Au cours du Space, lors d'un débat sur France Culture, vous réaffirmiez votre attachement à l'ouverture des marchés agricoles, sauf pour le lait. Pourquoi ?
J'estime que le marché international des produits laitiers, 4 à 6 % de la production, n'est pas représentatif de l'économie laitière. Il n'y a pas vraiment de demande au niveau mondial, si ce n'est pour un pays efficient comme la Nouvelle-Zélande. Quand les prix ont flambé en 2007 après la sécheresse en Océanie, industriels et producteurs ont perdu toute raison et ont cru qu'on pouvait avoir des prix et des volumes en expansion en misant sur l'export. Pour moi, l'Europe n'a pas de légitimité à se positionner sur ce créneau-là. Surtout quand elle écoule ses excédents par le biais de subventions ineptes, indignes par rapport aux pays qui n'en ont pas les moyens. Et je m'insurge totalement contre le fait que le prix du lait en Europe dépende de celui d'un marché aussi marginal.
Mais il y a une autre raison à cette exception. La vache ne produit pas que du lait ou de la viande de réforme. Elle tond aussi le gazon, assurant ainsi la présence de l'homme sur tout le territoire. D'où une logique propre à la France qui a refusé un marché des quotas et limité la taille des exploitations. J'ai toujours été convaincu du bien-fondé d'un découplage total pour les marchés des végétaux, mais sceptique pour l'application de cette politique au lait et à la viande. Pour qui est sensible à la main de l'homme, le lait est un sacré outil d'aménagement du territoire.
Les pays du Nord et la Commission européenne poussent vers toujours plus de libéralisme. Avec quels risques ?
Il y a une cohérence dans ce choix. Si l'on considère le lait simplement comme une matière première, on libéralise et on se retrouve avec un croissant bleu de la Bretagne au Danemark, avec des références d'un million de litres de lait par exploitation et des modèles hors sol. Pour l'industrie de transformation, cela se traduit par une accélération de la concentration et la disparition des unités de petite taille. Tout dépend de ce que l'on veut. La fin des quotas signe la disparition de l'élevage dans certaines régions et une modification radicale de tout leur équilibre économique. La Haute-Loire, que j'ai parcourue récemment, en est l'illustration. Sans volume maîtrisé, il n'y a pas de régulation possible.
Peut-on revenir en arrière ?
Le scénario idéal serait un retour aux sources : un prix d'intervention, un système de revenu garanti, assurant un rééquilibrage entre les régions, un quota légitime car attaché au sol. Ce ne serait pas dramatique de réduire la production à l'échelle européenne, en abandonnant toute velléité à l'export. Mais je suis bien conscient que la majorité des acteurs veut la fin des quotas. Il est illusoire d'espérer aller contre eux. Le problème majeur de Bruxelles est de traiter le lait comme une production lambda. La question redevient alors nationale. La France peut-elle obtenir le droit de maintenir des soutiens dans les zones difficiles et intermédiaires ? Ce n'est pas évident.
Comment sortir de la crise ?
On est au bout d'un modèle. Il faut en inventer un autre, par le biais du dialogue et de la concertation. On a, en France, quelques uns des principaux acteurs de la valorisation du lait. Pour autant, je note la faiblesse de certains d'entre eux, qu'ils soient coopératifs ou privés. Et je suis frappé par le climat de méfiance qui règne entre industriels et producteurs. Au point que c'est l'État qui a fixé le prix du lait chez Entremont ! La liquidation de l'accord interprofessionnel n'a rien arrangé. Pourquoi rester sur une logique d'affrontement ? Il faut arriver à instaurer des relations contractuelles à long terme, en s'appuyant sur un cadre européen un peu plus cohérent que celui que propose la Commission.
PROPOS RECUEILLIS PAR MIREILLE PINAULT
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