
Malgré les problèmes de santé et les difficultés financières rencontrées depuis le début des années quatre-vingt-dix, Georgette et André Murigneux tirent un bilan positif de leur parcours.
DEPUIS LEUR PREMIÈRE INSTALLATION EN 1973, DANS LE RHÔNE, la vie de Georgette et d'André Murigneux n'a pas été un long fleuve tranquille. Parents de quatre enfants nés en 1972, 1976, 1980 et 1988, le couple a connu un parcours semé d'embûches. La rupture majeure se produit le 21 décembre 1992, année où Georgette est hospitalisée pendant quatre mois et demi à la suite d'une paralysie totale du bassin. Deux précédentes grossesses alitées avaient certes fragilisé l'agricultrice mais, à chaque fois, celle ci avait pu repartir au prix de quelques ajustements et d'un appel à de la main-d'oeuvre extérieure. « À l'époque, nous avions du revenu, explique Georgette. Près de la moitié des 190 000 l produits sur les 14 ha en système intensif et en zéro pâturage étaient transformés sur place en fromages vendus en direct. Le lait était valorisé à 6 F/l contre 1,50 F en laiterie. Nous commercialisions aussi des volailles et des légumes. »
Aidé par deux ouvriers, deux jours par semaine, et par les parents de Georgette, encore jeunes, le couple avait beaucoup de travail mais la rentabilité était là. En 1976, une stabulation construite en dehors du hameau s'était substituée à l'étable entravée où il fallait sortir le fumier à la brouette. Une belle laiterie avait été aménagée. Le 21 décembre 1992, une page se tourne brusquement. Tombée ce jour-là six fois de suite dans la laiterie, Georgette n'est pas en mesure de prendre la route pour livrer les clients (supermarchés, comités d'entreprise, écoles…).
« LA MALADIE DE GEORGETTE A ENTRAÎNÉ DES PROBLÈMES FINANCIERS »
Son hospitalisation pendant quatre mois et demi va totalement déstabiliser le fonctionnement de l'exploitation. La transformation et la vente, domaines de prédilection de l'éleveuse et sources de revenu de l'exploitation, s'effondrent. Les salariés embauchés pour la remplacer (quatre en six mois) ne font pas l'affaire. Les relations avec les clients sont profondément perturbées. Avec l'exploitation à gérer mais aussi quatre enfants à la maison, André est dépassé malgré la solidarité locale qui s'exprime. En effet, pendant trois mois, un groupe d'agricultrices adhérentes à « Produits des fermes », un groupement de producteurs que l'exploitation a contribué à créer, se relaie pour apporter deux fois par semaine des plats à réchauffer. Quand Georgette rentre de l'hôpital en fauteuil roulant, la situation est difficile et l'avenir incertain. Chacun des membres du couple en a une vision différente. Alors que Georgette est prête à quitter l'agriculture, André pense qu'il est possible de poursuivre l'activité en arrêtant la transformation et la vente directe, et en se réinstallant sur une exploitation plus grande. C'est cette solution qui sera choisie « après que des amis, adhérents comme nous à l'Afocg (Association de formation à la comptabilité et la gestion) du Rhône nous aient obligés à regarder notre situation en face et à aligner les chiffres, soulignent les agriculteurs. Seuls, nous n'y parvenions pas. Nous avions trop le nez dans le guidon. Nous ne voulions pas voir la réalité en face. »
Après avoir tenté sans succès de trouver du terrain supplémentaire dans le secteur, le couple a décidé de prospecter dans les départements limitrophes à partir de 1996. Le choix de la nouvelle exploitation n'a pas été simple. Georgette ne voulait pas s'éloigner de Lyon car les enfants y étaient scolarisés, et il fallait tenir compte du budget disponible. Enclavée dans l'ancienne exploitation de Saint-Martindu- Haut, la maison d'habitation n'est vendue que la moitié du prix escompté.
