Bêtise humaine

D eux choses sont infinies, disait Albert Einstein, l'Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l'Univers, je n'ai pas acquis la certitude absolue. » En effet, après une période d'expansion de plusieurs milliards d'années, il se pourrait que l'Univers se contracte. La connerie humaine, celle qui fit des millions de morts en 1914-1918 et 1939-1945, se poursuit. Elle jette par millions des civils sur les routes et parfois dans les mers. Pour fuir un tyran ou des fous religieux, des innocents sont prêts à tous les sacrifices.

Beaucoup moins dramatique, la connerie de tous les jours, du petit chef ou du doigt d'honneur de l'automobiliste, n'émeut plus grand monde. Un numéro entier de L'Éleveur laitier ne suffirait pas à l'énumérer. Et puis jaillit celle que l'on n'attendait pas. La dernière en date confine le con à la jouissance, à l'extase que dis-je, elle touche au sublime, tutoie la stratosphère. Elle est née de l'esprit torturé, vicelard, d'un énarque frustré - « Il faut identifier les SNA (surfaces non agricoles) » - pour éviter de payer une amende de 3 milliards d'euros réclamés par Bruxelles, au motif que nos déclarations Pac antérieures manquaient de rigueur.

Lorsque j'ai ouvert mon dossier Télépac, j'ai failli tomber à la renverse, frôlé l'évanouissement. Pas moins de 170 lignes correspondant à autant de modifications pour environ 100 ha, cela s'appelle de l'acharnement, du sadisme. En zone de plaine céréalière, avec des parcelles de 50 ha émaillées de quelques chemins et bosquets, l'affaire est vite réglée. Mais en zone d'élevage où le biotope est beaucoup plus varié (n'en déplaise aux écolos), c'est carrément ubuesque ! La plupart des remarques portent sur des arbres isolés, des talus ou des haies qui ne portent pas à conséquence. Mais qu'un abruti ait donné l'ordre de recenser sur une carte tous les arbres de France montre à quel degré de formalisme et d'encadrement nous sommes rendus dans une civilisation dite évoluée. Pour la simplification administrative annoncée par notre président, c'est mal barré.

Comment des personnes à plusieurs milliers de kilomètres, assises devant un ordinateur, connaîtraient-elles mieux que moi les limites de mes parcelles ? Le ministère a mandaté l'IGN pour ce travail, mais devant le manque de moyens, il aurait sous-traité la tâche à une officine étrangère. Qu'un Pakistanais ou un Français fasse le travail ne change rien à l'interprétation. Alors que nous avons sué sang et eau lors des dernières déclarations Pac pour ajuster au plus près les limites parcellaires, un clampin qui n'y connaît rien les remet en cause. J'avoue que certaines sont justifiées, mais la plupart relèvent du pinaillage, d'une interprétation fantaisiste. C'est nier le bon sens paysan. À tous ceux qui argumenteront que nous sommes bien contents de toucher des primes Pac qui engendrent des contreparties, je leur dis « MERDE ! » Je réclame des prix, pas des primes !

Devant l'impossibilité matérielle des DDTM de traiter cette montagne de données, le ministre, la bouche en coeur, annonce que toutes les modifications mineures ne porteront pas à conséquence et qu'il est donc inutile de les rectifier. Mais alors, si elles ne servent à rien, pourquoi les notifier ? Lorsque le contrôleur passe dans mon exploitation, il relève la moindre erreur de virgule dans mes stocks de phyto, le moindre suintement dans la fumière ou le mètre manquant à la bande enherbée et sanctionne en conséquence. Le formalisme et la rigueur ne seraient qu'à sens unique ?

Bref, j'ai passé de nombreuses heures à maudire l'administration et tous ses sbires qui n'ont rien d'autre à faire pour exister.