à la luzernière est essentielle pour son développement. « Le problème de salissement, surtout en culture pure, constitue la première raison de retournement de la culture », témoigne Patrice Dubois.

« Avec la raréfaction des produits désherbants disponibles, les traitements d'hiver seront de plus en plus difficiles, » estime Patrice Pierre, conseiller fourrage en Pays de la Loire. La culture de luzerne, en association avec le trèfle violet ou avec des graminées telles que le ray-grass hybride (voire la fétuque, lire en encadré), permet de contrer le développement des mauvaises herbes dans les interrangs. Les semis sous couvert de tournesol, de céréales de printemps et de moha constituent également des pratiques qui limitent le salissement des luzernières, tout comme les semis à la volée. « Les anciens semaient la légumineuse mi-mars dans un blé déjà implanté, en passant un coup de herse et de rouleau », rappelle Paul Rouvreau. Des techniques que l'on redécouvre aujourd'hui.

Quel que soit l'itinéraire retenu, des préconisations s'imposent pour rentrer une luzerne riche en protéines. Il faut couper au bon stade (bourgeonnement) et à la bonne hauteur (6 à 7 cm). « En cassant ou en blessant les bourgeons à la base des tiges, on diminue la capacité à redémarrer, explique Paul Rouvreau. Un andain aéré, posé sur des chaumes hauts, assure par ailleurs un séchage plus rapide. » Pour préserver le maximum de feuilles, il faut toucher le fourrage au sol le moins possible et ne pas travailler aux heures chaudes. La fauche du matin après la levée de la rosée est conseillée, tant que les spores de la plante ne sont pas refermées. La faucheuse conditionneuse à rouleaux sera préférée à la conditionneuse à doigts plus agressive.

Récoltée jeune, la luzerne peut afficher plus de 18 % de matière azotée totale, soit plus de 100 g/kg de MS de PDIN. Mais des valeurs très hétérogènes sont constatées.

« Sur les foins 2007, la richesse en protéines allait de 80 à 130 g/kg de PDIN, confirme Patrice Dubois. La luzerne n'est pas une plante standard et les analyses de fourrage sont essentielles. Car la valeur d'un foin déterminera son ingestion : une troisième coupe à 0,8 UFL et 140 de PDIN se consommera facilement, alors qu'une autre à 0,55 UFL et 55 g de PDIN restera dans l'auge. »

PRÉVENTION DE L'ACIDOSE ET AMÉLIORATION DE L'ÉTAT SANITAIRE DU TROUPEAU

Bien maîtrisée, relativement pauvre en énergie, la luzerne s'adapte peu à une distribution en libre-service. Le pâturage de cette plante météorisante doit être pratiqué avec beaucoup de précautions et réservé aux repousses vieillies de fin d'été. Riche en fibres et en calcium, la luzerne prévient l'acidose et améliore l'état sanitaire du troupeau, à condition que l'éleveur maîtrise les quantités distribuées. C'est le cas de 86 % des élevages rhône-alpins questionnés. A contrario, là où les vaches règlent leur ingestion, en triant et en laissant beaucoup de refus, l'état sanitaire s'est révélé moyen ou à risques. « Dans les élevages où l'ingestion est maîtrisée, un meilleur TP a été constaté (+ 1,4 d'écart) », commente Patrice Dubois qui note l'intérêt de la mélangeuse pour maîtriser les quantités de luzerne ingérées.

ÉCONOMIQUEMENT INTÉRESSANTE AU-DELÀ DE 6-7 T DE MS PAR HECTARE

L'intérêt économique de la luzerne varie selon les régimes alimentaires et les terrains. « Associée à du maïs-ensilage, la légumineuse assure non seulement des performances zootechniques très intéressantes, mais peut offrir des rendements de 15 t de MS/ha, note Jean-Michel Lamy, de la ferme expérimentale des Trinottières. Ce fut le cas ici en 2009. Mais cinq coupes successives ont un coût en termes de travail et de mécanisation. Il faut en tenir compte. Avec un rendement du maïs très limité, la luzerne présente un avantage économique. À rendement égal, c'est moins sûr. »

Cette analyse est partagée dans le Rhône par Patrice Dubois : « Par rapport à des prairies de courte durée de type ray-grass, la luzerne est économe en frais d'implantation et de fertilisation azotée. Mais pour obtenir du rendement, la luzerne a besoin d'eau l'été. Elle n'a d'intérêt que si elle procure au moins 6-7 t de matière sèche par hectare. Le rendement déterminera son coût de production et son intérêt relatif par rapport à un maïs. » Et de souligner : « La luzerne assure d'abord une autonomie fourragère. Une luzerne titrant 90 g de PDIN contre 60 à 70 g de PDIN pour un ensilage de graminées permet d'économiser de l'azote, mais pas de remplacer tous les tourteaux. »

ANNE BRÉHIER

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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