« LE DÉMÉNAGEMENT A ÉTÉ DIFFICILE À VIVRE POUR TOUTE LA FAMILLE »
C'est finalement dans l'Ain, au coeur de la Bresse, que les Murigneux s'installent le 2 septembre 1998. Le parcellaire (70 ha dont 50 ha de Scop, 70 % de terrains drainés et 20 ha autour des bâtiments) et le quota disponible de 200 000 l ont convaincu André. En revanche, l'étable n'est plus adaptée. 142 000 € seront investis dans l'aménagement de l'outil et la réfection de la salle de traite. La porcherie, dans laquelle il fallait engager 150 000 €, est revendue à l'intégrateur. La production est conservée mais conduite en prestation de services. « Le lisier des porcs constituait une fumure gratuite pour 15 ha », précise André. Des prés pour les vaches doivent être réensemencés. Se réinstaller à 47 ans a aussi été plus dur que prévu. « J'avais sous-estimé le travail de remise en état de l'exploitation, constate André après coup. L'arrivée dans une maison d'habitation à refaire a été très difficile pour Georgette. » Heureusement que localement, le couple a été bien accueilli. André s'est intégré rapidement au groupe d'ensilage et à la Cuma, dont il est devenu membre du bureau puis vice-président. Quand il a eu un cancer en 2001, une maladie qu'il n'a pas cherché à cacher, les collègues ont été solidaires. Ils ont récolté le maïs et fait les semis d'automne.
La réinscription à l'Afocg de l'Ain a également constitué un solide appui pour le couple alors très endetté, leur permettant de partager leurs soucis et de prendre du recul. Un soutien salutaire dans les moments tendus. Georgette et André Murigneux ont aussi puisé des forces dans l'ouverture et les responsabilités extérieures qu'ils ont tous deux exercées, aussi bien à la commune de Saint-Trivier-de-Courtes dont Georgette est adjointe au maire, que dans diverses organisations professionnelles agricoles. Quelles que soient leurs difficultés, les agriculteurs n'ont jamais sacrifié les weekends et les vacances. « Nous nous faisions alors remplacer par d'anciens stagiaires, précisent-ils. Malgré les difficultés, nous avons gardé une vie sociale et conservé des liens avec nos amis de jeunesse. »
« NOUS AVONS RÉALISÉ NOTRE RÊVE DANS NOTRE SECONDE CARRIÈRE »
Georgette ne referait pas un tel parcours. « Je ne regrette pas le plaisir d'avoir vu mon homme se réinvestir dans le métier qu'il aime. Mais avoir défait le nid familial à un moment donné et vu les enfants si malheureux a été douloureux. Le départ des monts du Lyonnais et la réinstallation dans l'Ain ont été mal vécus par les trois grands. À l'époque, ils nous en ont voulu. Depuis, les liens se sont ressoudés. Lors des trois hospitalisations d'André à Lyon, les filles ont pris leur père en main à l'hôpital. Les garçons sont montés m'aider à la ferme. Les coups durs font réagir et génèrent une solidarité. Dans la famille, aujourd'hui, le problème de l'un est partagé par l'autre. » « L'exemple de nos parents nous a aussi servi, renchérit André. Ils nous ont appris à travailler et à ne pas gémir sur notre sort. Dans ma famille où nous étions sept enfants, nous avons commencé à travailler à 14 ans. Dans les difficultés, j'ai pu m'appuyer sur cet acquis de départ. À un moment, il faut arrêter de se poser des questions, aller de l'avant et ne plus revenir en arrière. » D'un tempérament peu anxieux, André estime qu'on ne se construit pas avec les choses négatives du passé. « Les projets nouveaux, tels que notre réinstallation, nous ont motivés pour redémarrer. »
À 60 et 63 ans, Georgette et André ne ressentent ni aigreur ni amertume. « Malgré les difficultés rencontrées, nous sommes fiers de ce que nous avons fait. Nous avons réalisé notre rêve dans une deuxième tranche de notre carrière. »
Le dernier défi professionnel à relever par le couple consiste à transmettre l'exploitation « que nous avons remise en état, qui nous a fait vivre et sur laquelle nous avons été bien, malgré tout ». Pour ces raisons, ils souhaiteraient la céder en totalité. « Nous avons fait trop de choses pour la voir partir en morceaux », estime-t-il. La fin de carrière n'est pas une étape facile. Le prochain rêve, après la vente de l'exploitation, serait de repartir dans les monts du Lyonnais vivre leur retraite. Bien méritée.
- SE RELEVER ET SE PROJETER VERS L'AVENIR
- Étape par étape, renoncer à la situation
- « APRÈS L'INCENDIE, NOUS RECONSTRUISONS NOTRE EXPLOITATION »
- « NOUS AVONS DÉMONTÉ LE ROBOT ET RÉINSTALLÉ UNE SALLE DE TRAITE »
- « ANÉANTI PAR L'ESB, LE TROUPEAU A RETROUVÉ SON RANG »
- SANTÉ « NOUS SOMMES FIERS DE CE QUE NOUS AVONS FAIT »
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